REVUE
POLITIQUE ET LITTÉRAIRE
REVUE BLEUE
FONDATEUR : EUGÈNE YUNG
Directeur : M. Henry Ferrari
NUMÉRO 6 TOME XLVIII 8 AOUT 1891.
C'est tout le peuple français, c'est tout le peuple russe, dans toutes leurs classes, qui s'élancent l'un vers l'autre : là-bas, sous l'œil du Pierre le Grand colossal qu'érigea le génie de Falconet; ici, sous la main tendue du Napoléon de bronze qui regarde par delà la Manche.
L'entente franco-russe, même aux jours du traité d'Ams­terdam, de la bataille de Kunersdorf, des entrevues de Tilsit et d'Erfurt, n'avait jamais été autre chose qu'un concert entre des cabinets. Ni en Russie, ni chez nous, l'idée n'était descendue dans les couches profondes de la nation: elle était toute à la surface, et il suffisait d'une saute de vent pour la faire s'envoler. Elle n'était point populaire, elle n'était point nationale. Elle naissait en un jour et s'éva­nouissait en une heure.
Comprend-on la différence d'autrefois avec aujourd'hui? L'idée a mis vingt ans à germer, à pousser ses racines. In­sensiblement, par les plus petits journaux, dans les plus reculés de nos hameaux, elle a pénétré. Les choses en étaient venues au point qu'il n'était plus un paysan français qui ne sût que l'allié naturel de sa République, c'était le tsar au­tocrate de toutes les Russies; et le même travail d'idées s'était fait dans les isbas de la Moscovie.
L'Europe ne l'avait pas assez suivi, ce travail de l'idée. Elie ne le remarquait pas ou le dédaignait. Elle semble au­jourd'hui dans la stupeur parce que tout d'un coup il a éclaté aux yeux, comme ces fleurs qui mettent des années à germer et qui, un beau matin, s'épanouissent dans un coup de tonnerre.
C'est pour cela qu'on a vu tout d'un coup ce qui ne s'était jamais vu. Le drapeau tricolore, que Catherine II avait pros­crit de ses ports et que Nicolas, en 1830, hésitait à y ad­mettre, pavoise les rues de Pétersbourg. La Marseillaise, aux accents de laquelle beaucoup de nos réactionnaires se bouchent les oreilles, est répété par toutes les musiques des régiments impériaux. Un amiral de la République française va s'incliner sur la tombe de ce Souvorof qui vint jusqu'en
6 P.
CRONSTADT ET CHERBOURG
II y a eu dans le passé des jours où la France et la Russie, faisant trêve à une rivalité déjà séculaire, se donnaient pour un instant la main, vite reprise; où Pierre le Grand, le tsar-géant, enlevait dans ses bras cet enfant qui était Louis XV; où une armée russe entrait à Berlin pendant que des armées françaises marchaient sur l'Elbe; où le Premier consul rendait à Paul Ier, réarmés et habillés à ses frais, les prisonniers de Zurich ; où Napoléon Ier et Alexandre s'em­brassaient, en présence de deux armées, sur le radeau de Tilsit; où le pavillon fleurdelisé de Charles X se mariait à l'aigle russe, dans les eaux de Navarin, pour rendre la liberté à un peuple.
Depuis lors, de nos jours, il s'était formé un courant de sympathie qui allait de Pétersbourg à Paris et de Paris à Moscou. Pendant la guerre franco-allemande, tandis que le gouvernement russe préparait nos défaites et qu'un tsar buvait aux victoires prussiennes, le peuple russe s'en affli­geait et les niait. Puis le gouvernement, comprenant enfin son erreur, s'apercevant que Sedan était pour lui ce qu'avait été pour nous Sadowa, se mettait à l'unisson de sa nation : en 1875, il opposait son veto à une nouvelle invasion de la France. Puis, peu à peu, un même sentiment pénétrait les peuples et les cabinets, sur la Neva comme sur la Seine ; et « l'entente cordiale », que personne n'osait qualifier d'alliance, naissait.
Mais le passé ne nous offre rien de pareil à ce qui s'ac­complit sous nos yeux. Aux salves tirées sous Cronstadt ré­pondent les salves tirées à Cherbourg ; aux toasts des grands-ducs amiraux, de l'aristocratie russe, de la municipalité pétersbourgeoise, répondent les harangues de commis-voyageurs, de sous-officiers, de simples ouvriers du port, fêtant à leur manière les hôtes venus de Russie.
28° année. — Tome XLVIII.
M. ALFRED RAMBAUD. — GRONSTADT ET CHERBOURG.
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Helvétie la combattre ; et le monarque le plus absolu de l'Europe télégraphie de cordiales félicitations au président élu de la grande République démocratique.
Et ce n'est pas tout. Un autre souverain, à la fois reine constitutionnelle d'Angleterre et impératrice autocrate des Indes, rivalise d'empressement ; elle veut, elle aussi, accueil­lir cette flotte, saluer ce drapeau, entendre cet hymne ré­publicain.
Tandis qu'il est encore des Français qui, semblables à ces aveugles dont parlait Bonaparte à Campo-Formio, nient la République, les deux principaux potentats du globe font fête à son pavillon.
La seule différence entre ces deux fêtes navales, c'est qu'à Portsmouth nous déposerons courtoisement une carte de visite et qu'à Cronstadt nous avons serré un pacte.
Comment avons-nous conquis cette place dans la considé­ration des peuples et des rois? Uniquement par cette sa­gesse qu'un Thiers nous a prêchée, qu'un Gambetta nous a prônée, que nous avons toujours observée dans nos relations extérieures, si nous ne l'avons pas toujours pratiquée dans nos affaires domestiques; par vingt ans de lourds sacri­fices acceptés sans un murmure, par un lent, patient, acharné travail de relèvement, par l'effort continu de la na­tion sous les gouvernements les plus divers et sous des cabi­nets un peu trop multipliés. Ce que le tsar a salué, c'est cette flotte magnifique, ce matériel de premier ordre, cet incom­parable personnel de marins et d'officiers ; c'est la formi­dable armée de terre dont cette armée de mer est la sœur ; c'est la puissance de la France reconstituée dans tous ses éléments ; c'est cette diplomatie de la République, con­stamment tendue vers un même but, et dont les agents les mieux accrédités en ce moment sont les amiraux à leur bord; c'est cette force gigantesque qui se révèle tout à coup au monde et qui vient se mettre au service du droit euro­péen et de l'équilibre.
Cette entente franco-russe, nos ennemis communs en ont-ils assez nié la possibilité ! 11 y a quatorze ans encore, nous opposaient-ils avec assez de morgue, pour décourager de folles espérances, « l'accord infrangible des trois empe­reurs » !
Ont-ils fait depuis assez d'efforts pour la rendre impos­sible! Tantôt leurs journaux nous avertissaient charitable­ment que nous allions nous déshonorer en nous asso­ciant avec des « barbares», dénigrant les efforts accomplis par la Russie depuis trente années pour prendre son rang parmi les nations modernes, nous faisant honte de cette union contre nature entre une autocratie et une république. Tantôt ils se tournaient vers le tsar, nous dénonçant au pe­tit-fils de Nicolas Ior comme les incorrigibles révolution­naires de 1793, de 1830 et de 1848, comme les boute-feux de l'Europe, comme un fléau dont une Sainte-Alliance nou­velle pouvait seule arrêter la contagion.
Aujourd'hui, la France et la Russie se sont trouvées face à face, écartant de la main les intermédiaires et les calom­nies. L'effet de ce contact assurément était prévu, mais per­sonne n'avait pu en mesurer toute la puissance. Cela a été comme un choc, tant l'émotion sympathique a été vive dans les cœurs des Français et des Russes, tant l'émotion con­traire a été poignante chez d'autres.
Cette masse solide et compacte de la nation russe en res­sentira longtemps l'ébranlement; des deux capitales il se propagera dans les villes et les villages, parmi les grands paysans barbus, jusqu'à ces tribus allogènes campées sous des tentes de feutre et pour lesquelles le nom de la France n'est qu'un mot héroïque, et ce qu'elles peuvent savoir de son histoire qu'un fabuleux roman.
Ces cris de Vive la France ! Vive la Russie ! ne sont pas de vaines clameurs, écho de l'enthousiasme d'un jour et qui s'oublieront quand les illuminations seront éteintes. Ils révèlent un état d'âme qui préexistait chez les deux peuples; ils leur font prendre conscience de leurs senti­ments profonds. Us sont le dernier terme d'une évolution commencée chez nous par tous ceux qui ont eu à cœur de faire connaître le passé de la Russie, ses tendances nou­velles, ses guerriers, ses littérateurs, ses penseurs, ses ar­tistes, Skobélef et Dostoïevski, Gourko et Tolstoï, Annenkof et Rubinstein. Ce n'est pas une armée seulement que nous acclamons : c'est une nation qui a pris sa part dans toutes les œuvres de civilisation, accru le patrimoine artistique et scientifique de l'humanité, ajouté une corde à la lyre européenne.
Cette rencontre des deux nations par les deux flottes, ces salves répercutées des roches de la Livonie aux granits de la Finlande, ces pavillons hissés dans l'enlacement de leurs plis et appuyés par la voix du canon, c'est la réponse de la France et de la Russie à des provocations que jusqu'ici elles avaient dédaignées et qu'elles peuvent continuer à mépriser.
