Mémoire de Maîtrise : Didier DASTARAC
Un correspondant d’Henri-Alexandre Wallon :
L’abbé François-Alexis RARA (1834-1877)
Juin 1974
« Il n'a pas seulement écrit l'Histoire, avec quelle exactitude et quel talent, vous le savez tous, il a contribué à la faire. Je ne veux pas dire par là qu'il a été ministre... Son rôle a été plus important. Dans une heure inquiète et trouble, il a pris une initiative qui a dû surtout son succès à l'estime que cet homme de bien avait inspirée à tous les partis ; il a exercé une action décisive sur le tour que prenaient les affaires du pays ; il en a pour un temps, pour toujours peut-être, fixé les destinées ».
(Georges PERROT-1905)
C'est ainsi que s'exprimait le républicain Georges PERROT, secrétaire perpétuel de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, successeur d'Henri-Alexandre WALLON, dans sa « Notice historique sur la vie et les travaux de Monsieur Henri-Alexandre WALLON" lue dans la séance publique annuelle du vendredi 17 novembre1905[1].
Par ce jugement porté sur la vie d'un homme qui couvre la quasi-totalité du XIXe siècle, il est clair que ses contemporains déjà ne retenaient volontiers que l'acte républicain du député WALLON : son amendement des lois constitutionnelles de 1875. Et ce jugement est passé à la postérité. Sa vie pourtant ne saurait se résumera ce seul acte et ce dernier apparait comme son couronnement. C'est un homme qui vit et participe à la vie politique, universitaire et littéraire. Mais en aucun cas, il ne s'enferme dans une tour d'ivoire. WALLON a une famille (nombreuse) ; il a aussi des amis et la correspondance avec ceux-ci nous éclaire sur un certain milieu bourgeois, sur ses aspirations et idéaux, en plus des renseignements sur cet homme déjà rassemblés en grand nombre dans un précédent mémoire par une autre de ses descendantes. Nous voulons ici nous faire une idée de ces relations épistolaires et juger de l'importance qu'elles peuvent avoir dans les actes de chacun. La correspondance qui présente un intérêt suivi est celle de WALLON avec son meilleur ami, et grand ami de la famille, l'abbé François-Alexis RARA (1798-1877).
Avant d'en voir la teneur essentielle, une courte biographie des deux hommes nous permettra de mieux les connaître, ainsi que les motifs qui les ont liés d'amitié.
- François-Alexis RARA est né à Noyon (Oise) le 24 Mai 1798. Nous ne savons rien de son milieu familial, probablement assez modeste. Il vit à Noyon durant son enfance et sa jeunesse en compagnie de sa mère et de sa sœur, puis toujours avec elles à Douai jusqu'en 1846. A partir de cette année, durant laquelle Madame RARA meurt, F.A. RARA vit avec sa sœur, son ainée de 2 ans.
- Depuis 1821, RARA enseigne au Collège Royal de Douai, après deux années de début à Noyon. C'est là qu'il fait la connaissance du jeune Henri-Alexandre WALLON qu'il a comme élève en 3e.
- En Octobre 1836, il rentre au Séminaire St Sulpice à Paris et est ordonné prêtre en 1839. C'est donc une vocation tardive
- D'Octobre 1839 à 1849, il reprend son poste d'enseignant à Douai.
- 1849-1877 : il est attaché à la paroisse St Pierre de Douai.
- Le 16 Décembre 1877, il meurt à Douai.
L'allocution prononcée par l'archiprêtre de St Pierre aux funérailles de l'abbé RARA, confirme certains aspects du personnage que l'on trouve dans les lettres.
Durant sa vie de prêtre, RARA écrit un long commentaire de la Bible dont l'abrégé a paru ; idée mère : « La supériorité de la Foi sur la Raison ».
- Henri-Alexandre WALLON nait le 23 Décembre 1812 à Valenciennes dans « une famille de bourgeoisie modeste" (G. PERROT). La famille WALLON est originaire d'Hensies près de la frontière belge (Mons). Son grand-père Pierre-Joseph WALLON s'installe avant la Révolution à Valenciennes comme enseignant libre. Le père d'Henri, Alexandre WALLON (1783-1849) est d'abord adjoint de Monsieur de BARNEVILLE au Commissariat des Guerres à Coblence puis directeur des Messageries LAFITTE et CAILLARD de Valenciennes.
Du côté maternel, Fébronie CAFFIAUX (1781-1874) est une femme sans instruction mais intelligente qui prend de l’intérêt aux études de son fils. A l'inverse de son mari qui ne pratique pas et serait plutôt voltairien, Fébronie CAFFIAUX est une catholique très fervente. Ces deux tendances ne seront pas sans influence sur Henri.
Les parents de Fébronie, Etienne CAFFIAUX et Jeanne CHEVAL sont perruquiers à Valenciennes. Avant 1789, ils avaient toute la clientèle aristocratique et cléricale de Valenciennes. Les CAFFIAUX sont d'une vieille souche Valenciennoise apparentée à Valentin CONRART 1er secrétaire de l'Académie Française au XVIIe siècle. Deux milieux familiaux dont procédera le caractère d'H. WALLON.
Henri fait ses études à Valenciennes puis à Douai. Les palmarès du Collège Royal de Douai révèlent qu'Henri a souvent les 1ers prix dans les matières littéraires. Dans le même temps, son unique sœur, âgée d'un an de plus que lui, se marie avec un proviseur du rectorat de Douai, Louis JANNET. Ce dernier a joué un rôle important dans l'orientation des études d'Henri.
- En 1831, il entre avec DURUY, MARTIN, HAVET, SAISSET et Jules SIMON à l'Ecole Normale. Une longue correspondance avec sa famille permet de se faire une idée de sa vie d'étudiant à Paris puis de jeune professeur.
- En 1834, tout en collaborent à des travaux de recherches, WALLON débute comme professeur d'Histoire-Géographie. La même année débute la longue correspondance avec François Alexis RARA. A partir de ces lettres, nous nous ferons une idée plus précise des activités des deux hommes.
- En 1839, il se marie à Douai avec Hortense DUPIRE (1814-1851), fille d'un rentier qui avait été négociant en grains.
- En 1846, H. WALLON succède à GUIZOT à la chaire d'Histoire moderne à la Sorbonne
- 1848-1851 : Première expérience de député du Nord.
- 1850, il entre à l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres.
- 1851, Mort d'Hortense DUPIRE, 1ère femme d'Henri WALLON.
- 1851-1870, Ecrivain (religion-histoire) et enseignant.
- 1852, H. WALLON se remarie à Valenciennes avec Pauline BOULAN (1820-1878), originaire de cette ville.
-1871, de nouveau député du Nord.
-1875, Proposition de l'Amendement des lois constitutionnelles.
-1875-76, Ministre de l'Instruction Publique (mars 1875 - mars 1876).
-1876-1904, Sénateur inamovible.
Henri-Alexandre WALLON meurt entouré de plus de 70 petits enfants et arrière-petits enfants dans la nuit du 12 au 13 Novembre 1904 à Paris.
François RARA enseigne le Français au Collège Royal de Valenciennes, et en 1826, il a Henri-A. WALLON comme élève. Mais c'est surtout à la fin des études secondaires d'Henri que débute cette amitié, dont Mme WALLON, sa mère, se méfiait car elle sentait la spiritualité de RARA et craignait qu'elle influence à nouveau une tendance chez Henri qu'elle -malgré son catholicisme- et son mari combattaient : l'appel à l'Etat ecclésiastique. Il faut noter aussi que l'orientation des études d'Henri ne s'est pas faite simplement et les hésitations du jeune étudiant ont trouvé partiellement leur solution avec les conseils de JANNET, beau-frère d'Henri.
La correspondance familiale en 1833 révèle déjà ce que RARA est pour WALLON : le 5 mai 1833, Henri s'adresse à Sophie JANNET sa sœur :
« Tu sais avec quel plaisir je saisis l'occasion de faire quelque chose pour cet excellent homme respectable, le seul qui, jusqu'à présent, ait pu exciter mon admiration sans mélange ».
Le 11 Novembre 1835, Sophie JANNET donne connaissance à sa mère Mme WALLON d'une lettre de F. RARA, Henri est alors étudiant à Paris et prépare l'agrégation d'Histoire.
« Mr RARA nous a donné hier des nouvelles de notre cher Henri. J’ai lu sa lettre avec bien de l'intérêt. Ce bon Mr RARA était tout animé en nous lisant cette lettre. On voit combien ses matières lui sont chères à traiter, et qu'il serait heureux de pouvoir en causer avec Henri qu'il aime tant… »
Pourquoi WALLON éprouve-t-il le besoin de donner le détail de sa vie d'étudiant à son ancien professeur ? Est-ce au nom de la seule amitié qu'il lui témoigne ? C'est surtout à cause des connaissances étendues et de l'esprit de RARA tourné vers la réflexion philosophique et religieuse, dont les premières lettres de la correspondance WALLON-RARA fait état. Ici apparaît un trait de caractère d’H.A. WALLON qui dominera toute sa vie et que, dès le sortir de l'adolescence, il possède pleinement : juger ses maitres non seulement sur leur caractère mais aussi selon leurs capacités et leur idéal. Ainsi s'expliquera-t-on que les deux hommes, ayant un peu les mêmes idéaux, s'écrivent pendant 45 ans d'âge adulte et s'échangent à peu près un millier de lettres.
450 lettres allant de 1834 à 1877 constituent le fonds essentiel de cette recherche et abordent les thèmes suivants : Vie de famille (que nous laisserons en grande partie de côté malgré l'intérêt qu'elle représente incontestablement pour l'étude d'une famille et son évolution du XVIIIe au XXe siècle), Philosophie, Histoire, Religion : Réflexions et discussions, Enseignement (Pédagogie, loi sur l'enseignement), opinions sur les manifestations religieuses (conférences, journaux, point de vue sur les grands personnages du monde religieux), Religion et Politique (questions du pouvoir temporel du Pape, le Syllabus, le Concile de 1870), Politique, (expériences de Député d’H.A. WALLON, réflexions sur certains évènements politiques), collaboration aux ouvrages publiés par WALLON. Il s'agit donc d'une correspondance d'hommes de lettres et de la politique au cours de leurs carrières respectives.
Une précision est ici nécessaire sur l'utilisation de ces documents. Nous n'avons pu jusqu'à ce jour retrouver la trace des lettres que WALLON a écrites à RARA. Malgré cette importante lacune nous pouvons nous faire une idée partielle de cette partie de la correspondance par les lettres reçues de RARA, toujours très développées et reprenant souvent l'essentiel de celles de WALLON.
Ces thèmes peuvent s’ordonner en fonction de trois articulations chronologiques.
Première partie
WALLON est sorti cette même année 1834 de l'Ecole Normale avec pour préoccupation sa thèse de Doctorat, une thèse latine et la préparation de l'agrégation. Dans le même temps, RARA, qui est sorti depuis plusieurs années de l'Ecole Normale, enseigne depuis peu au Collège Royal de Douai où enseigne également JANNET le beau-frère d'Henri.
1- Henri est conseillé dans ses études par RARA
Dès cette époque WALLON expérimente l'enseignement, tout en menant en parallèle ses études. Monsieur MICHELET, qu'il a eu comme maître, lui propose de collaborer avec lui en faisant pour lui des lectures d'ouvrages dont on ignore la teneur. RARA invite WALLON à ne pas s'écarter trop de ses études (Thèses et agrégation).
A une autre occasion (3 mai 1831) RARA intervient dans les projets de WALLON : il approuve les études de Droit qu'Henri entreprend, « Dans la mesure où elles servent la connaissance historique et religieuse", mais il ne l'incite pas à poursuivre dans la procédure. Cette licence de Droit joue un rôle complémentaire dans les études d'Henri dont l'objet essentiel consiste dans ses deux thèses :
- « Du droit d'Asile » (Paris 1837),
- « Qualis fuerit apud veteres ante Christum de animae immortalitate Doctrina »[2])
Le choix de cette dernière thèse n'a pas été sans difficulté car à l'origine WALLON devait traiter le thème suivant que RARA lui avait suggéré : « Moïse considéré comme historique". Mais, après les premières recherches, WALLON trouve -et RARA l'approuve - que le sujet est plus à traiter dans un sens philosophique et religieux qu'historique. Ainsi, ils en viennent tous deux à s'accorder sur le sujet sur « L'immortalité de l'âme". Selon une habitude, qu'il conservera par la suite, RARA reçoit de WALLON ses feuilles manuscrites et les annote en en faisant les critiques.
« Votre attachement, votre amitié m'est trop bien connue, et c'est précisément pour cela que j'ai voulu et que j'ai dû vous parler sans détour » (27 Juillet 1836).
Le fonds de discussions autour de ces thèses alimentera les points de vue philosophique, religieux et historique des deux hommes. Sur la thèse latine, WALLON porte un jugement d'ensemble favorable relevant cependant une tendance fréquente chez WALLON :
« Quelques passages un peu obscurs peut-être » (4 Septembre 1837).
Après quelques années d'enseignement WALLON commence à se préoccuper de son avenir et bien qu'agrégé d'Histoire il tente un concours d'agrégation des Facultés créé par Victor Cousin, alors ministre en 1840. C'est ainsi qu'il sollicite WALLON :
« Monsieur,
Un concours doit s'ouvrir le 15 Septembre prochain pour deux places d'agrégés d'Histoire près la Faculté de Lettres de Paris.
La spécialité de vos études et le succès que vous obtenez dans votre enseignement au Collège Louis-Le-Grand et à l'Ecole Normale, vous désigne pour ce concours. Je désire vivement que vous y preniez part, et je ne crains pas de faire appel, en cette circonstance, au zèle dont vous vous êtes toujours montré animé pour le progrès des hautes études historiques.
Je vous adresse, en conséquence, le règlement général du concours et la liste des questions d'où seront tirés les sujets pour l'épreuve de l'argumentation.
Recevez, Monsieur, etc... »
Le Pair de France, Ministre du l'Instruction Publique,
V. COUSIN.
Il n'y avait qu'une seule réponse après une telle proposition qui en fait est un ordre. G.PERROT dit :
« COUSIN n'était pas de ceux qui savent accepter ou pardonner un refus. »
WALLON se présente donc et RARA le soutient dans son entreprise. Tout ce qui touche les études de l'enseignement reçoit l'assentiment de RARA mais par expérience, l'alternative des résultats d'un examen le conduit à soutenir WALLON avec prudence :
« Je ne veux demander pour vous, comme pour moi que l'accomplissement de la volonté de Dieu en nous. Si cette place doit servir à la gloire de Dieu et à votre bonheur, Oh ! je vous la souhaite de tout mon coeur. S'il n'en est pas ainsi mieux vaut mille fois que vous ne l'ayez pas et je suis bien sûr que dans ce cas Dieu vous donnerait la force de supporter ce que d'autres pourraient bien regarder comme un revers, et ce qui serait en effet un très réel avantage »...
(13 Septembre 1848).
Bien des conseils ont dû être donnés par RARA pendant son temps d'études au Séminaire St Sulpice, d'Octobre 1836 à Décembre 1839, date de son ordination. Les relations épistolaires sont évidemment très espacées, les deux hommes habitant Paris. On peut imaginer leurs discussions d'exégètes par les lettres qui précèdent cette période et dont la plupart (1834-1837) sont de véritables explications de textes bibliques avec jugements portés par l'un et l'autre selon une trilogie que le contexte religieux de l'époque explique sans difficulté.