C'est notre réponse à ces procédés du jeune empereur allemand, récompensant le respectueux accueil fait à sa mère par de nouvelles rigueurs contre l'Alsace; notre ré­ponse au renouvellement de l'alliance impie entre l'Italie et les barbari tedeschi que nous l'avions aidée à mettre hors de chez elle; notre réponse aux velléités d'immixtion du cabinet tory dans ces affaires européennes dont il ne s'oc­cupe jamais qu'à notre détriment. Réponse amicale et cour­toise : il est seulement averti que certaines démonstrations trop indiscrètes dans les eaux de la Méditerranée pourraient avoir pour conséquence d'autres démonstrations quelque part dans la lointaine Asie.
Cet équilibre européen, préconisé par la Triple alliance, reposant uniquement sur l'humiliation de la France, le voilà rectifié. Rectifié et raffermi. A l'occasion, on le trouvera con­solidé par deux millions de baïonnettes à l'Occident et deux millions de baïonnettes à l'Orient.
Si la Triple alliance n'a vraiment à cœur que le maintien de la paix, elle ne peut s'offenser de « l'Entente franco-russe », car celle-ci également ne se propose que la paix européenne. Seulement elle entend la protéger même contre le retour des fantaisies gallophobes à la Crispi et contre les coups de tète qui peuvent se produire n'importe où. Us n'étaient que trois, puis quatre à garantir la paix. Nous voilà maintenant à six de jeu, et les deux nouvelles paires d'épaules qui viennent s'accoter à la boule instable du monde ne sont pas les moins robustes.
Alfred Rambaud.
ARVÊDE BARINE. — UNE VISITE A L'ORDRE DE MALTE AU XVIIe SIÈCLE. 163
langage respiraient une dignité tout ensemble cour­toise et austère qui frappa ses hôtes. Leur surprise s'accrut en parcourant la galère. Le dernier des mate­lots s'exprimait avec une urbanité qu'on rencontrait rarement, a cette époque, en dehors des cours. Le gouverneur du jeune comte ne put s'empêcher d'en faire la remarque au capitaine, qui lui répondit gra­vement que « les serviteurs étaient imbus de l'esprit de leurs maîtres » et que « la beauté des travaux des chevaliers se réfléchissait jusque dans leurs esclaves ».
Il leur dit aussi que l'Ordre possédait cinq galères de combat pareilles à celle-ci, plus le vaisseau amiral, l'é­norme Saint-Jean-Baptiste. L'équipage de chaque galère se composait du capitaine, de vingt-cinq chevaliers, commandant chacun à cinq hommes d'armes, et d'envi­ron deux cents esclaves, pour la plupart des renégats, des Maures et des Turcs, qui faisaient le service de ra­meurs et les nettoyages. Depuis que le temps des con­quêtes était passé et qu'il avait fallu abandonner la Terre-Sainte d'abord, Rhodes ensuite, après l'avoir dé­fendue plus de deux siècles, les moines-chevaliers s'é­taient consacrés à faire la police de la Méditerranée, in­festée par les pirates de la côte africaine. Chaque année, une flotte nombreuse, composée de vaisseaux de toutes les grandeurs, mettait à la voile et balayait la mer. Dans l'intervalle des grandes expéditions, des galères bien armées croisaient dans les eaux fréquentées par les pirates. Celle qui venait d'entrer à Naples allait re­partir le lendemain matin pour donner la chasse à deux brigantins qu'on avait vus rôder entre la Corse et la Sicile.
Le comte George-Albert redescendit à terre plus ré­solu que jamais à connaître l'Ile des Héros, ainsi qu'on avait surnommé Malte. Une seule considération l'arrêtait. A son arrivée à Naples, son banquier lui avait remis une lettre qui n'avait mis que trois mois, grâce à un concours de circonstances providentielles, à venir d'Allemagne en Italie. — « Elle ne s'est arrêtée que dix jours à Nuremberg et neuf à Augsbourg, » disait le banquier avec admiration. — La lettre était de la mère de George-Albert, la comtesse douairière d'Erbach, qui avait pris la plume sous l'empire d'une affreuse inquiétude. Elle avait reçu la visite de son gendre le margrave, qui lui avait fait un tel tableau de l'Italie, que la pauvre femme n'espérait presque plus revoir son fils. Le margrave avait particulière­ment insisté sur les dangers de la Méditerranée, mais ce n'était pas des pirates, comme on pourrait le croire, qu'il avait fait peur à la vieille comtesse, c'était « des baleines et des aigles de mer ». Elle racontait à George-Albert qu'elle en avait rêvé la nuit, et le sup­pliait tendrement de ne point s'exposer et de revenir bientôt à la maison. Que deviendrait-elle en appre­nant que ce fils chéri naviguait au loin parmi les monstres marins?
George-Albert hésita plusieurs jours à causer ce
UNE VISITE A L'ORDRE DE MALTE AU XVII8 SIÈCLE
La noble famille d'Erbach, en Hesse, a conservé dans ses archives de nombreux documents relatifs aux aventures d'un de ses aïeux, le comte George-Albert d'Erbach, mort en 1648. Une main princière vient d'offrir au public anglais une agréable compilation de ces papiers intimes (1). La portion du volume qui contient la visite du héros à Malte est de beaucoup la plus intéressante. Nous y voyons les chevaliers de Malte chez eux, au commencement du xvii° siècle, avant la décadence, et nous nous prenons à regretter, en songeant aux destinées ultérieures de l'Ordre, que les Turcs ne soient pas venus bientôt après prendre l'île d'assaut et que ses défenseurs n'aient pas été massa­crés jusqu'au dernier, comme ils avaient failli l'être lors du siège de 1565. Ils auraient du moins fini d'une manière digne d'eux. L'objet de cet article est de faire partager nos regrets aux lecteurs de la Revue.
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Au printemps de l'année 1617, quelques nobles alle­mands qui voyageaient pour leur plaisir se trouvèrent réunis à Naples et visitèrent ensemble les curiosités de la ville. Le personnage le plus important de la bande, et non le moins entreprenant, était le jeune comte George-Albert, vingt-deuxième enfant du feu comte d'Erbach. Il faisait son tour d'Europe avec son gouver­neur, pour compléter son éducation, et ne demandait toujours qu'à aller de plus en plus loin. Sa famille avait beau le rappeler, il avait mis dans sa tête de ne pas reprendre la route du Rhin avant d'avoir vu Malte, célèbre dans tout l'univers chrétien depuis que les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem y avaient fixé leur séjour.
Pendant que les voyageurs allemands examinaient les monuments, regardaient passer le beau monde sur les promenades et goûtaient les vins du pays, « doux comme le miel et chauds comme le feu », il arriva qu'une galère de Malte entra à Naples pour se ra­vitailler. Ils se rendirent au port pour la visiter. A peine le comte George-Albert eut-il posé le pied sur le pont, qu'il lui sembla être dans un autre monde, où les manières de penser étaient pour lui aussi nou­velles que les mœurs et les costumes. Il fut reçu par le capitaine, qui portait la tunique en soie pourpre des chevaliers en campagne. La croix blanche à huit poin­tes était attachée sur sa poitrine. Sa personne et son
(1) The Adventures of Count George-Albert of Erbach, — Londres, 1 vol. — La compilation est l'œuvre de M. Emile Krauss. Elle a été traduite en anglais par la princesse Béatrice de Battenberg.
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grand chagrin à sa mère, mais l'attrait que l'Ile des Héros exerçait alors sur les imaginations était trop fort pour y résister. Les autres seigneurs allemands cé­daient à la tentation et partaient pour Malte. Il s'em­barqua avec eux.
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Ils arrivèrent sans encombre au port de la Valette et reçurent l'hospitalité dans la maison des chevaliers allemands. C'était une demeure somptueuse, remplie d'objets d'art et de collections d'armes, et où on leur fit un accueil fort civil. Les chevaliers profitèrent de l'oc­casion pour demander des nouvelles de leur patrie ; mais chaque parole échangée faisait mesurer à leurs hôtes l'abîme qui les séparait, eux protestants et mon­dains, des habitants de ce couvent militaire où survi­vait quelque chose de l'esprit religieux de l'Ancien Testament. Le Dieu qu'on adorait à Malte avait les passions farouches du Jéhovah d'Israël. Il exigeait de même qu'on égorgeât ses ennemis, jugeait de l'amour de ses enfants d'après la quantité de sang musulman qu'ils avaient répandue, et se tenait auprès d'eux dans la mêlée pour les aider de son bras tout-puis­sant. — «Du moment que nous tirons nos épées au nom de Dieu, disait un chevalier aux étrangers, il faut que nous frappions plus fort qu'un soldat appartenant au siècle. Nous nous efforçons d'imiter les Machabées. Les grands-maîtres ont tous veillé, l'un après l'autre, à ce que les mains et les cœurs des frères fussent tou­jours prêts à frapper. »
Le même frère raconta qu'il s'était trouvé à une ba­taille, au Maroc, où l'armée de Malte avait failli être battue par les infidèles. Au moment le plus critique, le grand-maître accourut « en criant que nous ne ga­gnions pas un pouce de terrain parce que nous n'a­vions pas assez prié. Il nous commanda en consé­quence de descendre de cheval et de nous prosterner dans la poussière : le païen pouvait attendre, et Dieu étendrait sur nous son bouclier ». Ils obéirent, et il éclata aussitôt à tous les yeux que le Dieu des ba­tailles était là, prêt à aider les siens dès qu'ils l'implo­reraient : — « Nous sautâmes tous à bas de nos che­vaux, poursuivit le chevalier, et demeurâmes un bon moment en prière. Les Maures restèrent immobiles comme s'ils avaient pris racine. Nous fondîmes ensuite sur eux avec un cri sauvage, et ils s'enfuirent à l'in­stant, en abandonnant un butin considérable. Des aventures de ce genre prouvent que le Dieu du ciel et de la terre est avec nous. »
L'Ordre tout entier vivait dans l'attente et l'espoir de réjouir le Seigneur avec du sang d'infidèle. C'était sa raison d'être. C'était pour tuer des musulmans qu'il avait été fondé au début des croisades, et les services qu'il avait rendus à la chrétienté étaient dus à ce qu'il n'avait jamais oublié quelle était sa fonction sur la terre. Tandis que les puissances chrétiennes se fai-
saient la guerre entre elles, il n'avait de pensée que pour l'ennemi commun, et il coulait un bateau turc, saccageait un port, soutenait dans ses forteresses des sièges, prodigieux. II faut se rappeler le long duel entre l'Orient et l'Occident, alors qu'il s'agissait de savoir si le monde civilisé serait chrétien ou musulman, pour apprécier ce que fut ce rempart vivant de moines en cuirasses. Leur idée fixe faisait leur force.