2. Philosophie - Histoire - Religion
Dans cette période 1834-1848, WALLON est aussi en correspondance (moins suivie) avec un prêtre du diocèse de Cambrai, qui deviendra par la suite Vicaire général, l'Abbé BERNARD. Même si le mouvement lancé par LAMENNAIS autour du journal « l'Avenir" au lendemain de 1830 ne remportait pas l'adhésion de tous les catholiques, celui-ci n'en provoqua pas moins un réveil religieux au sein de la bourgeoisie, voire une influence du point de vue doctrinal sur les esprits chrétiens sans qu'il y ait pour autant adhésion pleine et entière au Catholicisme libéral né autour de « l’Avenir « . Ainsi l'abbé BERNARD écrit à WALLON le 13 janvier 1836 :
« Dites-moi ce qu'il faut penser du Collège Charlemagne, en particulier de la philosophie qu'on y professe.... »
C'est surtout avec RARA -qui n'est pas encore prêtre- que WALLON va réfléchir et échanger des idées à propos des textes bibliques. Les recherches sur un sujet de thèse latine pour Henri sont la cause de ces discussions ; ainsi, il est possible de voir quelles influences intellectuelles ont marqué ces hommes. La lettre du 7 Octobre 1837 est significative : sept longues pages se présentant sous la forme d'une longue dissertation :
« Je diviserai en deux ce que j'ai à dire de la Philosophie de l'Histoire selon les principes de l'Ecriture.
1° - Des lois générales qui président aux révolutions des Empires ou de la conduite de la Providence dans les événements humains.
2° - Des moyens employés par le Providence pour préparer les nations à la venue du Rédempteur » (7 Octobre 1837)
a) Pour les idolâtres : le simple rôle de la Providence.
b) Dieu se charge, pour préparer cette venue, de diriger « les événements humains et les révolutions des Empires « . RARA développe tout cela à l'aide de trois exemples : JOB, JOSEPH et ses frères et MOISE supplient PHARAON de laisser sortir les hébreux d'Egypte ; tout ceci ayant pour but de montrer « La Toute Puissance divine « .
Mais RARA ne résume pas l'Histoire à de simples connaissances bibliques car hors le domaine de la Bible, il possède bien d'autres connaissances de l'Antiquité :
« Or, ces manifestations de la Puissance divine, la connaissance du Saint Nom de Dieu et de ses perfections propagées de la sorte dans ce temps est un fait d'autant plus remarquable qu'à cette même époque on voit s'établir entre la Grèce et l'Orient des communications qui devraient avoir pour résultat d'initier les peuples d'Occident à des idées religieuses plus saines et à la grande Espérance d'un avenir plus heureux ».
(Ibid.)
Et RARA, émet l'idée, à l'aide de cette vue synoptique des choses, que les premiers Chrétiens ont une attitude « procédant de la philosophie païenne à la doctrine de l'Ecriture". Donc pour lui la Providence n'agit pas seulement au sein du Peuple de Dieu mais aussi chez les païens dont certaines valeurs serviront de ferment à l'implantation du Christianisme.
« La réunion d'un grand nombre de peuples sous la même domination était un Evénement utile à la propagation du Christianisme » (L'Empire Romain).
Pour WALLON, Dieu prépare les peuples de la civilisation gréco-romaine.
Pour RARA, Dieu prépare aussi de loin les autres peuples. Et ce, pour insister sur le côté miséricordieux de Dieu, il ajoute qu'il n'a pas de preuves, mais qu'il serait bien heureux de les trouver.
Cette prise de position laisse déjà entrevoir ce que sera toute sa vie le personnage qu'est le futur abbé RARA. Un homme tout pétri de culture biblique, mais laissant place à d'autres connaissances. D'autre part quant à la doctrine catholique, il prend une assurance qui l'inscrit dans le réveil religieux de l'époque : La Foi est moins raisonnable qu'elle n'est révélée et révélée parfois par le biais des païens. RARA a le sentiment -et pour lui c'est l'essentiel- que les peuples païens sont virtuellement disposés à recevoir la Révélation.
Il faut ajouter que dans le même temps où WALLON réfléchit sur le choix de sa thèse latine et commence à la traiter, RARA entreprend un commentaire de la Bible. Après avoir étudie la Genèse il aborde le Pentateuque.
WALLON, à côté de sa thèse latine, prépare des cours sur les fondements de l'Eglise pour le Collège Louis-le-Grand. Il est donc amené à se documenter et à poser certaines questions à RARA qui, par son travail, peut lui faire les réponses les plus détaillées. Mais ces entretiens entre les deux hommes dépassent le cadre de simples renseignements professionnels pour devenir une longue réflexion philosophique et religieuse qu'ils approfondissent volontiers.
Les réponses que RARA fait à son ancien élève sont toutes très documentées de l'Ecriture. C'est quasiment un travail d'historien qu'il fait à partir d'une source importante et difficile à utiliser.
Dans le Pentateuque, à propos de Moïse, il distingue
1° l'Histoire : c'est-à-dire « les faits énoncés »
2° La Loi : c'est-à-dire « les préceptes de Moise »
Et RARA s'attache à montrer les rapports de la Loi et de l'Histoire :
« L'Histoire rend raison des préceptes les plus importants et des principales institutions. Si la Loi défend l'homicide sous peine de mort, l'histoire nous dit que Dieu, au sortir de l'Arche, parla ainsi à Noé : « Quiconque aura versé le sang humain, son sang sera versé parce que l'homme est fait à l'image de Dieu » ... Quand la Loi dit : « soyez Saints parce que je suis Saint », on ne la comprendrait pas si l'histoire ne nous avait appris que l'homme est fait à l'image de Dieu... Enfin, les rapports entre la Loi et les faits sont si nécessaires qu'on pourrait presque dire que la loi existe déjà dans les faits avant d'avoir été formulée »
(17 février 1836).
Quant aux objections qu'on pourrait lui faire RARA ajoute
« Il en est (des objections) auxquelles on peut toujours répondre par l'autorité constante des traditions ».
En soulignant l'importance de l'enseignement du Pentateuque, RARA répond à la question que WALLON lui avait posée : Que devient le rôle de la Providence dans l'Histoire ?
« Je signalerai plusieurs points de doctrines qui reviennent constamment dans Moïse : la responsabilité humaine, celle de la Providence l'efficacité de la prière ;... Rappelez-vous que notre condition dans ce monde est de ne voir que les choses en énigme et comme dans un miroir jusqu'au temps où il nous sera donné de les voir d'une vue pleine et entière ».
(Ibid.)
L'histoire des peuples de l'Orient est envisagée par RARA dans une optique surtout religieuse. Outre une grande connaissance des faits, il y a l'interprétation de l'Ecriture qui vient les compléter, voire les justifier, et ici, WALLON ne semble pas d’accord : leurs investigations dans de même domaine permettent de voir une différence de méthode que RARA lui-même met en évidence :
« Nous ne somme pas sur le même terrain. Vous nous faites de l'authenticité du Pentateuque la question principale ; c'est là l'idée qui vous domine et vous ne croyez pas pouvoir aborder le sujet que je propose sans avoir préalablement résolu complètement cette question ».
(2 Mai 1836)
Sentant bien cette différence entre les deux démarches :
- Authentifier les textes avant de voir leur contenu (WALLON)
- Justifier cette authentification par le contenu même des textes (RARA)
RARA ne peut admettre l'examen critique de l’historien pour les textes sacrés. Il leur donne même une place prépondérante dans l'histoire du cette époque :
« Je ne crois pas qu'on puisse prendre le scepticisme pour point de départ dans aucune question sous peine d'arriver au néant ». (ibid.)
Le schéma de la pensée de RARA apparaît mieux maintenant. Tout en reprochant à WALLON d'être trop obscur dans ses propos, il expose son point de vue sur la philosophie, l'histoire et la religion, à travers des exemples précis empruntes à la Bible, point de vue auquel il restera fidèle toute sa vie. Et si on le voit se soumettre sans difficulté à Rome, il est à peu près sûr qu'il a contacté des membres de l'entourage de Félicité de LAMENNAIS, prêchant un retour à une révélation primitive, et exaltant la foi aux dépens de la Raison. L'ouvrage que RARA publiera vers la fin de sa vie et auquel il aura travaillé pendant plus de quarante ans n'a-t-il pas pour but de montrer la supériorité de la Foi sur la Raison ?
Il est d'autant plus intéressant de tenir compte de tout cela que WALLON, lorsque -toujours enseignant- abordera pleinement sa carrière d'écrivain après son veuvage, subira cette influence du point du vue religieux. Elle apparaîtra vraiment dans la lutte littéraire qu'il entreprendra contre Ernest RENAN.
Du 1836 à 1839, les réflexions et échanges épistolaires se poursuivent de vive voix. Mais on imagine facilement qu'elles se développent davantage. Si RARA et WALLON ne sont pas toujours d'accord en tous points, RARA admet que l'on soutienne un autre point de vue que le sien et que WALLON le contredise même. Ces discussions lui apparaissent comme favorisant et stimulant la recherche de la vérité, il l'affirme fréquemment dans ses lettres.
L'intérêt n'est pas purement intellectuel ou même religieux. RARA, en ami fidele, s'intéresse aussi beaucoup aux résultats des thèses de WALLON.
3 -Résultats des thèses d'Henri WALLON.
Georges PERROT, dans sa notice biographique consacrée à Henri WALLON écrit au sujet de ces thèses publiées en 1837 :
« Deux ans après la sortie de l'Ecole, il était licencié en droit et deux ans plus tard, docteur-es-lettres. Sans avoir les dimensions des énormes volumes que l'on s'est accoutumé, dans ses derniers temps, à soumettre au jugement de nos Facultés, ses deux thèses étaient plus développées que beaucoup de celles qui valaient alors ce titre à leurs auteurs. »
La thèse latine sur l'immortalité de l'âme qui compte 64 pages est rapidement jugée et critiquée par PERROT :
« Ce n'est qu'un résumé sommaire, fait d'après des ouvrages de seconde main. L'auteur ne distingue point entre les conceptions successives par lesquelles a passé l'esprit des peuples anciens, quand il a essayé de se figurer cette vie posthume à laquelle il voulait croire. Ces conceptions si diverses il les confond toutes sous une même rubrique. »
Dès la publication de la thèse, des réactions hostiles s'étaient fait jour. Ce jugement doit être révisé. Non que celui de RARA soit impartial car, au fond il a un peu participé à l'élaboration de ce travail.
« Je ne suis plus étonné que l'on vous ait attaqué avec cette humeur. A ce double titre, on ne pouvait être content d'un travail où l'on fait voir par tant de solides raisons que cet auguste Sénat à la République Chrétienne a toujours été conduit par des vues de sagesse, de grandeur et d'humanité. Au moins devait-on rendre justice en mérite réel de tant de recherches à l'exposition claire, méthodique que vous avez su faire de tous ces nombreux passages, enfin au style généralement pur, correct tel qu'il convenait à une thèse de ce genre et quelquefois animé par un vif sentiment des vérités que vous défendez... Quelques passages un peu obscurs peut-être ».
(4 Septembre 1837)
Deux jugements opposés donc, mais dans le premier, il est faux d'affirmer qu'il s'agit d'un « ouvrage de seconde main ». C'est un travail, en collaboration avec F. Alexis RARA, reposant sur les Ecritures même. Que PERROT dise que WALLON a confondu beaucoup d'éléments n'étonnera pas. Il n'est pas un spécialiste de la Bible et encore moins un homme d'Eglise. Ajoutons à cela qu'H. WALLON écrit pour la première fois et que ce premier travail d'histoire porte sur les Ecritures : sources religieuses difficiles à utiliser en Histoire.
Ce que nous pouvons retenir de cette thèse : c'est un travail fouillé et bien documenté dont le style, jugé « pur et correct » par RARA est à confronter aux lettres mêmes de RARA, dont les phrases longues, le choix d'un vocabulaire qui n'est pas des plus simples feront admettre partiellement -quant au style- le jugement de PERROT.
La thèse française « Du droit d'asile » (122 pages) est plus appréciée comme travail d'histoire par PERROT, et il ajoute « Les préoccupations religieuses de l'écrivain s'accusent dans ces deux essais ».
Dans une lettre du 15 Janvier 1837, l'abbé BERNARD le félicite de mener à bien ces deux thèses. Traitées dans l'esprit chrétien, elles ne peuvent qu'avoir de la valeur pour lui.
« ... Vous voilà licencié, Docteur en tant de choses qu'on osera plus ni vous parler, ni vous écrire ». (15 Janvier 1837)
Les lettres de RARA renseignent dans le détail sur la vie des deux hommes. RARA soutient son ami dans les études. Un des traits de caractère d'Henri WALLON s'affirme déjà, c'est son goût pour les études et surtout la recherche historique à laquelle RARA collabore volontiers. WALLON est un homme dont la culture et les goûts lui permettent de suivre deux orientations dans ses études, l'histoire et le droit, concrétisés par la publication de ses deux thèses.
Mais outre ces études, et probablement pour des raisons financières, Henri WALLON débute dans l'enseignement tout en étudiant. Grâce aux lettres, on peut même parler d'une grande facilité à l'étude ; RARA ne lui dit-il pas souvent « Ménagez vos forces... Gardez-vous de votre appétit dévorant ».
Nous savons aussi par ses lettres de famille que les enseignements qu'il donne au Collège Louis-Le-Grand et au Collège Rollin ne lui rapportent pas beaucoup. Il gagnera un peu plus lorsqu'il donnera des cours à l'Ecole Normale.
Les lettres de 1834 à 1848 nous permettent de suivre le monde de l'Enseignement et les échanges de vues entre deux enseignants.
Pour ce sujet RARA envisage deux aspects
-1) Leurs expériences propres, mises en parallèle.
-2) La querelle Religion-Université autour de la Loi sur l'Enseignement.
1 - Le Professorat : expériences parallèles des deux hommes.
De 1834 à 1840, WALLON et RARA échangent peu sur l'enseignement et leur rôle de professeur. Dans cette même période l'abbé BERNARD nous donne des détails sur la vie de WALLON et porte un jugement sur l'Enseignement.
Connaissant Henri WALLON et ses capacités, l'abbé BERNARD se sert de lui pour influencer des élèves et étudiants qu'il lui envoie et voire même pour les recommander et les « appuyer » pour l'Ecole Normale.
Il lui demande par exemple (13 Novembre 1834) de recevoir le petit-fils du directeur de la manufacture des tabacs de Lille, Ernest MAILLOT : bon milieu familial si ce n'est que le grand-père est protestant. Henri WALLON a le devoir d'entamer les discussions pour l'amener à une bonne pratique religieuse. Et BERNARD ajoute que le St Esprit l’inspirera. Les exemples de ce genre abondent. RARA se servira de Wallon de la même façon mais beaucoup plus naturellement car ces services se replacent dans le contexte d'une aide que l'un et l'autre s'apportent mutuellement.
Par contre, l'abbé BERNARD ne manque pas d'avoir recours à une pratique qui devait être assez répandue à l'époque : il demande à WALLON « d'appuyer » quelque élève de la région du Nord. Un second exemple suffit pour voir quels sont souvent les motifs qui poussent l'abbé BERNARD à écrire à WALLON.
Il s'agit du directeur d'une école catholique de Lille qui va ouvrir. Or, il lui faudrait quelque titre pour pouvoir prendre son poste en vertu des dispositions stipulées par la loi sur l'Enseignement Primaire de Guizot en vigueur depuis 1833.
« Il faut un diplôme de bachelier-ès-sciences au directeur. Savez-vous s'il y aurait moyen de l'obtenir facilement à Paris, par faveur ou autrement ? La soutane ne serait probablement pas un titre de recommandation. »
(24 mars 1834)
A l'habileté de cette demande, il faut ajouter que ce genre de sollicitations, WALLON en rencontrera jusqu’à la fin de sa carrière d'enseignant qui finit en 1887. Et c'est surtout en tant que professeur universitaire et Doyen de la Faculté des Lettres de Paris, qu'il aura à trancher sur certains cas qui lui sont soumis. D'une façon générale, il les examine avec beaucoup de prudence et travaille surtout à mettre en confiance le candidat à soutenir plus qu'il ne le favoriserait.
La réponse à la demande de l'abbé BERNARD n'est pas connue mais l'idée que WALLON se fait du travail et des études permet de croire qu'elle n'a pas dû avoir de suite opportune.
A la suite de ces demandes, l'abbé BERNRD développe ses idées sur l'éducation de cette époque. Six lettres (1833 à 1838) touchent à ce sujet. La comparaison avec le point de vue de RARA, qui pratique l'enseignement, traduit quelques divergences de vues entre ces deux ecclésiastiques. La lettre la plus significative est celle où il est question de la nomination de WALLON à Louis-le-Grand :
« Que votre mission est belle d'aller prêcher la religion (I1 s'agit de cours d'histoire religieuse que WALLON donne) vous, jeune, vous, laïc dans un collège tenu autrefois par des religieux célèbres, et où a étudié VOLTAIRE. Hélas l'esprit de ce dernier est resté dans la maison, les plus jeunes en sont déjà tout infectés, mais vous avez l'esprit des anciens maîtres de la maison... Encore une fois que votre mission est belle ! Mais de quelle prudence chrétienne n'avez vous pas besoin pour ne pas heurter les préjuges de ceux-ci de qui vous dépendez tout en enseignant la simple et pure vérité... Je suis sur qu'on vous enverrait à l'île de Corse plutôt que de vous faire modifier le plan que vous vous êtes tracé. J'apprendrai avec un bien grand plaisir vos succès dans l'enseignement, l'impression que vous faites sur les élèves et les autres maitres. »
(19 Octobre 1834)
En 1836 (13 Novembre), l'abbé BERNARD se loue de l'entrée, comme professeur cette fois-ci, de WALLON à L'Ecole Normale. Il voit en WALLON, qui est catholique, un des éléments qui permettra à l'Eglise d'être de nouveau considérée comme une force. C'est aussi, mais d'une façon habile dévoilée, une mise en garde (lettre du 19 octobre 1834) de ne pas suivre la tendance philosophique tracée par VOLTAIRE, entre autres, et qui connait quelques succès.
A partir de 1840, l'abbé RARA, ordonné en Décembre 1839, retourne à Douai et reprend assez rapidement son poste d'enseignant.
Le 27 Octobre 1840, il écrit à WALLON le détail de sa journée de prêtre et d'enseignant. Il a repris ses cours de français et de latin et outre cela, le Collège de Douai lui a confié les cours de grec en 3°. Il en est très satisfait et en dehors du travail de préparation des cours et des corrections qu'il affirme -et on le croit volontiers- être très absorbant, il « reste tourné vers les Ecritures », il s'agit toujours de son long travail de commentaire de la Bible.
Il déclare ne pas souffrir de son interruption de quatre ans comme enseignant et parle même d'une « extraordinaire facilité de reprise ».
En dehors de toutes ces activités, RARA n'a guère le temps de s'adonner à autre chose :
« Vous ne vous trompez pas en pensant que je ne m'occupe pas plus que par le passé de politique. Et vraiment, je ne vois pas trop où je prendrais le temps de lire un journal. »
(27 Octobre 1840)
RARA porte donc toute son attention sur ses élèves et juge la pédagogie de son temps qui permet de constater que déjà au XIXe siècle on remettait en cause la pédagogie. RARA, écrivain biblique, est bien sûr porté à bien connaître certains exemples du passé. Homme mûr, on comprend son point de vue :
« Il est fâcheux que l'on change ainsi à tout moment, surtout pour les élèves sur lesquels depuis 50 ans on fait chaque année de nouvelles expériences, sans savoir enfin à quoi s'en tenir. Il semblerait vraiment à voir cette incertitude dans les méthodes d'instruction et dans les plans d'éducation, que rien n'ait été fait par nos pères, depuis 8 000 ans et qu'avec l'ère nouvelle de la République, il y ait eu aussi une ère nouvelle pour les intelligences. Tout cela part d'un fond de superbe aussi déplorable qu’il est ridicule, car il est triste de penser que tout soit à refaire dans l'œuvre de nos aïeux ».
(3 Novembre 1847)
Les « nouvelles expériences» et les « incertitudes dans les méthodes d'instruction et dans les plans d'éducation" auxquelles RARA fait allusion débutent avec la création d'écoles, sous la Révolution, d'enseignement dit « libre », c'est-à-dire non pas au sens où nous l'entendons aujourd'hui où, depuis la IIIe République, l'école est obligatoire, mais au sens d'écoles différentes de la majorité qui était tenue par des membres de congrégations religieuses. Enfin, des maîtres libres[3] exerçaient leur profession sous forme de cours particuliers ou pour quelques uns.
C'est ensuite l'organisation des universités par Napoléon 1er et la création du baccalauréat en 1808. Mais s'agit encore d'une réforme que RARA a pu connaître en tant que jeune enseignant : la loi sur l'enseignement primaire de GUIZOT, qui fut adoptée en 1833.
Dans toutes ses lettres adressées à WALLON on sent un homme qui, tout en étant prêtre, a conservé le goût de son métier et reste attaché à ses élèves. Les réflexions faites sur les mutations dans l'enseignement ne doivent pas faire voir en lui un homme rétrograde, résolument attaché au passé.
Dans une lettre adressée quelques années plus tard à la fin de Juillet 1854, WALLON dit à son ami que ses deux filles aînées, Marie et Adèle, se fatiguent à leur travail. RARA lui répond un mot rempli de compréhension et qui reflète les préoccupations du professeur à l'égard de ses élèves.
« Pauvres enfants, je ne puis m'empêcher de les plaindre en pensant que des maîtresses pleines de zèle d'ailleurs et animées certainement des meilleures intentions, oublient trop qu'elles ont été autrefois à l'âge de 15 ou 16 ans et que cet âge demande plus que tout autre des ménagements particuliers. Qu'y faire ? C'est un mal auquel il y a bien peu de remède tant il est général. On ne gagne rien à forcer la nature ». (5 aout 1854)
WALLON, de son côté, explique souvent que les élèves à Louis-le-Grand et à Rollin se mettent à se dissiper. On le voit user de châtiments qui n'ont rien de draconiens et, lorsque la classe redevient calme, il s'arrête et leur lit des vers traduits des classiques latins et grecs. C'est leur récompense. A aucun moment RARA et WALLON ne se plaignent de leurs élèves. Les difficultés qui apparaissent sont toujours suivies de solutions.
Ces échanges de vues sur leurs classes tiennent une place plus réduite, dans les lettres, que les problèmes de nominations. Ils concernent autant RARA que WALLON, durant la même période (1840-1848).
Pour RARA d'une nomination à la Faculté de théologie de Rouen que WALLON lui a apprise au début de mars 1841. Mais dès le 10 mars un démenti de cette nomination parvient par l'intermédiaire de WALLON à RARA. Il accueille avec philosophie ce contre-ordre, « s'en remettant à la Providence ».
Ensuite une seconde nomination est envisagée pour Caen. Mais cette fois-ci le ministre de l'Instruction Publique, Monsieur GUIGNIAUT, que RARA et WALLON ont eu comme professeur, chacun à leur tour, aura à décider de la nomination.
Par une lettre qu'il charge WALLON de remettre au ministre, RARA refuse le poste de proviseur qu'on lui propose, ne se sentant pas capable d'assumer ces fonctions. Dans le même temps, la nomination de Caen n'a toujours rien d'officiel ; les débats se déroulent entre le ministère et l'archevêché de Bayeux. Et comme les choses trainent, RARA accuse le ministre, le 22 novembre 1841, s'adressant à WALLON, d'une « rare imprudence ». RARA n'apprendra que plus tard que sa candidature a été rejetée. Il ne cache pas à WALLON, bien déçu pour son ami, combien ces alternatives lui sont pénibles et s'en prend aux rouages compliqués du ministère pour une nomination. Il rejettera lui-même toute autre proposition préférant garder le poste de Douai dont il a l'habitude. Cette attitude ne manque pas de désoler WALLON qui souhaite une promotion à son ancien professeur. Outre cela, RARA écrit à WALLON à propos de la candidature de Rouen :
« Le Conseil Royal a décidé qu'il n'y avait pas lieu de me l'accorder parce que j'avais consenti à rester en congé dans l'espoir d'une chaire de théologie ».
(20 janvier 1842).
Offusqué, il ajoute le 27 février 1842 : « Monsieur GUIGNIAUT n'ose pas ».
Une autre proposition lui est faite en Octobre 1844, un poste de professeur de troisième est à pourvoir au Collège Stanislas. Il répond « Je ne me sens pas étudié par mes élèves à Douai » (14 octobre 1844).
En 1846, RARA pourrait prendre un poste d'aumônier à l'Ecole Normale. En août 1846, il fait part à WALLON de son refus de se mettre en valeur pour cette nomination. Le 11 Janvier 1847, RARA écrit à WALLON :
« Ce que vous me dites de l'Ecole ne m'étonne pas beaucoup ; j'ai toujours incliné à croire qu'on était bien aise d'avoir là un aumônier pour la forme, pour pouvoir dire que la Religion y est représentée plutôt qu'enseignée véritablement et expliquée... Ces messieurs ont beau dire, je ne crois pas que le Directeur et le sous-directeur favorisent beaucoup l'enseignement religieux ».
Cette conscience de ce que représente la Religion au sein du monde enseignant caractérise tout à fait RARA et aussi WALLON. Les tergiversations pour les autres nominations en font foi : tout doit passer par le ministère et le ministre lui-même n'a pas toujours les mains libres. Exemple : Monsieur GUIGNIAUT qui, tout en étant ami de RARA et WALLON, ne peut guère influer sur les décisions que doit prendre le Conseil Royal.
Les propos de RARA résument bien, dans la lettre du 13 juillet 1847, les données d'un problème qui devient de plus en plus crucial : l'influence du clergé dans les universités :
« Je ne sortirai de ma position que pour entrer dans une faculté de théologie, comme on avait essayé de m'y faire entrer il y a six ans. Sur cela, Mr GUIGNIAUT me demanda aussi si j'étais gradué en théologie. Par où je vois qu'il n'en sait pas plus que les autres sur la difficulté que présente une telle nomination. Dans l'état actuel des choses, je serais revêtu de tous les titres possibles en théologie qu'ils ne prévaudraient pas contre celui d'universitaire. Les évêques montrent bien qu'ils ne tiennent pas beaucoup à cela ».
(13 Juillet 1847).
Dans le même période, Henri WALLON, tout en s'occupant des nominations de son ami, se trouve devant plusieurs propositions de postes. Si les considérations religieuses ne jouent pas pour lui, qui est laïc, les difficultés auxquelles il a à faire face montrent à quel point un jeune enseignant a du mal à se faire admettre dans le milieu universitaire.
Nous avons vu dans le cursus de ses études que WALLON, reçu 1er à l'agrégation en 1836, avait été proposé au ministre par MICHELET pour lui succéder momentanément dans sa chaire d'Histoire à la Sorbonne. En 1840, Victor COUSIN, alors ministre, le sommait de se présenter le 15 septembre au concours d'agrégation des Facultés de Paris. Cette préoccupation s'ajoutait à d'autres : WALLON, enseignant déjà aux collèges Louis-le-Grand et Rollin et à l'école Normale, attendait d'être titulaire. Or, en décembre 1840, il apprend que la titularisation pour la chaire de l'Ecole Normale lui est refusée, mais qu'il doit conserver de l'espoir pour l'avenir. Il l'obtiendra en Janvier 1842. A ce moment WALLON envisage, mais RARA l'en dissuade, de quitter Paris pour un poste à Dijon, où on lui confierait surtout l'enseignement de la géographie. Comme il le voit renoncer, RARA lui répond par une lettre qui est déterminante sur l'orientation des études et goûts de WALLON. Il a en effet très souvent tenu compte de l'avis de son ami.
« J'ai toujours pensé, mon cher ami, que l'enseignement de l'Histoire proprement dite vous conviendrait mieux que celui de la géographie, ou plutôt que vous convenez mieux à cet enseignement. Dans les temps où nous sommes, surtout à une époque de doute, il faut pour rendre utile les enseignements de l'Histoire, un homme de conviction : et ces hommes ne sont pas connus ». (28 Octobre 1841)
C'est en effet à l'Histoire que WALLON donnera la majeure partie de son temps, mis à part deux petits ouvrages de géographie historique publiés en collaboration avec Victor DURUY.
Autre sujet de préoccupation pour H. WALLON : son salaire. L’abbé RARA suit de près les problèmes des traitements d'enseignants, problèmes qui les touchent tous deux et qu'ils prennent au sérieux. Une lettre de WALLON fait part de son inquiétude de ne pas voir arriver régulièrement son salaire. RARA lui répond et situe le contexte :
« J'ai vu annoncé votre cours dans le journal de l'Instruction publique, mais je ne sais si vous faites une ou deux leçons par semaine. J'ai vu aussi, dans le même journal, le rapport de Monsieur de SALVANDY (ministre de l'Instruction publique) qui précède le budget et la réalisation de ses projets en faveur des maitres de conférences des Ecoles. En vérité, je ne sais si on peut espérer que la chambre soit disposée à voter une augmentation aussi considérable. Proportion gardée, celle de vos traitements est la plus forte de toutes. Jusqu'à présent le ministre se sent fort, il a pour lui une très grande supériorité, mais attendons la loi sur l'Instruction et nous verrons si elle se maintiendra aussi forte ». (2 -II-1847)
Cette lettre remplit H. WALLON d'espoir car depuis qu'il enseigne, son traitement assure tout juste les besoins de son foyer, comme en témoignent plusieurs lettres d'Henri à ses parents. A chaque fois qu'il assure une suppléance, celle de MICHELET par exemple, on lui ôte son salaire pour les cours des Collèges Louis-le-Grand et Rollin. RARA, de son côté, a connu des problèmes d'indemnités non perçues mais exhorte WALLON à ne pas se laisser décourager et à ne pas quitter l'enseignement.
Ces difficultés financières poussent Henri WALLON à rechercher dans des leçons particulières ou dans des postes meilleurs qu'il pourrait obtenir l'appoint nécessaire pour assurer décemment la vie de son foyer qui compte en 1847, cinq enfants assez rapprochés en âge.