Elle leur donnait d'autre part, dès l'année 1617, un certain air d'hommes d'un autre temps. Leurs visi­teurs allemands s'aperçurent avec étonnement que les chevaliers savaient très peu ce qui se passait en Europe et s'en souciaient médiocrement. Cela ne les regardait plus. Ils s'intéressaient beaucoup moins aux projets de l'empereur d'Allemagne qu'à la campagne de leur ga­lère de Naples, qui venait de capturer un bateau tuni­sien et d'en massacrer l'équipage jusqu'au dernier. George-Albert recueillit l'aveu de leur indifférence de la propre bouche du grand-maître, Alof de Vignacourt, un jour qu'il avait l'honneur de dîner à sa table. Le comte et ses compagnons de voyage étaient très préoccupés des nouvelles d'Allemagne, où s'annonçait une tempête qui devait être la guerre de Trente ans. On en causa à table, et le grand-maître fit deux ou trois questions ou remarques, mais ce fut pour ajou­ter : — « Nous nous inquiétons peu ici de ce qui se passe dans le monde. »
La conversation effleura ensuite des sujets religieux, et la surprise du jeune d'Erbach arriva à son comble. Il ne lui avait pas échappé que plusieurs chevaliers avaient vu de mauvais œil la réception honorable faite à des seigneurs protestants. Deux frères espagnols s'étaient même permis en sa présence des remarques sarcastiques sur la religion luthérienne. Il en avait été piqué, et l'impétuosité de la jeunesse l'entraîna à faire une sortie au grand-maître sur les droits des protes­tants à prêcher et prier comme ils l'entendaient. Alof de Vignacourt l'écouta en souriant d'un air paternel et approbateur, puis il prit la parole, et sa placidité s'expliqua. Il ne comprenait pas bien de quoi il s'agis­sait, parce qu'il n'avait que des notions très vagues sur la confession évangélique. Il avait été reçu cheva­lier dès le berceau, avant d'avoir entendu parler de la Réforme, et il ne savait rien en dehors des affaires de l'Ordre et de celles des Musulmans, car on ne s'occu­pait jamais d'autre chose à Rhodes ou à Malte.
Cette ignorance hautaine était accompagnée d'un pieux attachement au passé. Toute nouveauté passait pour impie. On raconta avec indignation aux étran­gers qu'au xve siècle, quelques frères s'étaient hasardés à porter dans la maison, aux jours de paix, les tuni­ques courtes réservées par le règlement pour l'exer­cice et la guerre. Le grand-maître d'alors avait ré­primé énergiquement leur essai d'innovation, que personne n'avait jamais osé renouveler, et les chevaliers avaient toujours pour costume d'intérieur, en 1617,
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« la longue et majestueuse robe noire » comme au temps de Godefroy de Rouillon.
Il était cependant un article sur lequel il avait fallu admettre des concessions. L'armement s'était transformé depuis le xne siècle, et Malte ne pouvait s'en tenir aux flèches et aux lances quand tout le monde avait des armes à feu. L'Ordre s'était résigné à se servir des nouvelles inventions. Toutefois, il le faisait telle­ment à contre-cœur, que les nobles allemands le trouvèrent bien arriéré. Son magnifique arsenal res­semblait plutôt à un musée d'armes anciennes. Il con­tenait de longues rangées de lances et de halle­bardes, de vastes armoires pleines d'épées, de rapières et de poignards de toutes les formes et de toutes les espèces, des casques curieusement travaillés, des arcs en bois, des arbalètes. Il contenait aussi de l'artillerie et des mousquets, mais dans une proportion qui arra­cha des exclamations à l'un des visiteurs. Cet hérétique ne put s'empêcher de s'écrier, en s'adressant au che­valier qui les promenait : — « Vous devriez avoir plus de pièces de campagne et d'armes à feu! » — La ré­ponse du chevalier mérite d'être citée mot à mot.
— « Vous pouvez avoir raison, répliqua-t-il ; mais il existe chez nous une vieille tradition qui veut que la lance et l'épée conviennent seules à un vrai chevalier. De nos jours, on entend répéter sans cesse que les guerres entre nations sont décidées par les armes à feu; mais nous ne les aimons pas, et beaucoup de frères soutiennent même que la longue portée des armes à feu donnera le coup mortel à notre Ordre. »
En sortant de l'arsenal, les voyageurs assistèrent à la revue d'un corps de chevaliers qui allaient s'embar­quer pour une expédition, et ils constatèrent de leurs propres yeux l'attachement des frères à la tradition. Chaque homme était armé d'une énorme épée et de deux grands poignards. Quelques-uns y avaient joint une lance. Quelques autres portaient des mousquets, mais c'était des fantaisies individuelles que l'on tolé­rait sans les encourager.
Rendons-leur cette justice qu'ils respectaient les tra­ditions chez les autres, exception faite, bien entendu, pour tout ce qui sentait le mahométisme. George-Al­bert avait été visiter la flotte qui emportait le corps expéditionnaire. Comme il redescendait à terre, l'un des dignitaires de l'Ordre lui montra une petite cha­pelle située sur le port, et lui dit : — « Cette maison de prière nous est très précieuse. Quand nous sortons du port, aussi bien que lorsque nous y entrons, un prêtre y dit la messe pour nous. Combien de chevaliers mortellement blessés au loin se sont écriés : « Sei­gneur, donne-moi de revoir encore une fois la cha­pelle du port ! »
— Mais, fit avec hésitation l'un des compagnons du comte, pourquoi y a-t-il une statue de Neptune, avec son trident, sur la fontaine qui est devant la chapelle?
Le dignitaire leur expliqua, sans aucun embarras,
que c'était pour faire plaisir aux Maltais qui, tout en étant de bons chrétiens, restaient très attachés aux vieilles divinités païennes. Lors de la fondation de la Valette — il y avait de cela environ un demi-siècle — les habitants avaient placé là une ancienne statuede Neptune. Le grand-maître l'avait fait détruire et l'avait remplacée, sur la demande des frères espagnols, par une statue du bienheureux Gonzalve, patron des matelots. Quelques jours après, on trouva un autre Neptune à la place du bienheureux Gonzalve, et, cette fois, on le laissa en paix. Quand les galères de l'Ordre sortaient du port, les chefs invoquaient dans leur cœur le Dieu de la chapelle, les humbles celui de la fontaine, avec son trident, et leurs vœux à tous étaient également exaucés, ou également dédaignés.
On vanta beaucoup aux voyageurs le soin avec lequel les grands-maîtres veillaient à ce qu'il n'y eût jamais rien de modifié, soit dans la discipline, soit dans les usages. Un instinct avertissait les membres de l'Ordre qu'ils appartenaient à une institution incapable de se transformer, et qu'il vaudrait mieux pour eux dispa­raître que de changer un bouton à leurs uniformes surannés. Leur costume pittoresque et leur foi dans leur mission inspirèrent une sincère admiration aux visiteurs allemands. Plusieurs de ceux-ci ne furent pourtant pas fâchés de se rembarquer. Le séjour de Malte paraissait un peu sévère, à la longue, à des gens qui ne songeaient nullement à prononcer des vœux. Les repas, en particulier, ressemblaient un peu trop « à des réunions apostoliques ». Le comte d'Erbach et ses compagnons repartirent pour Naples le 12 mai 1617. Mais ils n'en avaient pas fini avec l'Ordre.
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Pendant la traversée, ils furent trahis par le capi­taine de leur bateau et livrés à des pirates maures. Plusieurs Allemands furent tués en se défendant. Le reste fut mené à Tunis et réduit en esclavage.
George-Albert se trouvait au nombre des survivants. Son premier soin fut d'écrire à sa famille et à Malte, pour demander qu'on s'occupât d'eux. Quinze* jours après, trois marchands, deux Maltais et un Turc, se présentaient de la part du grand-maître et offraient de racheter les dix nouveaux esclaves chrétiens. Ces hommes paraissaient avoir une grande expérience de ces sortes de transactions, et ils évaluaient le prix du lot à 25 000 couronnes. Ils avaient l'argent en poche. Les Maures ne demandaient qu'à rendre leur prise moyennant rançon. C'était marché conclu, sans la ré­sistance inattendue des Allemands.