C'est ainsi qu'en février 1843, il écrit à son ami qu'il brigue la place de précepteur du Comte de Paris. Le 12 février, l'abbé RARA lui répond en l'encourageant dans cette voie mais à condition que cela ne le charge pas trop, vu ses nombreuses tâches d'enseignant. C'est également par sentiment royaliste et fidèle que l'abbé RMRA le pousse à prendre ce poste.
« Je suis fort tranquille pour vous sur ce point et bien que je n'ai pu prendre sur moi de vous pousser à dire oui, si on vous choisit, je vous verrai entrer dans ce poste avec joie pour le pays et sans trop de crainte pour vous ». (19 Mars 1843.)
Dans la suite des lettres de l'Abbé RARA et dans les autres correspondances d'Henri, il n'est plus question de cette nomination. Elle n'eut pas de suite et les raisons n'en sont pas connues, peut-être parce que d'autres propositions des postes ont été faites à H. WALLON.
Sa promotion au sein du monde enseignant le retient davantage. Une seconde suppléance lui est proposée en janvier 1846 : la chaire de GUIZOT, appelé au gouvernement par Louis Philippe. Et RARA de l'approuver, l'incitant à ne pas se présenter de lui-même :
« Si au contraire la place vous est offerte par Mr GUIZOT à qui appartient le droit de nommer son suppléant, je crois que vous ferez bien d'accepter... Les chaires d'Histoire qui devraient faire tant de bien, font au contraire beaucoup de mal parce que les professeurs ne connaissent que très imparfaitement l'Histoire de la Religion. Du reste continuez à vous tenir à l'écart et attendez qu'on vienne vous trouver ». (19 janvier 1846)
C'est une idée qui fera son chemin, chez H. WALLON, même en politique. En février 1846, WALLON n'ayant toujours rien reçu d'officiel, RARA entretient l'espoir :
« J'aime à croire que vos droits stricts et autres l'emporteront dans la balance de Mr GUIZOT ».
(17 Février 1846)
Le 23 Avril 1846 Henri WALLON est nommé suppléant de GUIZOT et RARA se réjouit de cette promotion. Mais les événements de 1848 viennent affecter, outre la capitale dans son ensemble, le monde universitaire, le cours de GUIZOT est supprimé. RARA s'en inquiète pour son ami
« Je n'en ressens pas moins toute la peine qu’elle doit vous causer à Madame WALLON et à vous. Je n'ai pas vu le considérant de l'arrêté qui vous force à quitter pour un moment, je l'espère, la chaire de la Faculté. »
(9 avril1848)
L'abbé RARA préconise de s'en remettre à Dieu : « Sa volonté à lui est toujours selon la raison et selon la justice » influence prépondérante sur le caractère de WALLON qui verra venir les difficultés avec philosophie mais qui ne restera jamais passif devant ce qui porte atteinte à la liberté.
Débordant un peu le cadre de cette période, il n'est pas possible de passer sous silence la nomination d'H. WALLON à la chaire d'Histoire Moderne. Nous verrons plus loin, à propos de la première expérience politique d'Henri WALLON, ce que l'abbé RARA écrit à son ami dans le détail. Autant dire qu'il est enthousiaste à l'annonce de cette nomination, que WALLON n'a certes pas cherchée. Il ne cache pas sa préférence pour étudier des périodes de l'Histoire plus anciennes : Antiquité et Moyen-âge.
Touchant de près leur promotion, possible pour l'un, qui la refuse, retardée et incertaine pour le second qui obtient très lentement sa titularisation, la querelle Religion-Université les conduit chacun à prendre position devant ce problème qui traverse tout le XIXe siècle.
2. La Querelle Religion-Université.
La correspondance entre les deux hommes ne débutant qu'en 1834, la loi GUIZOT du 28 juin 1833 sur l'Enseignement primaire n'est pas abordée. Le but de cette loi, selon Mrs LATREILLE et PALANQUE[4], est de dissiper la méfiance de l'Eglise.
Toute commune devra entretenir une école élémentaire et tout département devra ouvrir une ecole normale d'instituteur. L'enseignement est gratuit pour les indigents. Rien n'interdit aux municipalités de faire appel à des religieux et la loi les encourage même à ouvrir des institutions religieuses à côté d'écoles publiques. Et GUIZOT expliquait lui-même l'article 1er de sa loi :
« Ce qu'il faut, c'est que l'atmosphère générale de l'école soit morale et religieuse. Le développement intellectuel, quand il est uni au développement moral et religieux est excellent ».
Les résultats : hausse des effectifs scolaires, relèvement du niveau intellectuel des instituteurs. Mais la tension entre l'Eglise et ses évêques et les instituteurs va croître à la suite de cette loi. Chaque partie concurrençant l'autre.
Mais ce n'est que le prélude à longue querelle autour de la loi sur l'enseignement secondaire. De 1836 à 1839, Henri WALLON et le futur abbé RARA, séminariste à St Sulpice, ont dû souvent en parler lors de leurs fréquentes relations à Paris. Pas une lettre ne touche cette question.
Ce sont quelques lettres de l'abbé BERNARD adressées à H. WALLON qui nous montrent que le jeune professeur suit de près la loi qui concerne son avenir. L'abbé BERNARD s'y intéresse plus en ecclésiastique qu'en professeur (il a très peu enseigné avant d'être vicaire général).
Il suit néanmoins avec intérêt l'évolution de la question scolaire :
« Qu'a voulu dire Mr GUIZOT dans son discours à l'Ecole Normale ? Quelle loi peut-on espérer après une pareille profession de principes exclusifs. »
(6 Novembre 1836)
Après la loi de 1833 que GUIZOT a fait adopter comme bon nombre de personnalités politiques, le professeur de la Sorbonne développe ses vues en ce qui concerne l'enseignement secondaire. La loi de 1833 laissait cohabiter les instituteurs laïcs dans l'enseignement primaire avec les membres des congrégations religieuses aptes à enseigner. Mais l'enseignement secondaire touche des catégories sociales plus évoluées et surtout susceptibles de fournir une « clientèle » universitaire ou de grandes écoles, voire politique. Il n'était donc plus question de laisser une aussi large initiative l'Eglise qui dans sa grande majorité ne tolère que ce qui ne s'oppose pas à elle. C'est probablement contre cette sûreté d'elle-même et à cette volonté de l'Eglise d'avoir la haute main sur l'enseignement secondaire que s'élève GUIZOT par son discours à l'Ecole Normale. Par la suite GUIZOT est amené à formuler un premier projet de loi.
Mais dès mars 1837, ce projet était repoussé et l'abbé BERNARD de commenter un projet contemporain qui émanait de milieu catholique le plus conservateur :
« Eh bien, notre pauvre loi ne passera donc pas ; ne sera-t-elle même pas proposée ? Je voudrais avoir vos grades. »
(6 mars 1837)
On est en droit de douter que WALLON, futur universitaire et enseignant, participe de ce point de vue uniquement ecclésiastique. Ses réponses à l'abbé BERNARD nous manquent. Mais les relations écrites avec RARA sur cette question sont plus éclairantes et plus précises. Elles permettent de supposer avec vraisemblance que, dès 1836, WALLON adopte une position conciliante et libérale en ce sens qu'il défend le corps universitaire, nous verrons comment.
C'est par un jeu de mot d'assez faible portée et teinté d'ironie que BERNARD reparle du projet repris par le ministre Mr de SALVANDY
« Quid juris pour la loi Salvandienne ou plutôt salvatrice sur l'instruction secondaire ? ».
(16 janvier 1838)
C'est encore par une réflexion désapprobatrice, sur ce projet qu’il suit plutôt en dilettante,que BERNARD s'adresse WALLON :
« Que pensez-vous de Mr le Ministre, de tout ce qu'il fait à l'Université en déterrant les privilèges et en urgeant l'exécution de décrets tombés en cannelle ? Il y a des caresses qui blessent et qui tuent."
(13 novembre 1838)
Et dans la lettre du 26 mai 1839, il s'en prend violemment à V. COUSIN et VILLEMAIN, professeurs à l'Université de Paris, qui furent et seront respectivement ministres de l'Instruction Publique
« Depuis votre chère lettre MM COUSIN et VILLEMAIN sont venus nous apprendre qu'il ne fallait pas compter de par eux sur la liberté réelle de l'Enseignement... Ces hommes-là sont décidément incorrigibles ils ne méritent pas d'être revêtus du pouvoir. Omnis potestas a Deo. Ils font la guerre à Dieu. »
L'abbé BERNARD se rapproche de cette catégorie de catholiques intransigeants, ou ultramontains, qui au sens de « liberté de l'Enseignement » entendent, haute main de l'Eglise sur cet important domaine qu'elle a géré quasiment seule si longtemps.
Entre 1841 et 1848, sa position sur cette question aura évolué dans un sens plus libéral. Probablement sous l'influence de WALLON avec lequel il finit par s'entendre (lettre du 4 aout 1845) : il n'est pas hostile au milieu universitaire mais veut l'équilibrer avec l'introduction de chrétiens.
Autant les réflexions de l’abbé BERNARD apparaissent comme celle d'un profane à l'égard de l'enseignement autant celles de l'abbé RARA donnent le ton d'une critique reposant sur l'expérience. Il est utile de se rappeler ici que François-Alexis RARA a d'abord été professeur de lettres de 1821 à 1836, avant d'être prêtre en 1839 et de reprendre dès cette même année son poste d'enseignant. Nous avons vu plus haut que ses capacités ont fait que souvent le ministère l'a pressenti en vue de postes de proviseur ou de pourvoir une chaire d'Ecriture Sainte dans une faculté de théologie. Les nombreux démentis de ces nominations ont attiré sa méfiance à l'égard de l'Instruction publique et de la politique des gouvernements en ce domaine.
Le 11 juin 1843, il écrit à Henri WALLON une longue lettre informant de la position qu'il prend et discutant celle d'H. WALLON sur le projet de loi sur l'enseignement.
Pour WALLON, l'Eglise se rend difficile pour l'enseignement par le langage de ses théologiens. RARA lui répond sur ce point qu'ils s'adressent surtout aux prêtres qui doivent répondre à des cas de pénitence souvent très nuancés.
Mais est-ce bien là la raison qui fait que WALLON opte pour la liberté de l'Université et de l'enseignement secondaire ? Liberté que l'Eglise réclame aussi mais non pas pour la même raison : il s'agit pour elle de maintenir son influence. WALLON a-t-il le souci de ménager son interlocuteur ecclésiastique? Il est permis de le supposer. Mais RARA de son côté a le souci de s'informer et bien qu'il affirme au début que son information est incomplète il suit grâce à « l’Ami de la Religion », son journal, dans le détail le compte rendu d'articles touchant l'Enseignement secondaire et supérieur extraits du « Globe » et des « Débats ». Son désir est de voir de quel côté, si on mettait en parallèle les deux points de vue, il y a le plus de modération. RARA ne suit pas, à la manière de l'abbé BERNARD, les arguments traditionnels de la majorité de l'Eglise, mais recherche avant tout le point de vue modéré qui permettra un compromis. Il cherche d'abord à connaître toutes les données du problème. Nous noterons que pour ce faire, défendant ce qui touche les théologiens, il tente du comprendre les raisons de la partie adverse. Dans ce premier temps, le jugement du professeur vient côtoyer celui du prêtre. Il dénonce néanmoins les excès dans les propos de certains universitaires :
« Mais de bonne foi, où est la justice de ces messieurs qui crient si fort après les jésuites » (Ibid.)
et réprouve, la position de Monsieur MICHELET face aux jésuites. Le régime abandonnant le monopole de l'enseignement primaire, car il intéresse surtout le peuple qui ne vote pas, donne aux congrégations non autorisées, les jésuites en tête, le droit d'ouvrir des collèges « de plein exercice », c'est-à-dire habilités à présenter des élèves au baccalauréat. Ainsi l'Eglise, en tant que telle, n'aura pas à se charger de cet enseignement. Ceci amène diverses réactions surtout du côté catholique. Face à ce problème, RARA condamne tout excès. Il ne se juge pas assez informé pour prendre parti.
Les deux projets de GUIZOT (1836) et de VILLEMAIN (1841) échouent, le parti catholique intransigeant entreprend une campagne de dénigrement de l'université. Ainsi RARA se fait en partie l'écho de ce mouvement en critiquant MICHELET. Le parti catholique lutte surtout contre l'enseignement de la philosophie dont les doctrines conduisent à un désir de tout expliquer par la science ce qui reviendrait à se passer de religion.
A propos de ce second projet VILLEMAIN, RARA porte un regard critique :
« Et puis là où l'on applaudit, là on a ce semble le droit de siffler. Je n'ai pas bien étudié le projet de loi mais j'ai trouvé que l'exposé des motifs était plus adroit et fin qu'il n'est fort de raison. A quoi bon s'arrêter si longtemps sur l'histoire de la vieille université pour venir dire après qu'il ne s'agit plus de cela mais de la Charte de 1830... L'argument tiré de Mr de QUELEN et de son rapport est plus adroit qu'il n'est fort. Il est certain qu'à l'époque où Mr de QUELEN écrivait l'enseignement qui fait maintenant l'objet de réclamation des évêques n'inspirait pas, je m'en souviens très bien, les mêmes inquiétudes, il n'y avait encore alors que très peu de chaire d'Histoire, et l'enseignement de la philosophie n'excitait que peu ou point de réclamation. Autres temps, autres circonstances, autres besoins. Prions Dieu, qu'il donne à nos législateurs l'Esprit de sagesse et de modération ; ils en ont bien besoin en tout temps, plus encore dans une loi de cette importance. »
Donc tout en se rangeant au parti des évêques de France, l'abbé RARA prône pour le législateur « un esprit de sagesse et de modération ». Il admet parfaitement que l'enseignement évolue avec le temps et on ne le voit pas se déclarer pour une université patronnée par l'Eglise. Il veut seulement que la voix de celle-ci puisse se faire entendre à l'Université pour contrebalancer les autres tendances adverses. Le phénomène important pour lui étant cette apparition d'idées nouvelles dans l'enseignement. Nous sentons déjà que cette position modérée va conforter WALLON dans le désir de persister dans le professorat.
A cette époque, la position d'Henri WALLON est beaucoup plus avancée face à ce problème. Il est -et d'après les lettres de l'abbé RARA, on pressent qu'il ne manque pas de lui dire, quoiqu'avec mesure- pour une université libre de toute influence, ou mieux il conçoit l'université comme un corps où les idées religieuses et laïques devraient pouvoir se concurrencer librement mais dans le respect des positions de chacun. C'est ainsi qu'il est amené à critiquer le langage des théologiens comme en témoigne la lettre de l'Abbé RARA datée du 11 juin 1843, et citée plus haut.
Or ce second projet VILLEMAIN arrive dans un mauvais contexte : « Le monopole universitaire destructeur de la Religion et des lois » est publié après 1841, sous couvert d'un chanoine lyonnais Eugène SUE publie « Le Juif errant », les cours d'E. QUINET et de MICHELET (on l'a vu sous la plume même de RARA) font l'objet de sérieuses critiques de la part du milieu catholique en général ; enfin le journal « Le Constitutionnel » en 1844-46 n'est pas non plus de nature à satisfaire les catholiques.
Devant tout cela, l'abbé RARA se range peu à peu à l'avis des évêques français qui ne font plus confiance au projet VILLEMAIN :
« Elle (l'université) risque de tout perdre. Elle a grand tort, très grand tort, à mon avis, de ne vouloir pas satisfaire aux justes réclamations de nos évêques sur certains points de l'enseignement, qui ne sont, on a beau dire le contraire, nullement catholiques. On ne veut point le faire de bon gré, on finira par être obligé de le faire de force de céder une masse de réclamations importantes. Et si on fait passer la loi cette année, pour en finir dit-on, on ne finira rien ce sera une affaire à recommencer un peu plus tard ; et cet amour de la liberté qu'on dit si fortement excité n'en sera que plus violent pour avoir été comprimé violemment pendant quelques temps. »
(23-III-1844)
Quelles sont ces « réclamations nullement catholiques» que le projet VILLEMAIN ne satisfait pas ? Il s'agit de questions financières touchant les collèges catholiques. Déjà, l'abbé BERNARD s'en était plaint pour l'archevêché de Cambrai : des collèges ont dû fermer faute de subvention que le Conseil Royal devait accorder. Ce fait est joint, selon RARA et BERNARD, à la difficulté de ces institutions religieuses à faire le plein d'élèves, cause de la concurrence de certains collèges royaux.
Ces réclamations sont encore d'un autre ordre c'est la difficulté et la lenteur qui caractérisent les nominations passant toutes par le Ministère. Nous avons vu combien RARA a été touché par cela. En second lieu, les traitements irréguliers et toujours modiques. Sur ces deux derniers points l'abbé RARA et H. WALLON tombent parfaitement d'accord.
Le 16 Juin 1844, l'abbé RARA donne clairement sa position sur la loi sur l'enseignement :
« Sans prétendre non plus approuver ce qui a été dit par les défenseurs du clergé dans la discussion sur la loi de l'enseignement, je ne puis ne pas être frappé de cet accord universel de tout l'épiscopat à réclamer contre des abus que des paroles niaisement emphatiques, si celles que j'ai vues sont vraies, de Mr COUSIN ne peuvent justifier les livres qui servent de base en partie à l'enseignement philosophique aujourd'hui, sont mauvais et antichrétiens au moins en grand nombre. Et je sais très bien que l'histoire a été enseignée quelque fois d'une manière qui en vaut guère mieux. »
Ici c'est MICHELET qui est visé. Peu à peu l'abbé RARA se range derrière les arguments de la majorité de l’Eglise, qui fait de l'enseignement de la philosophie son cheval de bataille. Mais fait original, l'abbé RARA souligne également l'importance de l'Histoire, et celui-ci est jugé sur le même pied que celui de la philosophie. RARA fait souvent référence à l'épiscopat et cette prise de position quasi unanime n'est pas sans l'influencer.
Dès avant les prises de position sur la question universitaire A. THIERS participe aux débats et défend l'université. Les commentaires de RARA sont loin d'être approbateurs. Une fois de plus on voit RARA défendre le corps auquel il appartient :
« Si je ne me trompe, la lutte interrompue dans l'intervalle des deux sessions va recommencer avec une grande vigueur. A en juger par quelques extraits de mon petit journal (l’Ami de la Religion), les feuilles THIERS et compagnie poussent la chose à de bien dégoutants excès. »
(8-XII-1844)
RARA lutte donc pour que l'Eglise ne soit plus battue en brèche par les idées nouvelles introduites à l'université, génératrice de professeurs ; mais veut-il -en réclamant la liberté de l'enseignement- pour autant que l'Eglise détienne le monopole de l'Enseignement secondaire ? Il ne semble pas. Il n'apparaît même pas contre un contrôle de l'Etat mais en tant qu'enseignant et surtout homme de lettres qui se penche sur les Écritures, il ne peut admettre la destruction ou la négation de l'enseignement des Ecritures, donc de l'Eglise par des idées relevant d'une confiance illimitée dans la science, et les pouvoirs de l'homme.
En 1846 un troisième projet vient se substituer à celui de M. VILLEMAIN. Il est l'œuvre de M. de SALVANDY. GUIZOT avait, dans un discours, développé les idées qui ont conduit à ce projet. RARA lui reconnaît d'être l'homme le mieux placé pour résoudre le problème universitaire. Cette confiance s'explique : il est l'artisan de la loi sur l'enseignement primaire. Et d'aucuns espèrent qu'il pourra élaborer la même pour l'enseignement secondaire.
« J'ai lu avec beaucoup d'intérêt le discours de M. GUIZOT sur les affaires de l'Université. Voilà assurément de bien grandes promesses. Nous verrons si on les tiendra ; je me plais à croire que lui, personnellement, n'a fait qu'exprimer ce qu'il a l'intention de réaliser. Il y a longtemps qu'il m'a semblé entendre la liberté beaucoup mieux que la plupart de ses collègues au pouvoir, et se conduire en conséquence. »
Et l'abbé RARA donne une justification du désir des catholiques de voir une université chrétienne :
« Car malheureusement, il y a bien des maîtres, professeurs, régents, maîtres d'études, et autres encore qui auraient mieux convenu à diriger des écoles païennes qu'à conduire des enfants baptises au nom de Jésus Christ et élevés dans sa doctrine. Il faut au moins que l'Université soit chrétienne, et il y a bien à faire pour cela. » (17-II-1846)
Apres plusieurs années, l'abbé RARA revient sur la loi sur l'enseignement au moment décisif en 1849. Le comte de FALLOUX élabore le dernier projet.
« On parait croire ici dans le monde universitaire que je vois (à Douai) que la loi passera à peu près telle qu'elle a été proposée et on ne parait pas trop s'en tourmenter. On dit encore que le clergé y gagnera en ce qu'il sera fort d'étendre ses connaissances ; L'Université n'y perd pas. Je crois même avoir entendu dire qu'elle serait obligée de se tenir davantage sur ses gardes... Une chose doit nuire beaucoup à l'Université dans la discussion, et plus encore à la tête, dans l'hypothèse d'un vote que j'appellerais presque ab irato, c'est le nombre assez considérable de ses membres qui se sont compromis activement dans la dernière émeute ».
(29-V1-1849)
La question traînante de l'Université reprend ici une nouvelle ardeur. Pour l'abbé RARA, et certainement pour bon nombre d'ecclésiastiques, l'influence du clergé à l'Université ne peut que lui faire du bien à cause de 1848 que certains professeurs ont apprécié et cautionné.
Cette « dernière émeute » dont RARA parle est celle 13 juin 1849 où LEDRU-ROLLIN et ses amis tentent de diriger les manifestants contre la Chambre. Les universitaires n'étaient pas les derniers à y participer. Dans le contexte de la loi sur l'Enseignement, la cause de cette émeute permettait de prendre chaudement parti : la Constituante, élue le 13 Mai 1849, avait envoyé l'Expédition à Rome, avec le général OUDINOT, délivrer Rome de la république installée après que PIE IX eut été chassé. Il n'est donc pas surprenant de voir les universitaires prendre une sorte de revanche républicaine à l'encontre de l’Eglise. Le soulèvement de LEDRU-ROLLIN a été assez mal suivi du peuple.
C'est vers le conservatisme que l'abbé RARA s'oriente face à la querelle Religion-Université. WALLON maintient sa position libérale et nous le verrons donc voter contre la loi FALLOUX, lors de sa 1ère expérience politique.
Mais le comportement d'universitaire d’Henri WALLON, n’a pas étouffé en lui la nature profondément catholique, venue de son enfance et confortée par son amitié avec l'abbé RARA. Ainsi, durant cette même période qui met l'Eglise aux prises avec l'Université, l'abbé RARA et Henri WALLON échangent leurs idées à propos de la vie religieuse de cette époque, qui ne se résume pas uniquement à la querelle religion-université. Elle l'éclaire même considérablement.
Tout d'abord les deux hommes parlent des conférences qu'Henri WALLON entend à Paris et que RARA lit dans l' « Ami de la Religion. »
Un second problème qui traverse tout le XIXe siècle est le clivage des catholiques en diverses tendances. Nous essaierons de voir à quelle « école religieuse" appartiennent les deux hommes.
1. Les conférences de Paris.
Il s'agit de conférences qu'Henri WALLON entend à Notre Dame de Paris et qui sont données par deux grandes figures catholiques du XIXe siècle : le Père de RAVIGNAN, suite et le R.P. de LACORDAIRE, dominicain. Henri en parle dans les lettres qu'il adresse à sa famille mais il a dû en parler plus encore à l'abbé RARA qui suit les comptes-rendus dans son petit journal.
C'est d'abord du père de RAVIGNAN dont RARA entretient WALLON.
« Vous me parlez certainement de Mr de RAVIGNAN, que vous ne manquerez pas d'entendre. C'est vraiment un spectacle consolant de voir ce retour à nos vieilles et saintes croyances qui ne peut ou moins paraître suspect. »
(19-III-1843)
Dans la lettre suivante, l’abbé RARA entre dans le vif du sujet. Il apprécie les conférences du Père de RAVIGNAN « dans ce qu'il y a de principal » mais conteste son point de vue : RAVIGNAN pense que l'on peut fixer la limite entre le surnaturel et les possibilités réelles de l'homme. RARA pense qu'il est arbitraire de vouloir trouver cette limite. Il privilégie le rôle de la grâce qui, selon lui, touche l'homme dans ses moindres actes, ou circonstances dans lesquelles il se trouve.
Il trouve ensuite que M. de RAVIGNAN n'est pas assez convaincant :
« Mr de RAVIGNAN ne me parait pas expliquer comment notre volonté a contribué à cette privation de la justice et de la sainteté originelle dans laquelle nous naissons et qui nous rend incapables de voir Dieu tant que lui-même n'a pas réuni en nous par la grâce du baptême cette justice et cette sainteté qui nous manquent.... »
(18-IV-1843)
Et RARA tout en justifiant par les Ecritures son point de vue conclut :
« Voilà pourquoi je vous disais que son exposition me paraissait vraie, mais incomplète. »
(18-VI-1843)
L'abbé RARA porte ensuite un autre jugement sur la position prise par le Père de RAVIGNAN à propos de son ordre. Et replacé dans le contexte politico-religieux du XIXe siècle, le jugement de RARA est révélateur :
« Vous ne serez pas étonné de la manière dont je vous parle de la brochure de Mr de RAVIGNAN puisque je n'ai guère lu que l'introduction et la conclusion. Dans les extraits que j'ai lu du reste, je l'ai trouvé moins fort, en ce sens que je ne pense pas qu'il convainque tout le monde que le manière dont on entend l'obéissance dans son ordre rende l'abnégation du Jésuite plus parfaite que celle d'un saint évêque par exemple qui, sans être lié par ce vœu d'obéissance, n'en est pas moins tous les jours et à tous moments un acte d'abnégation et de renoncement à sa volonté propre. Il m'a semblé, sauf erreur, que là il était un peu l'homme de son ordre. Quant aux pratiques minutieuses dont vous vous plaignez, je crois, avec raison, je ne sais s'il faut les leur attribuer plutôt qu'à une certaine disposition générale des esprits qui se répand un peu partout. Je ne me serais pas attendu certes à la belle raison que vous me donnez pour justifier ces battements de mains on ne peut plus déplacés en présence d'un homme qui doit fuir de toutes les forces de son âme tout ce qui peut servir tant soit peu d'aliments à la vanité. »
(17-II-1844)
La critique, tout en restant voilée à l'égard d'un confrère ecclésiastique, montre que l'abbé RARA apprécie assez peu le régime de faveur que le gouvernement comptait accorder aux Jésuites[5] pour l'enseignement, ni l'exaltation à « l'abnégation » du jésuite. RARA n'est pas un partisan des Jésuites et on sent bien que c'est du bout des lèvres qu'il reconnait quelque valeur aux propos du Père de RAVIGNAN.
Dans un deuxième temps il révèle et discute la pensée d'Henri WALLON. Par « pratiques minutieuses » il faut entendre le rôle confié aux Jésuites, dissout au XVIIIe siècle par le gouvernement. L'abbé RARA approuve la réserve et même la désapprobation de WALLON mais aussitôt il modère le ton : il parle d'une certaine disposition générale des esprits qui serait plutôt responsable de ces « pratiques minutieuses ». Il reste bien vague et au fond de lui-même RARA rejoint un peu l'universitaire WALLON. Peut être a-t-il d'autres raisons d'adopter cette position : l'ordre des Jésuites, fortement structuré sur le modèle d'une armée, offre pour l'enseignement outre des maîtres probablement qualifiés, une garantie morale et peut-être même politique, au moins en ce qu'ils seraient des partisans de l'ordre, fut-il républicain, impérial ou monarchique.
Ensuite « la belle raison de ces battements de mains » n'est pas reprise par l'abbé RARA. S'agit-il simplement de son talent oratoire ? C'est possible. Et ici on sent l'abbé RARA laisser poindre son hostilité à l'égard du Jésuite : pour lui l'homme religieux est grave et doit fuir la vanité et les applaudissements.
Laissons s'exprimer un autre point de vue catholique à propos du Père de RAVIGNAN, celui de Mgr BAUNARD[6], directeur honoraire de l'université catholique de Lille et auteur d'une vie d'OZANAM.
« Le 30 décembre, la France apprit que son ministre de l'Instruction publique était devenu fou. Les Jésuites l'obsèdent et le poursuivant pour le perdre. Il en voit partout jusque sous les pavés de la rue : ‘Les Jésuites, les Jésuites !’ La guerre aux Jésuites était donc à l'ordre du jour dans le conseil du gouvernement, et au parlement, comme au Collège de France : COUSIN, THIERS, DUPIN, ISAMBERT, aussi bien que QUINET et MICHELET. »
On pourrait ajouter avec des nuances, Henri WALLON ; et Mgr BAUNARD poursuit :
« Or ce fut ces jours-là qu'OZANAM choisit pour faire entendre le Père de RAVIGAN aux étudiants dans une assemblée générale de St Vincent de Paul. »
Il cite, à la suite, le point de vue très favorable de Léonce CARNIER sur l'orateur du jour. Et OZANAM juge moins le prédicateur de retraite que les auditeurs :
« Après tout ce qu'on fait pour égarer la jeunesse, la manière dont elle accueille le parole catholique est une merveille. »[7]
Donc le Père de RAVIGNAN a un auditoire parisien assez large et de plus il écrit. En universitaire, WALLON est assez méfiant. En ecclésiastique, l'abbé RARA demeure prudent dans sa critique mais s'essaie discrètement au point de vue de WALLON en faisant peser sa critique sur l'attitude des Jésuites difficilement conciliable avec leur rôle de prêtres.