Plusieurs de ceux-ci étaient riches, et l'un des plus riches, le comte d'Erbach, n'était rien moins qu'avare pour les dépenses d'agrément; pendant son voyage, il avait semé les écus avec une libéralité qui lui avait attiré des remontrances de sa famille. Tous ensemble
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Cependant le bruit de ses souffrances et de sa con­stance était parvenu jusqu'aux oreilles de sa mère et de ses frères, qui s'étaient réunis pour aviser aux me­sures à prendre. Leur bonne volonté était extrême, leur sens pratique beaucoup moindre. Ils ordonnaient des prières publiques de tous les côtés. La comtesse douairière s'ingéniait à faire passer à ce malheureux, qui travaillait à peu près nu à transporter de l'eau et des pierres, un paquet contenant « une petite chaîne d'or, une echarpe, une paire de bas de soie rouge et une demi-douzaine de paires de gants danois ». On s'occupait des économies à faire et des cochons gras à vendre pour boucher le trou que la rançon de George-Albert allait faire dans la caisse de la famille. Il est vrai qu'on donnait en même temps des ordres pour réunir 30 000 couronnes, mais il est probable que George-Albert n'aurait jamais revu sa patrie sans l'Ordre de Malte ; dans l'état d'épuisement auquel il était réduit, les secours de Hesse seraient arrivés trop tard.
Le grand-maître avait résolu de sauver malgré eux ces originaux Allemands, et il s'était hâté de renvoyer à Tunis un autre marchand maltais. Soit dit en passant, le droit des gens de ce temps-là est une chose bien obscure. Pendant les cinq ou six mois que dura la captivité du jeune d'Erbach, on assiste à un va-et-vient continuel entre la côte d'Afrique et l'Europe, sans que Maltais ou Italiens soient le moins du monde molestés. On les savait pourtant porteurs de grosses sommes, et les récits des contemporains sont unanimes à constater l'insécurité de la Méditerranée. En vertu de quel prin­cipe les pirates enlevaient-ils celui-ci et respectaient-ils celui-là ? En France même, et sous Louis XIV, il était imprudent à un grand personnage de s'approcher sans escorte de notre frontière de l'Est, en pleine paix, parce qu'il s'exposait à être enlevé par les partisans allemands, dont les souverains n'étaient pas respon­sables, apparemment, des méfaits de ces pirates de terre ferme. Tout cela est bizarre.
Cependant le comte d'Erbach était tombé grave­ment malade de la petite vérole. Il persistait toujours à ne devoir sa délivrance « qu'aux secours miraculeux de Dieu », qui ont l'avantage de ne rien coûter. On avait évidemment oublié, dans son enfance, de lui apprendre le sage proverbe : « Aide-toi, le ciel t'aidera. » Il finit par perdre connaissance, et ce fut son salut. Quand il parut expirant, le marchand maltais renouvela ses offres, avec un rabais d'un tiers à cause de l'état de la marchandise. Les Maures, qui craignaient à présent de tout perdre, acceptèrent avec empressement, et les compagnons de George-Albert, moins stoïques ou moins ménagers que lui, n'élevèrent point d'objec­tions. Quelques jours plus tard, le jeune comte était couché dans une salle magnifique, garnie de tapis d'Orient. Une croix blanche à huit pointes était brodée sur son couvre-pieds, et des hommes graves, en
repoussèrent néanmoins avec énergie les propositions du grand-maître. La pensée de donner leurs bons gulden aux Maures leur était insupportable. Ils avaient tou­jours soutenu aux pirates qu'ils étaient de pauvres dia­bles, simples étudiants ou soldats de fortune, incapa­bles de payer une grosse rançon, et ils s'étaient juré de périr sous le bâton plutôt que d'avouer qui ils étaient. Les Maures, qui s'y connaissaient en physionomies et en habillements, s'étaient juré de leur côté de ne pas en avoir le démenti. Ils leur faisaient donner des baston­nades épouvantables, les employaient aux plus rudes travaux sous un soleil ardent, les enfermaient dans des cachots pleins de scorpions et les mêlaient aux galé­riens ce qui étaitpeut-être le plus pénible de tous les sup­plices. Les Allemands dépérissaient, s'évanouissaient, tombaient malades; mais ils tenaient bon. Les envoyés du grand-maître n'y comprenaient rien et s'efforçaient de les raisonner : autant en emportait le vent. George-Albert se montrait le plus intraitable de la bande. Il consentait à ce qu'on payât pour eux 600 couronnes par tête, 700 à la dernière extrémité : pas un sou de plus, quand ils devraient mourir jusqu'au dernier. Les Maltais n'en pouvaient croire leurs oreilles et reve­naient voir après la bastonnade si sa seigneurie avait changé d'avis. Ils trouvaient le comte brisé et inflexi­ble. Pour dernier argument, ils le prévinrent de la part du grand-maître qu'il s'exposait à être expédié au sérail du sultan, à Constantinople. George-Albert maintint son chiffre maximum de 700 couronnes, ajoutant « que, s'il était dans les desseins de Dieu qu'il mourût en captivité, il était prêt à se soumettre à sa volonté ».
Était-ce héroïsme? Était-ce bêtise? Chacun en déci­dera selon son humeur. Il entre tant de convention dans la définition de ce qui vaut la peine qu'on donne sa vie en échange, qu'il est difficile d'en juger pour les autres. Il faut en outre tenir compte du prix très variable que chacune de nous attache à l'existence. De sorte qu'il est quelquefois impossible, lorsqu'un homme s'expose volontairement à la mort, de distin­guer entre une action sublime et une sottise, ce qui ne laisse pas d'être attristant.
Les Maures ayant refusé dédaigneusement les 700 couronnes, le comte pria les Maltais de s'en retourner chez eux et de ne plus s'occuper de lui. Il renvoya de même un moine italien, député par un ami d'Allemagne pour négocier sa rançon. Une jeune Orientale très belle, qui parlait français et n'était rien moins, affirmait George-Albert, que la propre fille du bey de Tunis, succéda au moine et s'efforça à son tour de fléchir ce cœur inexorable. Elle le suppliait tendre­ment, entre deux soupirs, de lui avouer son nom et son rang, et de ne point s'exposer à de nouvelles tor­tures. La charmante Sélima perdit ses peines. Le comte ne laissa pas échapper son secret, ce qui lui valut le soir même une bastonnade exemplaire.
M. H. WALLON. — LE GÉNÉRAL DECLAYE.
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longue robe noire, se relayaient auprès de son lit. On l'avait rapporté à Malte, et il était soigné dans l'infir-merie des chevaliers. Ceux-ci bercèrent sa conva­lescence d'histoires de batailles dans lesquelles des frères « fauchaient les Turcs comme s'ils étaient de jeunes orangers ». D'autre part, le règlement lui rap­pelait à toute heure qu'il était dans une maison reli­gieuse, où n'étaient tolérés ni le bruit ni les divertis­sements profanes. Il se remit rapidement, et il ne tenait qu'à la petite troupe allemande d'emporter les plus purs souvenirs de la poétique Ile des Héros.
La question d'argent vint encore tout gâter. On aura peine à croire que lorsqu'il s'agit de rembourser à l'ordre de Malte les 24 034 écus dépensés pour les sauver, ces nobles Allemands se renvoyèrent la note de l'un à l'autre. Ils passèrent plus de neuf mois à se dis­puter et à se battre en duel à qui ne payerait pas, don­nant ainsi raison aux chevaliers espagnols et italiens, qui s'étaient opposés de toutes leurs forces à ce qu'on-exposât l'argent de la communauté pour de vils hé­rétiques. Inutile d'ajouter que le comte d'Erbach, tel que nous le connaissons, se serait fait hacher plutôt que de donner un thaler en sus de sa quote-part. D'au­tre part, le grand-maître était décidé à ne pas les lais­ser partir avant qu'ils se fussent acquittés. Us ne s'y résignèrent qu'au mois de juillet 1618. Une galère de l'Ordre les transporta sur-le-champ à Naples, d'où ils regagnèrent l'Allemagne.
Peu nous importe ce qu'ils devinrent ensuite. Ils ne sont pas intéressants. L'Ordre de Malte l'est au contraire infiniment, avec son respect superstitieux de la tradi­tion et sa pieuse soif du sang infidèle. On voudrait pouvoir ajouter ici qu'il ne s'est jamais réveillé de son rêve héroïque, et qu'il ne reste plus de lui qu'une épi-taphe sanglante et glorieuse. Mais il ne devait pas avoir ce bonheur de disparaître dans sa gloire. On ne le sait que trop, quand on a vu la maison de Rome qui remplace aujourd'hui le palais de Malte.
Elle est admirablement située, dans un des rares quartiers demeurés à l'abri des démolisseurs et des ma­çons. La ville des papes, chère aux artistes, disparaît si rapidement, cédant la place à une capitale moderne qui sort de terre toute à la fois, que Rome a en ce moment l'aspect d'un chantier. Parmi les asiles qui restent encore au flâneur, il n'en est point de plus paisible que le mont Aventin. C'est une solitude où les ruines antiques affleurent dans des champs de vi­gnes, et où de vieilles églises dorment entre des jar­dins silencieux. Le flanc de la colline qui longe le Tibre est à pic, et là, au bord même de l'escarpement, dominant le fleuve de très haut et ayant l'air de veiller de loin sur Saint-Pierre, s'élève le prieuré de l'Ordre de Malte.