Tout autre va être le jugement porté sur LACORDAIRE qui donne lui aussi, des conférences à Notre Dame de Paris. Henri WALLON suit ses conférences beaucoup plus régulièrement et pendant plus longtemps. Alors qu'il critique à l'abbé RARA les Jésuites, il admire les enseignements du Père LACORDAIRE. Et dans la même lettre où l’abbé RARA, ménageant quelques peu les Jésuites, émet quelques critiques sur le Père de RAVIGNAN à WALLON, il discute grâce à son journal « 1'Ami de la Religion » des extraits des conférences que LACORDAIRE fait Notre Dame :
« Plusieurs extraits de ses discours m'ont paru très beaux, d'autres un peu singuliers souvent, surtout par l'expression. Il sert son monde selon le besoin de ces intelligences blasées. On ne peut plus leur rien dire de nouveau pour le fond : il rajeunit l'expression, il la change, il l'exagère, et l'auditeur croit entendre du nouveau. Il ne m'a jamais paru plus beau que quand il était plus simple. »
(16-II-1844)
RARA, qui suit assez bien la théologie, reconnaît le talent oratoire du dominicain. Mais il n'a pas pour retenir la critique à son égard la retenue qu'il observe vis-à-vis du jésuite RAVIGNAN : le vieil ordre de St Ignace reste auréolé d'un prestige d'ordre et de règle qui, pour l'abbé RARA, doit devenir proverbial. LACORDAIRE prend des libertés même en matière de politique qui suscitent évidemment de la part des milieux traditionalistes la réaction.
LACORDAIRE représente pour lui l’homme cultivé qui « modernise » pour attirer davantage, qui a le goût de la formule frappante et sonore. Il n'est pas étonnant que RARA se sente loin de lui, lui qui a refusé des postes universitaires, préférant la discrétion et son monde de Douai, l'ombre humble à la place bien en vue. Il serait surprenant qu'un Monseigneur DUPALOUP remporte tous les suffrages de l'abbé RARA.
Mais il reconnaît sans détour la valeur et la force des propos de LACORDAIRE dans ses sermons :
« J'ai été surtout frappé d'un passage où il développait admirablement cette pensée que Dieu avait répondu à toutes nos questions. C'est dans ce même discours, je crois, qu'il disait d'une manière bien frappante pour montrer la nécessité d'une doctrine simple et non élaborée péniblement par l'esprit humain : ‘Allez au sortir de cet auditoire à un sixième étage, portez-y vos sciences et voyez ce qu'elles peuvent pour adoucir ces misères’. Dieu se sert de tout pour ramener les hommes à lui. Des raisons présentées sous une forme insolite comme elles le sont quelquefois par le P. LACORDAIRE qui ne toucheraient pas un esprit accoutumé à goûter la vérité sous une forme plus simple, remuent jusqu'au fond de l'âme un auditeur autrement disposé. » (Ibid.)
RARA voit en lui un prédicateur répondant au besoin d'un certain public qui n'est pas celui de RARA. Le portrait de ce dernier nous apparait peu à peu à la lumière de ses jugements : un homme issu d'un milieu simple mais qui, grâce à un goût prononcé pour le travail et la réflexion, a acquis une valeur incontestable. Le style de ces lettres le montre mais son caractère plutôt sauvage le garde d'aller affronter les foules comme le font LALORDAIRE et RAVIGNAN.
Dans une querelle entre anciens et modernes, il nous serait bien difficile de classer l'abbé RARA. Ses prises de positions sont très diverses mais en matière de prédication, il adopte un parti qui est nettement celui des anciens. Cependant quels sont les motifs qui l'y poussent ? Est-ce du conservatisme de sa part ? Il semble que plutôt ce soit sa culture qui l'aide à se ranger à côté des anciens. Il a reconnu, on l'a vu, au P. LACORDAIRE d'attirer à lui foule d'auditeurs (nous verrons le sentiment de WALLON à la suite de celle de RARA.) Mais l'année suivante, il nuance se position.
« Il est bien sûr que les discours les plus profonds ne sont pas toujours ceux qui produisent le plus d'effet... La dernière conférence dont j'ai vu l'analyse... était probablement celle dont vous me dites quelque chose et où il comparait ROUSSEAU à St AUGUSTIN. On citait beaucoup de morceaux que je trouvais assez médiocres. Il ne me paraît pas avoir tiré de ce parallèle de PLATON avec FENELON le parti qu'il aurait pu en tirer. Et puis je suis toujours un peu fâché que ces Messieurs nous disent en termes un peu obscurs des choses très ordinaires et qui ne perdraient rien de leur profondeur assurément pour être exprimées dans un langage qui se rapprochât plus de celui du 17e siècle. Je crois que l'on a tort de penser que cette langue pure et plus sévère ne conviendrait pas à des Auditeurs du 19e siècle. » (IV-1845)
A côté de ce jugement, celui de WALLON est beaucoup plus enthousiaste et semble avoir persisté malgré l'orientation plus franchement religieuse de WALLON après son veuvage. Dans une lettre à ses parents du 12 février 1859, WALLON rend compte d'un sermon de LACORDAIRE à St ROCH et de ses conséquences. Il admire d'abord la prise de position de LACORDAIRE face à l'Empire et à sa politique. Il raconte la réaction de colère aux Tuileries et ajoute :
« On se sent fier d’être de l'opposition lorsqu'on s'y trouve avec des hommes comme LACORDAIRE et comme tous les nobles esprits que l'exil a chassé de la patrie. »
Dans quelle catégorie de chrétiens peut-on ranger l'abbé RARA et Henri WALLON ? Les deux hommes rendent compte l'un par ses critiques sur la politique, l'autre par son comportement d'universitaire et de député témoin -et acteur dans une autre mesure- des difficultés politico-religieuses jusqu'à le veille de la séparation de l'église et de l'Etat en 1905.
Une deuxième question se pose : leurs positions ont-elles évoluées ?
2. Ultramontains ou Gallicans ?
Alors que le gallicanisme hérité de l'attitude médiévale des rois de France commençait à diminuer d'influence, une catégorie de catholiques nouveaux défendent à outrance l'autorité du Pape. Les gallicans perdront toute leur influence lors de la soumission aux enseignements du concile Vatican I.
C'est surtout la position de l'abbé RARA que nous allons examiner dans le détail. Celle d'Henri WALLON, que nous étudierons ensuite, découle quelque peu de l’abbé RARA, qui est à bien des égards le maître spirituel du jeune professeur universitaire.
M. PALANQUE[8] explique les origines du gallicanisme en France, et après la Révolution, ce mouvement se maintient.
« St Sulpice et sa congrégation de prêtres disséminés dans toute la France était le centre grâce auquel l'esprit ancien avait passé dans le monde nouveau. »
D'autre part, Mgr. FRAYSSINOUS, sorti de St Sulpice et ministre de l'Instruction Publique sous Charles X, écrit « les vrais principes de l'Eglise Gallicane », synthèse de la doctrine qui était défendue au jour le jour par un organe religieux : « L'Ami de le Religion et du Roi ».
Un deuxième courant qui prend corps au milieu du XIXe siècle fait campagne par la presse contre le gallicanisme ; c'est l'ultramontanisme. PALANQUE voit en lui plus un comportement qu'une doctrine comme le gallicanisme.
Pour quelle école l'abbé RARA va-t-il opter ? Le choix de St Sulpice pour séminaire en 1836 indique que déjà l'abbé RARA acceptait le gallicanisme. Et ensuite, en tant que prêtre à Douai, l'abbé RARA, préoccupé de son enseignement et de son rôle de prêtre, donnera la préférence à « l'Ami de la Religion » pour s'informer des grands problèmes de son temps.
Dans ses lettres, s'il reconnaît souvent qu'il est limité à son seul petit journal et qu'il ne se préoccupe pas de politique, ce petit journal lui sert quand même bien de canal pour discuter tout ce qui touche la Religion et la politique. Il s'en remet entièrement à lui pour s'informer et prendre parti.
Les éléments sont donc requis pour faire un bon gallican : St Sulpice et « l’Ami de la Religion ». Mais une lettre adressée à Henri WALLON nous donne son véritable sentiment sur les ultramontains et nuance le gallicanisme de l'abbé RARA.
« Vous me demandez ce que je pense de la brochure de Mr de MONTALEMBERT, de ses opinions et en général du gallicanisme si fort maltraité par lui. Je vous dirais tout simplement que je ne suis pas en état de vous répondre, que je n'ai pu jusqu'à présent me décider à étudier une question qui après tout n'est qu'une opinion et sans la discussion de laquelle on devrait toujours se souvenir d'un mot très vrai : in dubiis libertas. Pourquoi traiter avec cette hauteur, après M. DEMAISTRE (Joseph de MAISTRE) qui traite, dit-on si cavalièrement FLEURY et BOSSUET lui-même des hommes qui ne pensent pas comme nous sur un point où l'Eglise, quoiqu'on dise, ne s'est pas prononcée. Je ne connais pas la brochure de Mr. de MONTALEMBERT, mais j'ai déjà remarqué dans plusieurs dissertations de ce genre, comme dans les discussions qui ont été soulevées depuis quelques temps à l'occasion du bréviaire romain, une hauteur de langage que je n'aime pas dans ceux qui se disent les défenseurs du Saint Siège, et il condamne disait Mr de BONALD en parlant de D. GUERANGER (Dom G.), là où le pape ne condamne pas de fait. Je crains, à vous dire vrai, que plusieurs de ces messieurs ne ressemblent un peu à ceux que l'on disait en 1814 plus royalistes que le Roi. Je n'aime pas, qu'on m'impose une opinion que je puis très bien ne pas avoir tout en restant enfant soumis et docile de l'Eglise. »
(16-VI-1844)
Puis RARA qualifie « d'excentricités » toutes ces prises de positions. Ce sont deux extrêmes que l'abbé RARA condamne.
Dans cette lettre on sent une certaine difficulté -bien compréhensible- à se situer par rapport à ces courants qui s'affrontent. Et cette difficulté doit être partagée par H.WALLON qui réclame de son ami une prise de position sur cette brochure de MONTALEMBERT.
On imagine aisément qu'ils n'ont pas dû être les seuls à s'interroger sur le parti à prendre. D'autant que ces tenants du catholicisme, libéraux, gallicans ou ultramontains, vont évoluer durant le XIXe siècle au gré des événements politiques et religieux.
Issu du cercle de LAMENNAIS, MONTALEMBERT aurait pu se trouver dans les idées de l'abbé RARA. Mais si ce dernier défend la thèse de la supériorité de la foi sur la raison (il en fera l'ouvrage de sa vie), il reste la formation à St Sulpice et l'Ami de la Religion. Il refuse de prendre parti sur la brochure de MONTALEMBERT car « l'Ami de la Religion » n'en donne qu'une vue partielle. Ce qui ne l'empêche pas de placer le catholique libéral qu'est MONTALEMBERT dans la lignée de Joseph de MAISTRE, dont RARA admet qu'on le présente comme « traitant cavalièrement » FLEURY et BOSSUET. Il faut aussi se rappeler l'admiration que l'abbé RARA pour les hommes du XVIIe siècle et leur langue. Il est beaucoup plus réservé quand il s'agit des méthodes « révolutionnaires » de LACORDAIRE pour faire du prosélytisme. A ce niveau, on s'aperçoit que son esprit procède des deux tendances : en matière de réflexion religieuse il s'approche d'assez près du fidéisme, mais dès lors qu'il s'agit du gouvernement de l'Eglise il se méfie de ces théoriciens que le St Siège a condamnés.
Sa méfiance à l'égard des ultramontains se transforme sur ce dernier point en une hostilité à l'égard de l’ultramontanisme que fait bien comprendre la comparaison avec « les Royalistes de 1814 plus royalistes que le Roi ». Sa position consiste aussi en un refus d'une opinion qu'on tenterait de lui imposer. En matière de religion, il affiche donc une indépendance de conscience qui, nous le verrons, fera son chemin chez WALLON, mais sur le plan politique surtout.
Face au gallicanisme, que PALANQUE décrit comme étant animé par deux courants, il est dès lors possible de situer l'abbé RARA :
- une tendance politique : assujettissement du clergé, négation de l'infaillibilité.
- une tendance plus calme : reconnaissance de la primauté du Pape, indéfectibilité du Siège de Rome : si le Pape est faillible, il ne faut pas le renverser en tombant dans l'hérésie.
Cette dernière tendance reflète un gallicanisme plus tiède et qui correspond assez aux idées de RARA. Son opinion sur PIE IX et sur les événements qui le touchent le montrera.
Autant dire que devant l’ultramontanisme montant, la réaction néo-gallicane loin d'être homogène : Mgr. DARBOY entraîne un gallicanisme rigoureux ; Mgr MARET, tout en regrettant que l'Eglise n'admette pas la pluralité de systèmes philosophiques n'est pas attaché au pouvoir temporel du pape (nous verrons que RARA s'approche de lui sur ce point). Par contre, un Mgr. DUPANLOUP, très acquis au maintien de la souveraineté temporelle du Pape, malgré une marque gallicane qui reste et qui est due à St Sulpice, fait place à des idées plus libérales.
RARA aurait des conceptions s'approchant assez des siennes. Il l'admire même beaucoup mais il ne revendique pas la place de premier plan de l'évêque. Sa modestie, son désir de rester dans l'ombre font de lui un témoin intéressant de son temps. Il n'appartient pas vraiment à un groupe religieux mais par ses idées et ses aspirations, il fait figure d'un gallican isolé (comme beaucoup dans le XIXe siècle) mais non acharné, désireux de maintenir un courant entre les ultramontains et les néo-gallicans.
Finalement sa position est la plus sage ; il la maintiendra à peu près telle jusqu'à sa mort alors que la plupart des catholiques évolueront surtout face à la grande question de l'infaillibilité pontificale.
Quant à H. WALLON, sa position est plus franchement libérale. La lettre du 16-VI-1844 de RARA répondait une question relative à MONTALEMBERT qui intriguait WALLON.
Que penser de la lettre que H. WALLON écrit à Mgr LAGRANGE et qui n'est pas datée ?
« Pour moi gallican je suis, gallican je resterai, comme nos frères et toujours tout à Dieu, bien à vous ... ».
Cette profession de foi reste assez difficile à interpréter. En effet H. W1iLLON n'a pas reçu l'empreinte sulpicienne (si tant est qu'on puisse ramener le seul gallicanisme à elle). Très tôt il a été amené à confronter son catholicisme convaincu, venant de son enfance, aux difficultés du monde universitaire.
C'est plus une position libérale qu'il adopte qu'une attitude gallicane à proprement parler. Si l'on s'en tient aux rapports qu'il a avec les milieux catholiques libéraux, on aurait tôt fait de l'y associer : H. WALLON écrira au « Correspondant » (où MONTALEMBERT écrit aussi), il se lie d'amitié avec OZANAM favorable comme lui à la République, il est enthousiaste à l'écoute des sermons de LACORDAIRE.
Mais à côté du monde universitaire auquel il appartient et qu'en l'aimant il est amené à défendre, il y a les conseils prodigués par son vieil ami et collaborateur. Et en matière de religion ils font leur effet sur l'esprit d’H. WALLON, qui au début eût volontiers récusé l'attitude des évêques français sur le problème universitaire. Ici l'esprit de discernement de RARA n'a pas manqué de l'influencer.
Alors, la lettre à Mgr LAGRANGE, qui se situe vraisemblablement à un moment où WALLON, universitaire, a atteint l'âge mûr, et où le gallicanisme n'est plus très vivant. Par contre, son attitude à l'université qui l'isole des autres universitaires montre que WALLON est loin d'être ultramontain. Il condamne autant que RARA les prises de position de l’« Univers » de VEUILLOT.