De grands murs nus ceignent son enclos. On ne s'at­tend pas à rencontrer à l'intérieur des gens en armes, la croix à huit pointes sur la poitrine. Il semble, ce-
pendant, que les grandes figures des héros de l'Ordre devraient planer sur la maison et la préserver de cer­tains arrangements trop modernes et trop bourgeois. Hélas ! on aperçoit d'abord dans le jardin une salle de café, garnie de petites tables et de chaises. On entre dans la maison, et l'on trouve un billard. Le prieuré n'est plus qu'un rendez-vous champêtre où d'honnêtes gens en redingote, qui s'amusent à s'appeler cheva­liers de Saint-Jean de Jérusalem, viennent faire une partie et boire un bock. Devant cette fin lamentable d'une institution héroïque, on se prend à regretter, ainsi que nous le disions au début, que l'Ordre n'ait point péri, il y a deux ou trois siècles, dans quelque tourmente gigantesque. Et l'on sort du prieuré du mont Aventin en se disant que, pour les institutions comme pour les individus, le plus difficile est toujours de bien mourir.
Arvède Barine.
LE GÉNÉRAL DECLAYE
Commandant de place à Cambrai et à Lyon en 1793.
Le général Declaye, qui commandait à Cambrai au moment le plus critique de la campagne de 1793, a été l'objet d'une erreur considérable dont la rectification est d'autant plus nécessaire que l'ouvrage où on la trouve paraît avoir plus d'autorité : je veux parler de la Défense nationale dans le Nord de 1792 à 1802 (1), grande et belle publication entreprise aux frais du département du Nord et dont le premier volume a paru l'an dernier. Les écrivains auxquels la rédaction en a été confiée avaient surtout à mettre en œuvre, outre les actes des administrations locales, la correspondance des généraux et des représentants en mission avec le ministre de la guerre, la Convention ou le comité de Salut public, et, tout en recueillant ce qu'ils en trouvaient imprimé dans le Moniteur, ils ont large­ment puisé dans les archives du département; mais, chose singulière ils paraissent avoir négligé les deux principaux dépôts où sont réunies les pièces de cette correspondance : les archives du ministère de la guerre et les archives nationales. C'est faute d'y avoir recouru que le rédacteur du chapitre relatif à Cambrai, M. Du-rieux, a commis la grave erreur que je vais relever sur le général Declaye; en me bornant à réunir ici quel­ques pièces qui pourront servir de supplément à ce chapitre, j'espère montrer combien il importe que ces deux grandes sources de notre histoire politique et militaire soient mises à profit pour les volumes qui vont suivre.
(1) Lille, imprimerie Lefebvre-Ducrocq, 1890.
M. H. WALLON. — LE GÉNÉRAL DECLAYE.
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général Gudin. Il compte que les ordres sont si clairement donnés et le concert si bien établi dans les opérations, qu'il n'en peut naître aucune confusion. Dans tout ce que vous aurés à faire, pensés à la patrie et aux efforts que vous lui devés (1).
Declaye sortit de Cambrai dans la nuit du 11 au 12 septembre, après minuit, emmenant la plus grande partie de la garnison de la place : 2500 hommes d'in­fanterie, 250 de cavalerie, 120 artilleurs bourgeois avec leurs pièces, et il fut rejoint par 1300 hommes de la garnison de Rouchain qui avaient aussi du canon; soit en tout 4000 à 5000 hommes : c'est le nombre donné par les représentants Lacoste et Peyssard sur les renseignements qu'ils recueillirent le 13 à Arras. Je ne vois pas bien sur quels documents le rédac­teur du chapitre cité porte à 6000 les seules forces tirées de Cambrai : « Declaye, dit le même auteur, commit la faute impardonnable de ne pas faire éclairer préalablement la route qu'il devait suivre. A la hau­teur et presque en front du camp d'Estrun, dans les plaines légèrement ravinées entre Avesnes-le-Sec et Iwuy, il fut surpris par un gros de cavalerie ennemie de Bellegarde, comptant dix escadrons de hussards autrichiens, les chevau-légers de Kinski et deux esca­drons de Nassau et de Royal-Allemand. Pour faire face à une attaque si imprévue, le général s'obstina, malgré les sages avis du capitaine Roquet, à vouloir engager son artillerie dans l'un des plis de terrain détrempés par les pluies, « boueux et impraticables, où les roues de canons s'enfonçaient jusqu'à l'essieu », rapportait un témoin qui avait pris part à l'action. L'ennemi attaqua nos artilleurs embourbés, sans qu'ils eussent pu établir leurs pièces, sur lesquelles ils subirent le premier choc et se firent hacher. Bientôt, accablés par le nombre et le défaut de la position, les nôtres ne durent plus songer qu'à la retraite qui fut une déroute, un sauve-qui-peut. Ils s'élancèrent vers Bouchain, dont la route était restée libre (2). » — Tous les canons étaient perdus et les trois quarts de la troupe tués, blessés ou faits prisonniers.
Declaye, entré un des premiers, il faut le dire, à Bou­chain, en repartit le même jour pour Cambrai; d'au­tres fuyards y avaient apporté cette nouvelle au moment où l'on carillonnait pour la victoire de Hondschoote. Un conseil de guerre fut réuni et, par surcroît de malheur, on reçut, quand il allait opérer, la nouvelle de la prise du Quesnoy. On avait écrit aussi au comité de Salut public, à la Convention, au minis­tre de la guerre. Le 15, deux délégués du comité de Salut public siégèrent avec les autorités de la ville pour informer sur ce grave échec. Declaye fut entendu
*
* *
Declaye n'était pas un militaire improvisé par la Révolution. Nicolas Declaye, né.à Liège le 8 juin 1758, entra au service à dix-sept ans. On le trouve soldat au régiment de Rerwick en 1775, sous-officier en 1780; attaché à l'état-major de l'île de Ré (21 août 1785), puis aide-major au 1er régiment de ligne belge (14 août 1790), major de la légion belge et liégeoise (1791), lieutenant-colonel (19 août 1792), colonel (20 mars 1793). C'est avec ce grade qu'il fut envoyé, en qualité de commandant de place, à Cambrai, et c'est alors qu'il commence à figurer dans le livre cité plus haut. Il trouva faveur dans la population. Comme il était question de l'envoyer ailleurs, le Conseil général de Cambrai insista auprès de Kilmaine, qui remplissait les fonctions de général en chef depuis le rappel de Custirie, pour qu'il restât dans la ville, et il y fut main­tenu en effet avec le grade de général et des pouvoirs qui s'étendaient à tout l'arrondissement le 28 juillet : c'était le jour de la capitulation de Valenciennes, évé­nement funeste qui laissait Cambrai à son tour exposé aux plus grands périls. Le 8 août, le général de Roros somma la place au nom du prince de Cobourg et reçut de Declaye une digne réponse. Mais les ennemis ne songeaient pas sérieusement au siège de Cambrai. Cobourg tournait les yeux vers Maubeuge, York vers Dunkerque. Cependant Kilmaine avait su mettre l'armée du Nord à couvert, en attendant qu'elle pût reprendre l'offensive : ce qui ne tarda point. Houchard, investi du commandement, dégagea Dunkerque par la bataille de Hondschoote (8 septembre), puis Jourdan son succes­seur débloqua Maubeuge par la bataille de Wattignies (16 octobre). Entre ces deux victoires de si grande im­portance se place un échec, le plus humiliant qui ait affligé nos armes sur cette frontière, et c'est Declaye qui l'avait subi.
Le général n'étant pas bloqué dans Cambrai, comme on avait pu le craindre, avait tenté, non sans succès, quelques sorties contre les détachements ennemis qui couraient le pays. Mais une opération plus importante se préparait.
Le 12 septembre, d'après des ordres du général en chef, une double attaque devait être dirigée, par le général de division Gudin, sur Anglefontaine, près du Quesnoy, et par Declaye, sur le camp de Solesme. Le plan en avait été agréé à Paris, et l'on a, en minute, de la main de Bouchotte, cette lettre adressée le 11 à Declaye :
Un député revenu de Maubeuge a rendu compte au Salut public et au Conseil exécutif des projets d'attaque que le général Gudin se propose d'exécuter et de la manière dont vous devés y concourir. Pour augmenter votre confiance dans les mouvemens qui auront lieu, je dois vous dire que le Conseil envoie le général de division Chancel seconder le
(1) Minute autographe de Bouchotte,Dépôt de la guerre, Armée du Nord, à la date.
(2) La Défense nationale dans le Nord, t. Ier, p. 655-656.
M. H. WALLON. — LE GÉNÉRAL DECLÀYE.
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et aussi les soldats, les gardes nationaux qui lui rap­portaient leur défaite et montraient leurs blessures : « Excessif, continue l'auteur, dans ses haines, comme dans ses enthousiasmes, de ce peuple immense qui moins de deux mois auparavant avait acclamé le com­mandant s'élève un cri unanime de réprobation. Accusé d'ignorance et d'incapacité par tous, Declaye est arrêté et envoyé à Paris. Trois jours après, le 18, le malheureux, condamné « comme traître et lâche », portait sa tête sur l'échafaud ».