S'ils rejettent tous deux l'Ultramontanisme comme excessif, ils avancent prudemment dans des positions libérales - en matière de religion au moins pour l'abbé RARA. Pour WALLON, c'est d'autant plus facile que son expérience universitaire et surtout politique se solde par une prise de position réellement républicaine en 1849 alors que RARA reste fidèle à un certain loyalisme monarchique et traditionnel.
Mais avant que WALLON en vienne à la députation en 1848, c'est une lente préparation qui s'amorce vers les années 1837 avec ces premiers travaux d'historien.
A part ses deux thèses et deux petits ouvrages de géographie qu'H. WALLON avait écrits en 1838 et 1839 pour se faire de l'argent, on ne peut dire que sa carrière d'écrivain était vraiment ouverte. C'est par le biais d'un concours de l'Académie des Sciences Morales et Politiques qu’H. WALLON en viendra à un premier ouvrage consistant, qu'il reprendra par la suite, sur l'esclavage dans l'Antiquité.
Dans la foulée de ses études d'histoire, il tombe presque par hasard sur la question suivante, proposée par l'Académie au concours et qu'il entreprit de traiter :
1° Par quelles causes l'esclavage ancien a t-il été aboli ?
2° A quelle époque, cet esclavage ayant entièrement cessé dans l'Europe Occidentale, n'est-il resté que la servitude de la glèbe ?
Il ne restait plus que trois mois pour remettre les mémoires. WALLON et son collègue, agrégé d'histoire comme lui, YANOSKI, se mirent aussitôt aux recherches utiles et à la rédaction. WALLON s'est réservé tout ce qui concernait l'antiquité.
Malgré ce travail effectué rapidement le mémoire a obtenu le prix de l'Académie des Sciences Morales et Politiques en 1839.
En 1844, H. WALLON reprend cette question de l'esclavage antique pour la développer davantage. Son but est d'en faire une thèse, en s'appuyant avec une nouvelle source : les Ecritures Saintes. C'est donc vers RARA que WALLON se tourne pour discuter ses hypothèses et les passages des Ecritures, que le prêtre connaît bien, et où il est question de l'esclavage.
En Octobre 1844, il annonce à RARA qu'il ne pourra traiter sa thèse en deux ans. Son ami ne s'en étonne pas : il connaît les sources et en y travaillant, il sait le temps que l'on peut y passer.
1. Les recherches en commun.
Henri WALLON entreprend dans un premier temps un abondant travail de documentation. Il est aidé dans sa tâche par son ami : RARA a consulté presque tous les pères de l'Eglise du début de l'ère chrétienne :
« Je n'y ai rien vu ou presque rien qui ait trait à votre sujet, excepté des passages que je vous donnerai ; et je crois pouvoir vous affirmer, ces extraits étant fort étendus et ayant été faits avec soin, que vous passeriez du temps inutilement à y chercher quelque chose pour votre thèse. »
(5-V-1844)
Puis dans la même lettre il donne les extraits en question : entre autres St IGNACE s'adressant à St POLYCARPE pour justifier l'esclavage comme étant nécessaire pour tous les entretiens matériels ; puis St CLEMENT d'Alexandrie qui reproche aux riches de son temps le trop grand nombre d'esclaves. Devant ces exemples RARA ne prend pas encore position.
Dans une lettre suivante H. WALLON discute des prises de position des Pères de l'Eglise sur l'esclavage : WALLON leur reproche de ne pas être -ou pas assez- en faveur de l'abolition de l'Esclavage. Si, dans le mémoire primé par l'Académie, WALLON se contente de décrire l'esclavage et d'en faire l'historique, dans sa thèse il entend développer son premier travail et souligner le caractère abusif de l'esclavage pour que l'on en vienne à l'abolir. C'est une tendance qui commence à s'affirmer en France et en Angleterre. V. de BROGLIE avait fait une communication dans ce sens à la chambre des Pairs, ce qui, d'après G. PERROT, avait fait sensation.
A cela l'abbé RARA répond dans un sens purement religieux :
« Il y a des misères dans la société que la Religion adoucira de plus en plus à mesure qu'elle entrera davantage dans les cœurs mais qu'elle ne détruit pas entièrement parce qu'elles tiennent, à l'état où le péché nous a mis. »
Puis RARA pour justifier son point de vue fait une comparaison avec la soumission de la femme et poursuit :
« On aura beau faire il y en aura toujours (de l'esclavage) un peu plus, un peu moins sur la terre... Le rôle de la Religion est de l'adoucir sur la terre, mais non pas je crois de le supprimer entièrement. Je ne crois pas qu'un état de chose qui serait radicalement contraire à la justice ait été autorisé de Dieu. Or, l'esclavage est autorisé clairement par les lois anciennes »
(l-VII-1845)
Cette prise de position appelle deux remarques L'abbé RARA fait preuve d'un certain sens des réalités : « De l'esclavage, il y en aura toujours ». Pour lui l'ordre de la société ne peut changer : en effet, quelque soit le système social, esclavagiste ou non, il faudra toujours de la main d'œuvre pour faire le travail qu'ont fait les esclaves. Mais il ne tient pas compte ici du statut juridique qui est important et qui empêche en grande partie une mobilité dans l’échelle sociale, qui marque l'évolution normale d'une société moderne.
Est absente entièrement ici de ses préoccupations, la notion de progrès qui libère l'homme de certaines tâches écrasantes, même si, dès l'avènement de l'ère industrielle -dans les années 1840-1850 en France- le progrès entraîne une nouvelle forme d'asservissement qui deviendra la matière principale de certaines doctrines comme le socialisme, qui cherche sa voie à l'époque, ou le marxisme qui va faire son apparition.
La seconde remarque consiste dans la justification que RARA donne de l'esclavage : il s'appuie sur les Ecritures, l'état d'esclavage tient au péché originel et d'autre part l'abbé RARA trouve une explication a contrario : Dieu n'aurait pas permis un état contraire à la justice. On retrouve ici le fil directeur des idées de la supériorité de la Foi sur la raison ; il se repose sur les Ecritures qu'il défend en tant que révélées. Cette croyance en la Révélation par les Ecritures est le fondement même de ses idées auquel il ramène toute explication. Puisque l'esclavage est autorisé par l'Eglise, il est donc bon de le conserver. Ainsi RARA le conçoit comme un moyen d'arriver à la foi.
Or ce point du vue d'exégète ne manque pas d'intriguer WALLON qui vit plus dans le monde.
Malgré les justifications des écritures, WALLON, plus jeune et moins traditionnaliste – nous dirons plus social – rejette cette théorie au nom de l’humanité. On comprend davantage cette position : car elle vient d’un universitaire encore jeune (32 ans).
Ses intentions sont claires en écrivant avec YANOSKI cette histoire de l'Esclavage il compte en arriver à faire sentir à son entourage la nécessité de l'abolir. Voici ce qu'en dit G. PERROT dans sa notice :
« On se serait d'ailleurs trompé en ne voyant là sur la foi du titre qu’un pur ouvrage d’érudition. Libéral et chrétien, WALLON considérait l’esclavage comme un crime de lèse-humanité ».
La position est donc opposée à celle de l'abbé RARA. Il est intéressant de noter que WALLON cherche à concilier les données de la vie moderne avec les Ecritures ; l'histoire et ce qui relève de la foi. C'est une tâche qu'il entreprend ici et qui le guidera toute sa vie. Sans jamais renier son catholicisme foncièrement convaincu, il ne recule jamais pour élaguer ce qui pourrait nuire à l'humanité ou entraver sa liberté. Ceci le conduira parfois à renier certaines prises de position antérieures lorsqu'il voit qu'avec le temps elles restreignent la liberté : ce sera le cas, par exemple, de la Loi sur l'enseignement. En écrivant sa thèse, se posait alors le problème non négligeable du choix de l'édition.
2. L'ouvrage rédigé, l'édition : 1846-1847
Dès le mois de novembre 1846, Henri WALLON se met en quête de trouver un éditeur. Il a l'embarras du choix et l'abbé RARA s'avoue incompétent pour le conseiller. Son opinion sur l'esclavage a dû évoluer au cours de discussions avec WALLON ; s'il n'est pas un partisan de l'abolition de l'esclavage, il reconnaît le but généreux et humain des recherches de son ancien élève.
Dès avant l'impression de l'ouvrage, Henri WALLON fait des communications sur son sujet et obtient même une distinction (nous ignorons laquelle) pour son sujet. L'abbé RARA s'en réjouit : cette question intéresse une bonne partie de l'opinion et l'influence de ce livre sur l'abolition par la Chambre au lendemain de 1848 n'est plus à prouver. C'est surtout, de la part de RARA, la satisfaction de voir le travail de longue haleine (malgré l'enseignement) d’H. WALLON couronné d'un succès certain. La sympathie l'emporte donc sur le triomphe d'une idée qu'il ne condamne pas mais ne favorise pas non plus.
Le 13 décembre 1847 l'abbé RARA porte un jugement très favorable sur l'ouvrage de WALLON. Il voit et apprécie le rapport avec l'Evangile. Pour faire la critique de cet ouvrage, vu les références nombreuses aux Ecritures et aux Pères de l'Eglise, RARA ne se place pas au point de vue politique mais religieux. La portée politique laisse la place au travail d'érudition.
Dans la préface de 1847, Henri WALLON explique :
« Nos trois volumes font trois livres. Les deux premiers présentent dans un ordre analogue, les origines, les conditions et les effets de l'esclavage,1° En Orient d'abord et surtout en Grèce, 2° A Rome et dans les pays d'Occident. Dans le 3° nous décrivons les influences qui, dès les premiers siècles du Christianisme et de l'Empire, en attaquent la droit d'usage, et commencent à le transformer ou à le réduire. »[9]
Une fois rédigé, WALLON communique la 1ère édition à l'abbé RARA qui en donne la critique suivante :
« Le second volume, si l'on pouvait en le lisant oublier le premier présenterait assurément le même intérêt. C'est toujours la même clarté dans la méthode la même critique, la même érudition, le même sentiment de la dignité humaine, la même indignation contre des excès qui la blessent et la déshonorent. »
(5-V-1848)
RARA trouve que certains chapitres du 2° volume se répètent avec ceux du 1er. Il avoue ensuite qu'il ne voit pas comment il aurait pu faire autrement :
« J'ai trouvé un peu long ce que vous dites des guerres serviles et de celles des GRACQUES. Il me semble que votre sujet aurait gagné en intérêt à ce que vous soyez plus bref dans ces épisodes. »
(Ibidem)
Le 3° volume reprend tout son intérêt :
« Peut-être vous reprocherais-je ici comme ailleurs quelque longueur, par exemple, quand vous exposez la doctrine des prophètes par comparaison avec celle de l'Evangile, et, aussi dans les extraits des Pères qui constatent des efforts constants faits par eux en faveur de la liberté et contre l'esclavage. Je n'entre pas dans les détails et ne veux parler que de l'impression générale que j'ai éprouvée en lisant ce beau travail. Il y a bien quelques critiques à faire mais dans quel ouvrage n'y en a t-il pas? »
(Ibidem)
C'est une tendance que l'on reprochera souvent à H. WALLON d'être long dans ses écrits, dont l'unanimité des lecteurs reconnaît l'érudition et le sérieux de la documentation. Mais l'abbé RARA ne partageant pas les mêmes vues que son ami sur l'esclavage, trouve que les extraits des Pères de l'Eglise sont trop longs. C'est qu'évidemment ils vont dans le sens favorable à l'abolition. Malgré sa position conservatrice RARA est heureux de voir l'influence de ce livre :
« Je vois dans mon petit journal que plusieurs ecclésiastiques sont partis pour les colonies qui nous appartiennent. Ma première pensée a été que votre influence n'était pas étrangère à cette mesure. »
(Juillet 1848)
RARA reconnaît donc le bien-fondé de l'ouvrage sur le plan religieux. Un second témoignage montre que l'ami d’H. WALLON apprécie ce travail malgré leur divergence de vue. Il est heureux de communiquer à H. WALLON le succès de son travail : il a remis à l'archevêque de Cambrai « L'Histoire de l'esclavage dans l'Antiquité ».
« Monseigneur ne vous a t-il pas écrit? Il serait possible que les déplorables et infiniment douloureuses affaires de Rome l’aient empêché de le faire, s'il ne l'avait pas fait à cette époque. »
(3-XII-1848)
Qu’est-ce qui a pu motiver Henri WALLON à écrire sur ce sujet ? Désirait-il seulement reprendre et développer les deux questions que des Sciences Morales et Politiques avait posées ?
D'autres raisons peuvent être avancées, qui tiennent à la fois au caractère et à la vocation du jeune professeur. Nous avons vu que les influences du père et de la mère d'Henri étaient profondément différentes. La tradition catholique fervente et royaliste que WALLON hérite du côté maternel est contrebalancée par les idées républicaines modérées de son père qui est sensible à ce qui touche la justice mais toujours partisan de l'ordre. Ces deux tendances, difficiles à concilier, se retrouvent chez WALLON et si le côté catholique est renforcé par les relations d'Henri -principalement l'abbé RARA- le républicain, épris de plus de justice et d'équité subsistera toujours et viendra même épauler et caractériser son catholicisme tout comme ses expériences politiques.
Une seconde raison : Henri WALLON ayant suivi brillamment tout le cursus de ses études d'histoire éprouve la nécessité de faire des recherches. Déjà il avait affirmé son goût pour la recherche avec MICHELET, son maître à penser en matière d'histoire. Il se peut que ce soit au contact de lui, qui l'a souvent recommandé auprès du ministère, qu'il ait été intéressé par la question de l'esclavage. D'autre part H. WALLON ne cache pas ses préférences pour l'histoire ancienne dont il peut s'entretenir en compétence avec l'abbé RARA.
Or en plus de ce domaine historique encore resté vierge, l'esclavage est dans cette moitié du XIXe siècle devenu une question d'actualité. Et pour WALLON c'est l'occasion d'exposer ses idées en matière de société à partir de ce sujet. Il s'en explique dans l'introduction de son ouvrage (tome 1er) que G. PERROT en 1905 résume clairement :
« L'auteur étudie l'esclavage tel qu'il existait alors (1847) dans les colonies. Il en décrit les effets qui démoralise le maître autant que l'esclave. Sans se laisser arrêter par la haute situation de quelques uns des défenseurs de l'institution servile, il réfute, avec une ironie discrète et une chaleur contenue, leurs sophismes intéressés. Il insiste sur le peu d'efficacité des demi-mesures par lesquelles une loi récente avait essayé d'atténuer, aux Antilles françaises, les maux qui résultaient de ce régime. Il n'a d'ailleurs l'esprit violent ni absolu. Il se contenterait d'un affranchissement progressif mais il ne l'accepterait que si la période de transition, assez courte, aboutissait à un terme fixe. Sa conclusion est formelle : « Il n'y a, dit-il, qu’un seul moyen de faire cesser les abus de l'esclavage, c'est de l'abolir. »
Henri WALLON en est arrivé à un premier tournant sa carrière lorsqu'il entre en 1846 de plein pied à l’université pour y entreprendre une longue carrière de professeur, il convient de suivre les conséquences de son premier ouvrage d'histoire. Et c'est dans le contexte révolutionnaire de 1848 qu’Henri WALLON va aborder la politique.