Cette assertion, vu les usages du temps, devra pa­raître assez vraisemblable à tout le monde ; mais elle n'avait pas laissé que de me surprendre. Je n'avais pas trouvé le nom de Declaye parmi ceux que j'ai eus à enregistrer dans l'histoire du tribunal révolutionnaire de Paris, et d'autre part, dans mes études sur les Repré­sentants du peuple en mission, j'avais rencontré un gé­néral Declaye à Lyon, au mois de décembre suivant. Y avait-il eu deux généraux ainsi nommés? Je revis les pièces signées Declaye aux deux époques : or c'est bien la même signature, une signature très caracté­risée, un grand D suivi de sept jambages égaux, sauf la légère pointe de l'l et la queue de l'y. Nul doute : c'est bien aussi le même homme. Comment donc ce général, dénoncé comme un lâche et un traître à Cambrai, a-t-il pu se justifier à Paris ?
* *
11 y a, aux archives du ministère de la guerre, sur cet épisode du général Declaye, un assez grand nombre de pièces que je recommande aux auteurs de la Défense nationale dans le Nord, si, comme ils parais­sent en avoir l'intention, ils reprennent l'ensemble des opérations sur la frontière à cette époque. Ils les trou­veront à leur date dans ce Dépôt, où tous les docu­ments sont si parfaitement classés par armée et par jour.
A la date du 12, le jour même de la défaite, un pre­mier rapport du général sur son expédition. Il y ra­conte comment il avait chassé l'ennemi « de poste en poste », jusqu'au moment où il se vit en présence de forces supérieures, tourné par la droite et par la gau­che, et réduit à fuir par la faute des artilleurs qui n'a­vaient pas pu se mettre en batterie et des charretiers qui avaient coupé les traits de leurs chevaux, laissant les pièces.
Du 13, une lettre du même général au général D'Avaine qui comptait sur lui pour le lendemain :
Je n'ai à vous annoncer que de mauvaises nouvelles. Il n'est que trop vray que j'ai été hier battu : quand des offi­ciers d'artillerie et les canonniers abandonnent leurs pièces et quand les charretiers coupent leurs traits et se sauvent, il n'est pas difficile de croire qu'on sera repoussé.
Je suis un homme bien malheureux, mon bon camarade,
Vous savez combien j'aime la patrie, vous savez combien je gémis quand les troupes de la République essuient quelque échec. Il ne me reste qu'une chose à faire, c'est de me venger de ces scélérats du Nord. Cellier m'a écrit (1) ; il vous aime toujours, ainsi que le brave Bouchotte. A. de­main, vous aurez un rapport exact; mon ami, aimez-moi autant que je vous aime.
Le 14, il écrit au ministre lui-même en lui envoyant
son rapport ; ce sont les mêmes excuses, les mêmes serments de revanche :
Malgré toute la prudence que j'y ai mise et la crainte de trop exposer mes frères d'armes, j'ai eu le malheur d'être repoussé avec perte, et cela pour la lâcheté et la désobéis­sance de quelques individus dont je vous rendrai compte par le prochain courrier.
Je vous préviens, citoyen ministre, que j'ai invité, de concert avec le corps constitué de Cambray, les citoyens représentants du peuple, séant à Arras, de vouloir bien se rendre à Cambray pour examiner scrupuleusement de part et d'autre...
C'est avec bien de la douleur, citoyen ministre, qu'on vous rend des comptes aussi désagréables; ils nous ont re­poussés, mais ne nous ont pas ôté l'éternelle envie d'ex­terminer cette horde d'esclaves. J'espère ne pas perdre pour cet accident l'estime d'un ministre vertueux et des vrais sans-culottes.
C'est dans ces sentiments que je suis très fraternellement, citoyen ministre,
Le général commandant en chef Cambrai et arrondissement,
Declaye.
Mais il y a d'autres pièces où ce n'est pas lui qui parle :
Du 13, une lettre adressée au comité de Salut pu­blic par les deux représentants Élie Lacoste et Peys-sard qui, en arrivant à Arras du camp de Gaverelle, y ont reçu celte nouvelle imprévue :
Nous ne pouvions pas nous imaginer que la maladresse et l'ignorance eussent fait sortir en entier une garnison composée de 4000 ou 5000 hommes et qu'on l'eût faite mar­cher sans la faire précéder de quelques détachements pour éclairer les mouvements de l'ennemi et la faire replier de­vant des forces supérieures. Cependant il nous restoit quel­ques soupçons que le général Declaye, commandant de la place de Cambray, ne fût coupable de perfidie ou d'une ignorance véritablement criminelle.
Son projet avoit d'autant plus de publicité qu'une ordon-
(t) C'est le commissaire du Conseil exécutif qui avait le plus tra­vaillé à la mort de Custine. Il ne prit guère la peine de sauver D'Avaine du même sort.
6 P.
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nance, qu'il nous avoit envoyée avant-hier au soir, annon­çait cette sortie pour la nuit et que l'ennemi, qui ne manque pas d'espions, pouvoit être facilement instruit de la marche de nos troupes.
Un extrait du registre des délibérations du comité de Salut public de Cambrai, adressé au comité de Salut public de la Convention parle commissaire du Conseil exécutif Desponarède et rendant compte des séances du 11, du 12, du 13 et du 14 :
Le 11, on en est aux préparatifs de la sortie.
Le 12, on apprend la défaite.
Le 13, un des administrateurs du département, Fli-niaux, délégué à Cambrai, communique une lettre du commandant de Bouchain qui fait savoir en quelle dé­tresse est la place : de tous ceux qu'on lui a demandés, il n'y est rentré qu'environ cinquante ou soixante hommes (1)? — Là-dessus on fit venir le général :
Alors, le général, embarrassé, ne répondit que par ses pleurs; mais le commandant de la place, s'étant levé, dé­clara que l'armée entière étoit tombée sous le fer de l'en­nemi; que tous les canons et les caissons étoient pris; mais il en attribue aussi le fait aux canonniers.
Le 14, le commandant des canonniers de Cambrai vient les défendre contre ces imputations. Declaye ré­pond qu'il n'a incriminé que les charretiers (son rap­port du 12 et sa lettre du 13 à D'Avaine prouvent le contraire); mais le capitaine persiste à rendre le gé­néral responsable de la défaite et demande la réunion d'un conseil de guerre :
Le général, ne croyant pas devoir s'y opposer, le fait convoquer sur-le-champ. Le conseil de guerre n'ayant pas eu toute la publicité que les canonniers désiroient et n'ayant pas satisfait les membres du comité, il a été arrêté quïl seroit écrit de nouveau au général et au commandant de la place pour les engager à faire passer au comité l'état exact des pertes qu'ils avoient faites à la journée du 12 ; arrêté, en outre, qu'il seroit envoyé sur-le-champ un exprès à Bouchain pour savoir du commandant de cette place s'il étoit vrai que la plus grande partie de la garnison fût ren­trée dans cette ville. Mais cette mesure devint inutile parce que le district fit passer dans le moment même une seconde lettre.
On lit, en effet, dans cette lettre du commandant Cornu, que notre extrait ne reproduit pas :
Le général Declaye entra ici, entre neuf et dix heures, avec 60 ou 80 hussards noirs et quelques dragons, sans
avoir préparé ni ordonné sa retraite, à ce que disent les officiers qui y étoient. Il est parti de cette place pour se rendre à Cambrai, avec environ 200 ou 300 hommes, entre quatre et cinq heures du soir. Je l'ai peu vu et, sans le blâ­mer, il ne m'inspire pas de confiance.
Il demande 1500 hommes de garnison, et il ajoute :
De 1300 qui étoient sortis, il n'en est rentré tout au plus que 60 (1).
Cette déclaration était accablante. Le procès-verbal continue :
Après lecture de cette lettre, quelques membres sont d'avis de faire mettre sur-le-champ le général en état d'arresta­tion; mais cette motion n'a pas de suite, d'après les obser­vations de quelques autres qu'il convenoit d'attendre le re­tour des commissaires qui avoient été envoyés à Arras par le conseil de guerre réuni aux autorités constituées, afin d'engager les représentants du peuple à se rendre à Cam­brai pour juger cette affaire.
Tout ce débat est résumé dans une pièce impor­tante intitulée : Observations sur l'affaire qui a eu lieu le 12 septembre en avant de Cambrai, observations rédigées par Fliniaux. Il oppose au rapport intéressé de Declaye sur les incidents de la journée et les pertes de la troupe les affirmations catégoriques du commandant de Rouchain, et il termine par ces paroles :
En vous faisant ces observations sans réflexion, j'ai cru remplir un devoir de républicain qui ne gémit pas moins de voir sa patrie exposée aux plus grands malheurs par
(lj Dépôt de la guerre, Armée du Nord, 14 septembre 1793. Dans sa lettre du même jour au ministre de la guerre, le commandant de Bouchain lui racontait l'affaire d'après les renseignements qu'il avait pu recueillir : il y avait 5000 hommes d'infanterie et cavalerie, 18 ou 20 pièces de canon, 2 obusiers, etc. L'attaque commença à six heures du matin. L'ennemi fut repoussé d'abord. On s'avance trop près de son camp; il prend l'offensive, «n'ayant pas plus de 2000 hommes à cheval sans une pièce de canon ». La petite armée républicaine se forme en carrés qui sont rompus, taillés en pièce, ses canons pris, pas de quartier : « 11 est cependant étonnant, continue notre comman­dant, que 5000 hommes avec 20 pièces à feu aient été mis en pleine déroute par 2000 hommes à cheval qui n'en avoient pas. » Il ajoute qu'il n'a jamais vu combat plus meurtrier : 2000 hommes hachés. La perte est évaluée à 4000 hommes, à moins qu'il n'y ait quantité de fuyards. (Cf. une lettre du même commandant au ministre à la date du 18.) Dans une lettre datée de Bouchain, le 14 septembre, les officiers et soldats qui forment « les tristes débris des bataillons dé­truits » prient le ministre d'ordonner « le complètement de leurs corps si indiguement massacrés par la lâcheté de leur général, et qu'il soit sur-le-champ mis en état d'arrestation et traduit au tribunal ré­volutionnaire ». — Aux signatures s'ajoutent quatre cachets portant : chasseurs à cheval de Versailles; 2« bataillon des volontaires du dé» partement de la Somme; 2e bataillon des Deux-Sèvres; 104e régi­ment d'infanterie.
(1) Cf. là déclaration du lieutenant-colonel Sheppers, du 7° hus­sards au comité de Salut public de Cambrai, Armée du Nord, 14 sep' tembre 1793;
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tout naturel de l'y retenir un jour au moins pour com­mencer par lui son enquête ; ce même jour, il écri­vit au comité de Salut public :
J'ai rencontré ici, à mon arrivée, le général Declaye qui est mandé à Paris, escorté par deux gendarmes, et l'ai retenu pour avoir de lui les renseignements que je vous fais passer.
11 résulte de ce qu'il m'a dit que la perte qu'il a faite dans le combat qu'il a livré, quoique considérable, ne l'est pas, à beaucoup près, autant qu'on vous l'avoit annoncé ; ce qui me rassure pour Cambrai où je me propose de me rendre demain.
Et il joignait à sa lettre un nouveau rapport rédigé par Declaye, d'où il résultait que les pertes de l'en­nemi n'étaient guère moindres que les siennes (1), Mais, dès le lendemain, il écrivait du même lieu au comité :
Le citoyen Declaye m'a induit en erreur dans son résultat. Si j'en crois les trois commissaires du comité de Salut public qui sont ici, la perte qu'il a faite en hommes et en canons doit être plus considérable qu'il ne l'a avoué dans son état. Cependant on ne paroît l'accuser que d'impéritie et point du tout d'impatriotisme. Vous le jugerés; je vais m'oc-cuper à réparer.
Incapable, mais patriote! N'était-ce pas le cas des généraux qui avaient alors, en Vendée, toute la con­fiance du ministre ; le cas des Rossignol, des Ronsin, des Léchelle, qui subissaient impunément en ce même temps les plus honteuses défaites (témoin celle de Coron, 18 septembre), et auxquels on subordonnait les Kléber, les Marceau jusqu'à les faire responsables de leurs échecs? Rossignol à qui Prieur de la Marne disait, lorsque rebuté lui-même de sa mauvaise fortune et s'avouant incapable, il voulait s'en aller : « Rossignol, tu es le fils aîné du comité de Salut public. Tu répon­dras à son attente. Point de démission. La responsabi­lité ne pèsera pas sur toi, mais sur ceux qui t'environ­nent et qui doivent te seconder de leurs conseils, de leurs lumières, de leurs talents militaires (2). » Patriote! n'est-ce pas à ce titre que la Société populaire avait fait maintenir Declaye à Cambrai, lorsque, aux appro­ches du péril, Kilmaine voulait lui donner une autre destination (3) ? N'est-ce pas des services de cette sorte qu'il faisait valoir auprès de son ministre (4) ? « Vous
l'impéritie et la lâcheté de certains individus que de la voir en proie aux déchirements les plus cruels par les infâmes manœuvres des traîtres et des scélérats, qui vont enfin voir leur tête tomber sous la hache de la justice nationale.
Cette pièce, dont la copie ne porte pas d'autre date que reçue le 15, n'a pu être écrite que le 14, probable­ment en vue de la séance qui eut lieu le 15 et où l'en­voi de Declaye à Paris fut décidé.
Envoyé à Paris- quand les soldats, furieux de leur dé­faite, demandaient qu'on le traduisît au tribunal révo­lutionnaire, quand le peuple criait au lâche et au traître, quand l'administrateur Fliniaux, dans ses observations « sans réflexion », comme il disait, fulmi­nait contre les scélérats qui allaient enfin (image un peu hardie) « voir tomber leur tête sous la hache de la justice nationale », que n'avait-il point à redouter? Et M. Durieux n'avait-il pas lieu de se croire suffisam­ment autorisé à dire : « Trois jours après, le 18, le malheureux portait sa tête sur l'échafaud ? » Houchard, vainqueur à Hondschoote le 8 septembre, allait être condamné à mort pour n avoir pas lue assez d'Anglais. Declaye, son lieutenant, honteusement battu le 12, pouvait-il éviter un sort pareil, lui qui, dans sa dé­faite, avait perdu presque tout son monde et tous ses canons ?
* *
Le 18, Declaye était encore en route pour Paris, et, . il faut le dire, le ministre au moins ne l'y attendait pas. Le 16, Bouchotte lui avait écrit (on a la minute autographe) cette lettre pleine de déférence pour sa personne et de considération sans doute pour son in­fortune :.
La défaite de la garnison de Cambrai, citoien, a donné des inquiétudes aux patriotes, que vous devés désirer voir dissiper, du moins j'en juge ainsi, puisqu'on vous a repré­senté jusqu'à présent comme un citoien attaché à la liberté. La Convention nationale envoie le citoien Laurent, repré­sentant du peuple, prendre connoissance des faits. Il con­vient que vous restiez en arrestation et que vous n'exerciés aucune fonction jusqu'à ce que les suites soient éclaircies. Ce sont les intentions du conseil auxquelles vous devez vous conformer. Le citoien Chapuy, général de brigade, se rend à Cambrai pour prendre le commandement de la place; vous voudrez bien lui remettre les papiers et renseignements qui en dépendent.
Le 18, en effet, Chapuy arrivait à Cambrai (1) ; mais ce même jour Declaye était à Péronne : Laurent l'y rencontra comme il passait par cette ville pour se rendre au lieu de sa mission, et, l'y trouvant, jugea
(1) Voy. Dépôt de la guerre, Armée du Nord, à la date.
(2) Savary, Guerre des Vendéens, t. II, p. 376.
(3) La Défense nationale dans le Nord, t. Ier, p. 627.
(4) ... Nous avons, en vertu d'un arrêté des représentants, expulsé des corps constitués quelques amateurs du vieux régime, entre autres Kenaud, curé, président du district ; Durand, procureur de la Com­mune, et quelques autres. Ils ont montré beaucoup de fermeté. Je
(1) Voy. sa lettre au ministre, Armée du Nord, à la date.
M. H. WALLON. — LE GÉNÉRAL DECLAYÉ.
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Il dit fusiller : c'est par là qu'il acheva, en effet, la première exécution; mais il avait commencé par le canon. Seulement le canon, « le feu de la foudre » (d'autres lettres nous le disent), n'avait tué que le tiers des victimes; il fallut bien se réduire au fusil pour en finir avec le reste ; et ce fut par la fusillade que péri­rent les 211 du 15 frimaire et les 100 sur lesquels il comptait pour le 18, comme tous ceux qui suivirent; car les fusillades ne s'arrêtèrent pas là : elles alternent ou pour mieux dire vont de pair avec la guillotine les jours suivants. Et le général n'opérait pas seulement dans la ville : de concert avec les représentants du peuple, il faisait la chasse aux « muscadins » dans les campagnes, mettant au service des membres de la commission temporaire une troupe suffisante pour les exterminer, comme il le dit au ministre de la guerre dans une lettre du 17 pluviôse (5 février 1794) (1) :
Citoyen ministre,
Je t'adresse l'état exact de la situation des troupes qui occupent la garnison de Commune-Affranchie. 
De concert avec les représentants du peuple, j'ai fait sortir, le 15, un détachement fort de 1300 hommes qui, ré­pandu dans les campagnes voisines, avec les membres de la Commission temporaire, a donné la chasse aux débris errans de la horde muscadine. Cette petite expédition a eu le double avantage d'arrêter plusieurs contre-révolutionnaires jusques-là échappés à la vigilance des tribunaux, et de porter le coup de grâce à l'hidre du fanatisme qu'ils cher-choient encore à alimenter dans leurs sombres repaires.
Vive la république!  
Declaye.
le jugerez, » écrivait Laurent. Il était tout jugé (1). Il fut maintenu, sans autre mode d'information, dans ses fonctions de général; et au lieu de Cambrai, dont il avait fait massacrer presque toute la garnison dans sa défaite, on lui donna Lyon, lorsque la ville fut prise et qu'il n'y avait plus, pour accomplir le décret de la Convention, qu'à en exterminer les habitants (bru-maire, an II).
Ce iut Declaye, en effet, qui fut l'agent des grandes exécutions de Fouché et de Collot d'Herbois dans Com­mune-Affranchie. Ce général, qui avait perdu tous ses canons sous Cambrai,5 en retrouva dans Lyon pour inaugurer le système des mitraillades; et il y va de tout cœur, comme le prouve cette lettre qu'il serait fâcheux de laisser ensevelie dans les cartons du Dépôt de la guerre :
Au quartier général de Commune-Affranchie,' le 17 frimaire an II de la République française une, indivisible et démocratique.
Le général commandant la place aux représentants du peuple composant le comité de Salut public :
Citoyens représentants,
Je vous envoie l'état de situation de la garnison de Com­mune-Affranchie, de même que les états de ce qui existe dans les magasins de cette place. Je vous rends compte aussi qu'en vertu des jugements rendus par la Commission révo­lutionnaire établie par les représentants du peuple, j'ai l'ait fusiller, le 14 frimaire, 60 rebelles; le 15 dudit mois, 211; le 17, il en a été absous 50; et demain, 18, j'en ferai fu­siller 100. C'est sur la plaine des Broteaux que je fais expier le crime de ces traîtres ; là, attachés à une corde tendue le long d'une rangée d'arbres, une décharge suffit pour les exterminer de la foudre nationale, et c'est toujours aux cris mille fois répétés de : « Vive la république ! » que ces exécu­tions ce font. J'espère que bientôt nous serons débarrassés de cette horde de muscadins, et le voyageur dira : Lyon était là !
Salut et fraternité,
Le général commandant de place,
Dkclaye (2).
Ces hauts faits, ces hautes-œuvres, qui lui valurent les éloges du ministère (2), lui assurèrent bientôt une plus sérieuse récompense. Le 13 ventosean II (3 mars 1794), il fut nommé général de division (3). Il ne néglige au-
(1) Dépôt de la guerre, à la date.
(2) Le 23 pluviôse an II (11 février 1794), Jourdeuil, adjoint au mi­nistre de la guerre, répond à sa letlre du 17 pour le complimenter du zèle qu'il déploie :
« Le ministre... me charge et t'engage à continuer avec le plus grand soin à employer tous les moyens que tu croiras convenables pour faire disparoître les rebelles de cette commune... Il ne peut qu'approuver le zèle que tu mets à exécuter les ordres des représen­tants dont l'énergie a fait disparoître tous les muscadins qui cher-choienl de nouveau à se former un parti. » (Ibid., à la date.)
(3) Ce jour même, 13 ventôse (3 mars 1794), il écrivait au comité de Salut public et au ministre de la guerre eps deux lettres, l'une et l'autre autographes :
o Je vous fais passer l'état de situation de la place de Commune-Affranchie. Je vous rends compte, citoyens représentants, que le gé­néral divisionnaire d'artillerie Duteil a été fusillé en vertu d'un juge­ment de la Commission militaire établie par les représentants du peuple.
n La garnison travaille toujours avec la plus grande activité à s'ins­truire... Nous célébrons decadi prochain une fête en réjouissance des
suis autorisé par les représentants du peuple à faire arrêter les gens suspects, et certes je les connois et j'y porterai la plus grande exac­titude. L'ami Cellier a du, citoyen ministre, vous remettre quelques notes de moi. Il est urgent de finir d'expulser les traîtres et les nobles qui', sous tous les rapports, ne valent rien et n'ont jamais rien valu.
Je vous préviens, citoyen ministre, que plusieurs officiers géné­raux destitués sont encore employés quoiqu'ils aient connoissance de leur destitution. Je tremble que ses êtres, accoutumés à trahir, ne nous donnent encore quelques plats de leur métier. (Dépôt de la guerre, armée du Nord, 15 août 1793. Autographe.)
(1) On ne le trouve dans les registres et dans les dossiers du tribu­nal ni comme acquitté, ni comme mis en liberté, non plus que comme condamné.
(2) Dépôt de le guerre. Armée de Lyon, à la date, autographe.
Mœe DARMESTETER. — YSTOIRE DE BLANCHE-ROSE ET DE LA BELLE SIBYLLE.
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cune occasion de rappeler ses titres à ce grade, le plus élevé de la hiérarchie militaire. Le 22 (12 mars), ren­dant compte au comité de Salut public de la fête de l'Égalité, il dit qu'elle a été célébrée :
Dans ces mêmes plaines, théâtre autrefois de la guerre coupable des rebelles lyonnois et devenue depuis le tom­beau des contre-révolutionnaires foudroyés par la justice du peuple.
Une montagne y a été élevée. On a dansé autour de la montagne, et le peuple, assure-t-il, bénissait la main qui avait frappé la ville :
Le peuple, ce bon peuple qui est partout le même quand on le laisse suivre l'impulsion de la nature, le peuple s'aban-donnoit tout entier à l'expression d'une sensibilité vraie, se pressoit autour de ses représentants, bénissoit les lois de ri­gueur qui avoient frappé les têtes coupables et sembloit sou­rire à sa régénération (1).
On retrouve Declaye dans les mêmes fonctions à Lyon en germinal, en floréal, en prairial, correspon­dant soit avec le comité de Salut public et la Commis­sion du mouvement des armées, soit avec le chef d'état-major ou le général en chef de l'armée des Alpes, Alexandre Dumas, de qui il relevait (2). Vers la fin de prairial (juin 1794), il fut envoyé, en qualité de com­mandant d'armes, au Mont-Cenis. Mais au commence­ment de 1796, quand Bonaparte préparait la fameuse campagne d'Italie, on avait besoin de généraux d'une autre sorte à la tête des troupes qui pouvaient être appelés à lui servir de renforts. Le 20 pluviôse an IV (8 février), il fut retraité pour infirmités temporaires, et on le maintint hors de service (il n'avait encore que trente-huit ans), avec une pension de chef de bataillon. Il s'en plaignit : — trop heureux s'il n'avait jamais dé­passé ce grade-là 1
H. Wallon.
LA VRAIE YSTOIRE DE BLANCHE-ROSE
et de
LA BELLE SIBYLLE
(Metz, 1518)
racontée d'après maitre philippe de vigneuxles.
Icelle Sibylle était lors une des belles jeunes femmes qui fût point en la cité de Metz : haute, droite, élancée, et blanche comme la neige. Elle avait petite bouche, grasse gorgette, les yeux clairs et rians, l'oreille haute, menue, et perdue dedans ses grands cheveux, lesquels avait blonds comme les blés quand se balancent bien mûrs au soleil. Et semblait de la dite Sibylle que ce fût une déesse, tant était elle belle ; n'avait point si jolie femme dedans les trois évêchés, aussi venait-on de loin la voir les jours de fête et de marché. Et était chose merveilleuse quand elle s'en allait à l'église, bien accoutrée comme une reine, ornée de maint perle, joyau et beau collier. Car son mari, maître Ni­colas, était riche bourgeois, souverain dans son art qui fut celui d'orfèvre, et moult aimait sa jeune femme Sibylle.
L'été de cette dite année fut beau et doux, et sou­verainement le mois de juin. Et la veille de la Saint-Jean vint à notre cité un jeune seigneur qui était duc de la Duchée de Suffolk en Angleterre. Or ycellui beau jeune fils était le vrai héritier d'Angleterre et devait mieux être roi, comme on disait, que la Rouge-Rose qui l'était. S'appelait la Rlanche-Rose, et, pour ce qu'il était mis hors de son pays, vint, de royaume en royaume, chercher asile dedans la ville de Metz.
Ce jour qu'il fit son entrée était grant fête à Metz; et toutes les femmes à leurs fenêtres regardaient passer Blanche-Rose. C'était en vérité un des beaux puissants gentils hommes qu'il était possible de voir, noble de mine et courtois. Avait les cheveux noirs et crespés, de fiers yeux bleus, et la voix si douce qu'à l'entendre semblait-elle une orgue. Chevauchait sur une haque-née blanche parmi nos vieilles rues étroites, et les bour­geoises lui jetaient fleurs et rubans sur son chemin. Mais lui s'en allait comme celui qui rêve, mélancho-liquement, et ses beaux yeux regardaient bien loin son royaume perdu.
Or quand il vint sur la place de la Fontaine, là se trouvait la belle Sibylle qui s'en revenait de la cam­pagne, où était allée chercher fleurs et herbes, comme font jeunes femmes la veille de la Saint-Jean. Avait sur les cheveux un chapelet de roses sauvages, et dans sa robe verte tenait à grant foison herbe terrestre et herbe aumôniôre. Et quant le dit Blanche-Rose passa par là où elle était, elle lui tendit en souriant une poignée d'herbe que tenait dedans la main. Et Blanche-Rose
incorruptibles montagnards et du décret bienfaisant de nos frères les hommes de couleur. Nous bâtissons une montagne dans la plaine des Bretaux (Broteaux), des millions de républicains y viennent tra­vailler aux cris mille fois répétés de : « Vive la république et. vive la montagne et les braves montagnards ! » « Vive la république démocratique!
« Declaye. »
Armée de Lyon, à la date.
(1) Ibid., à la date.
(2) 14 germinal (3 avril 1794), au comité de Salut public; 25 ger­minal (14 avril), lettre du chef d'état-major à Declaye; 28 germinal (7 avril), du général en chef à Declaye; 26 floréal (15 mai), Declaye au comité de Salut public; 3 prairial (22 mai), quartier génerSl de Commune-Affranchie, le général de division commandant la place à la Commission du mouvement et organisation des armées. (Armée des Alpes, aux dates.)