II
LES DEBUTS DE LA CARRIERE POLITIQUE D’H. WALLON (1848-1850). L’ABBE RARA SUIT WALLON DANS SA CARRIERE D’ECRIVAIN ET POURSUIT SON TRAVAIL SUR LA BIBLE (1840-1860)
« L'Histoire de l'Esclavage dans l'Antiquité » commence à se répandre au moment où éclatent les émeutes de février 1848. Ces faits donnent lieu à des commentaires dans les lettres et les circonstances dans lesquelles H.A. WALLON va accéder à la Chambre des députés dépendent à la fois de l'ouvrage de WALLON et du contexte politique au moment de la publication.
Nous aborderons successivement, les événements de 1848, les conséquences de l’ « Histoire de l'esclavage » et la première députation d'H.A. WALLON (1849-1850).
1. les événements de 1848 en France et à Rome : Le point de vue de l'abbé RARA
Une réflexion dont RARA fait part à H.A. WALLON dès le début de 1848 révèle dans quel état d'esprit le vicaire de St Pierre de Douai va expliquer les mutations politiques de 1848 :
« Je trouve comme vous, mon ami, et comme je suis votre aîné, je le sens peut-être davantage, que le temps s'écoule avec une vitesse que rien n'égale. Et il y a déjà bien des années que la lecture de l'histoire me faisait éprouver le sentiment dont vous me parlez. C'est bien là qu'on pourrait appliquer la parole du Prophète : mille anni tanquam dies unus ; toutes les générations des hommes passent devant vous comme une ombre mais ces leçons nous profitent peu, et pour le plus grand nombre, elles ne suppléent jamais aux leçons plus rudes de l'expérience personnelle. Voilà pourquoi la Société souffre tant. Chaque homme d'état en est à sa première expérience ; et il semble qu'aujourd'hui surtout on compte plus que jamais pour rien celle des autres. C'est pourtant un service à rendre à ceux qui nous entendent d'attirer leur attention sur les exemples du passé. Il y a quelques âmes d'élite auxquelles cela profite ; et puis nous pouvons toujours être les premiers à en profiter. »
(7-1-1848)
C'est un changement trop superficiel ou sans prolongement durable que l'abbé RARA dénonce, et donc un manque d'expérience. Le recours aux exemples du passé - en particulier ceux des Ecritures - serait un utile complément de formation. Il fait la constatation que l'Eglise n'a plus l'importance politique qu'elle détenait sous l'Ancien Régime et sans l'affirmer ouvertement, il regrette un peu cette force d'autrefois. Il parle néanmoins de « quelques âmes d'élite » qui suivent ces exemples du passé, lui-même et son ami WALLON les suivent aussi, leurs goûts et aptitudes les tournant vers eux. Cette nostalgie n'est pas désespérée, l'abbé RARA est conscient que le temps qui s'écoule s'accompagne inévitablement d'une évolution des mentalités et en particulier celles des chefs d'Etat. Et il conclut que « la société souffre » à cause de cette confiance en l'expérience uniquement personnelle. On ne pourrait lui donner entièrement tort. Mais à la veille de la révolution de 1848, il reste tourné vers un passe lointain. Ce qui fait de lui un homme qui conçoit le changement comme inéluctable, bien qu'il ait du mal à s'adapter à une situation nouvelle - son comportement le montre et le reconnait - ; et assez curieusement, lui qui reconnaît un certain bien-fondé de l'esclavage, condamne tout excès et violence en étant même assez tourné vers les catégories humbles et défavorisées (la région du Nord les voit grossir de plus en plus). Seulement il n'en fait pas un programme d'action autre que ce que l'Église préconise : assistance, œuvres de charité...
A quoi attribuer cette attitude passéiste ? D'abord à sa culture, mais aussi à une certaine déception de la Monarchie de Juillet : il est victime pour sa promotion universitaire, à laquelle il renonce, de l'excès de centralisme du Conseil Royal (sa retraite, ses nominations...). Il n'en reste pas moins fidèle à l'institution monarchique dans son principe. Mais il espère dans le changement qu'il pressent (« la société souffre tant ») pouvoir adapter « ces exemples du passé » avec les données de la vie moderne. Ce n'est donc pas dans une optique résolument conservatrice et ultra qu'il va commenter -à son niveau de témoin éloigné de la capitale- les étapes de la révolution de 1848.
L'abbé RARA ne dit rien des émeutes de février. Il n'écrit même pas à H. WALLON durant ce mois. Une lettre d'avril 1848 ne parle que de la suppression de la chaire de GUIZOT occupée depuis 1846 par H. WALLON. Il ne parle pas des évènements politiques et conseille seulement, d'une façon générale de s'en référer à Dieu. Il n'est pas possible d'interpréter ce silence d’autant plus que certaines lettres de cette période ont pu être perdues ou détruites.
Par contre, au mois de mai suivant l'abbé RARA fait une allusion timide en post-scriptum.
« Savez-vous bien que je me suis dit il y a quelques jours en lisant certains décrets ‘O mihi practerite, referat si Jupiter annos’ : quel dommage, pourtant de n'être pas venu au monde trente ans plus tard, j''aurais l'épée au côté. Mais ne faut pas rire, le dernier acte sera peut-être trop terrible. »
(5-V-1848)
Il s'agit des premières mesures prises par la nouvelle assemblée constituante réunie pour la première fois la veille, et composée surtout de bourgeois républicains modérés. La séance traduisait déjà les dissensions qui allaient opposer les bourgeois aux socialistes le 15 Mai, étant donné qu'elle se scindait en comités de travail. Le parti de RARA n'est pas clairement exprimé ici : « L'épée au côté » est une image. RARA a conscience du danger. S'il accepte le changement de régime comme la plupart du clergé, « Le dernier acte » qui « sera peut-être terrible », d'après les idées de l'abbé RARA, ne traduit que la crainte d'un débordement socialiste à la Constituante.
Dans la lettre suivante RARA est plus précis ; il écrit juste après les journées de juin, au début de Juillet :
« Je suis bien aise de vous voir sortir vous et votre famille d'une ville qui est en état de siège : non pas que je trouve que l'homme de coeur qui fait durer cet état ait tort, mais la nécessité qui le rend sans doute utile fait le sujet de ma joie quand je vous vois sortir. »
(Juillet 1848)
En effet H. WALLON vient faire passer des examens à Douai. Il s'agit des émeutes ouvrières qui ont eu lieu après la suppression des Ateliers Nationaux, et qui prennent l'aspect de révolte de la misère. RARA ne peut accepter cette violence et « l'homme de cœur » qui tente de maintenir l'ordre dans Paris est le général CAVAIGNAC. Ici RARA, témoin éloigné de ces événements, se comporte surtout en un partisan de l'ordre. On ne peut conclure qu'il est républicain pour deux raisons
- On ne trouve nulle part ailleurs d'autres prises de position en faveur d'un gouvernement républicain.
- Jusqu'à la fin de sa vie il montrera de l'intérêt pour ce qui touche la monarchie et même les prétendants au trône de France : cf. le préceptorat pour le comte de Paris.
L'abbé RARA tient à coeur un second sujet. S'il n'est jamais question, ou presque, de politique internationale :
- ses activités ne l'emmènent pas à s'y intéresser
- les affaires de Rome le sensibilisent particulièrement.
Dans la lettre du 3-XII-1848, il dit à H. WALLON qu'il a communique « L'esclavage » à l'archevêque de Cambrai et ajoute :
« Il serait possible que les déplorables et infiniment douloureuses affaires de Rome l'ait empêché de vous remercier. »
Le lendemain l'abbé RARA reprend sa lettre car avant de l'envoyer il a reçu une lettre d'H. WALLON qui lui parle des évènements de Rome :
« Vous ne vous trompez pas, les événements de Rome m'ont bien attristé ; mais sans rien préjuger de ce que Dieu nous prépare je suis, après ce que j'ai entendu dire ce matin de l'arrivée du St Père en France, de l'empressement du gouvernement à le recevoir dignement, de l'entrainement de l'Assemblée à courir m'a t'on dit, au devant de lui, je suis plus que jamais dans la pensée qu'il se prépare quelque grand événement. Nous sommes de tous côtés environnés de mystères. Mais au fond de tout cela, j'attends une grande miséricorde et j'espère que nous pourrons, avant d'entrer dans le Sanctuaire du Dieu vivant pour y chanter éternellement ses miséricordes, les chanter un peu dès à présent sur la terre. Fiat. Fiat… Quant à l'Eglise, quelque tournure que prennent les évènements, elle n'a plus à craindre que son auteur ; jusqu'au bout il faut qu'elle subsiste pour enfanter des élus, et devenir après les épreuves de la vie présente, l'Église triomphante qui durera autant que Dieu même. » (3-XII-1848)
Dans cet extrait l'abbé RARA n'apparaît pas comme un être rivé aux événements du passé. Ce qui arrive au Pape n'est pas considéré par lui comme une catastrophe mettant en péril la vie de l'Eglise. Il plaint le Pape et se réjouit de voir l'attitude du gouvernement de la IIe République. Mais de toutes ces difficultés, il attend quelque chose de meilleur. Et ce temps meilleur, il l'espère même dans un avenir terrestre.
L'Église doit s'adapter à chaque situation nouvelle. Mais il n'en reste pas moins que pour l'abbé RARA, le but suprême est la réalisation totale des promesses des Ecritures. Pour ce qui est d'un changement politique - des rapports du Pontife avec les puissances temporelles par exemple pense à une autorité morale du St Siège qui devait coiffer les gouvernements.
D’autre part, l’abbé RARA reconnaît l’autorité du Pape sur tout l'Église. En cela il ne varie pas sa position. Nous y reviendrons en étudiant ses vues sur l'infaillibilité pontificale.
Une seconde remarque s'impose : RARA n'aborde les affaires du St Siège que de façon abstraite. Il juge l'ensemble. Ce fait tient peut-être à la connaissance réciproque des deux hommes de ce qui s'est passé en Italie. Mais de la part de RARA « les déplorables et infiniment douloureuses affaires de Rome » résument tous les faits. La fuite du Pape à Gaète en Novembre 1848 après la mort de son ministre, le comte ROSSI, et l'instauration de la République de MAZZINI à Rome sont regrettables selon lui mais font partie de ces changements qui peuvent permettre certaines améliorations sur le plan religieux. Sur cette question de la souveraineté temporelle du Pape, le vicaire de Douai y reviendra plus tard et dira comment il conçoit le rôle de l'Eglise.
Nous retiendrons ici que l'abbé RARA n'est pas hostile à un changement politique et religieux mais dans certaines limites qui sont celles des Ecritures. Et les textes sacrés qui absorbent principalement son attention le restreignent parfois à des points de vue qui l'empêchent de voir à l'échelle humaine certains problèmes cruciaux comme l'esclavage. Or WALLON suit les deux démarches celle où les Ecritures sont prises pour point de départ et celle qui part d'un fait actuel et précis, l'Esclavage. Cette deuxième démarche WALLON la suit plus volontiers, car l'Esclavage soulève l'indignation d'un noyau d'esprits qui croît de plus en plus. Cette considération plus humaine va amener WALLON à s'engager jusque dans la politique. Son but n'est pas uniquement religieux, il est largement humanitaire. Ici les Ecritures ne sont pas interprétées de la même façon par les deux hommes et finalement 1848 ne met pas les mêmes espoirs chez chacun d'eux : l'un voit surtout les conséquences heureuses qui permettraient une plus grande liberté religieuse, l'autre (WALLON) songe à un engagement politique émanant d'un désir de plus de liberté, « l'Histoire de l'esclavage dans l'Antiquité » va lui servir de tremplin.
2. Conséquences de l'Histoire de l'Esclavage dans l'Antiquité.
Sur les intentions de l'entrée dans la politique d'H. WLLON les lettres de l'abbé RARA ne révèlent rien. Elles ne sont pas nombreuses pour les deux années 1847 et 1848. A aucun moment l'abbé RARA ne fait allusion à une première candidature d'H. WALLON à la députation en mars 1848. Les relations épistolaires d'H. WALLON avec sa famille sont très discrètes à ce sujet. Seule une profession de foi d'Henri est connue : il s'adresse aux Valenciennois et, jugé trop peu républicain, Henri WALLON avait été radié de la liste électorale. Peu importe le succès ou l'échec. Il importe seulement de savoir qu'Henri avait l'intention d'entrer dans la vie politique. Car sa nomination comme suppléant à la Guadeloupe tendrait à montrer que les événements l'ont porté à la politique. Il est vrai qu'être élu suppléant sans même s'être présenté ne peut traduire un désir d'entrer dans la politique.
Mais après l’élection d’août 1848, une erreur sans le scrutin a été découverte et H. Wallon a été rayé de la liste. C’est à propos de cet échec que l’abbé RARA écrit, et ses conseils sont loin d’exprimer une opinion favorable sur l’engagement d’Henri Wallon dans la politique :
« Je vous souhaite, mon ami, je ne me fais pas illusion, autant de bien que ceux qui vous en veulent le plus. Mais en vérité, au point de vue où je suis, quand je considère le peu de moyens, je dirais presque l'impuissance des hommes les plus capables, et les plus honnêtes pour faire le bien dans ce moment, je ne m'afflige pas tant s'en faut, des obstacles que vous rencontrez pour arriver à l'assemblée. Le moment n'est pas venu pour vous de rendre à votre pays les services qu'il peut attendre plus tard de votre expérience et de votre droiture. Il me semble impossible que ce moment n'arrive pas un jour. Quand la Providence nous aura tirés par des voies que nul ne saurait prévoir, mais qui seront des voies de miséricorde et de justice, de l'état de prostration où nous sommes depuis 8 mois, il faudra pour remettre l'ordre des hommes de bien, des hommes religieux, des hommes de talent... Laissez vous conduire par la Providence sans la devancer et comme vous me le dites, continuez autant que vous le pouvez vos études tranquilles, qui jointes à la méditation et à un pieux recueillement vous feront mieux entrer encore dans la connaissance des voies de Dieu dans la conduite du monde et vous prépareront à remplir plus tard les obligations qui pourront vous être imposées. »
(9-XI-1848)
Il importe peu que WALLON, par suite d'une erreur de recensement, soit considéré comme ayant échoué. Cette fois-là, il n'avait pas fait campagne. Ainsi on peut mesurer l'impact de l’ « Histoire de l'Esclavage ». Non que les martiniquais et guadeloupéens aient lu son ouvrage, mais dès que le 1er échec d'avril 1848 à la députation du département du Nord, WALLON avait été nommé par SCHOELCHER secrétaire de la commission qui préparait l'abolition de l'esclavage. Et c'est cette position qui l'a fait connaître. L'abbé RARA ne dit mot de cette nomination, n'ayant pas les mêmes vues sur cette question que son ami.
L'appel, qu'il lui lance, à se résigner à l'échec et à attendre que les évènements l'amènent à la députation à un autre moment, traduit sans conteste la désapprobation du prêtre de voir son ancien élève faire de la politique, en partant surtout de l'esclavage - question d'actualité - qu'il juge bon de voir maintenue. Il préfère le voir persévérer dans « ses chères études » auxquelles il a formé son ancien élève et il ne l'a pas guidé pour le voir aborder la politique et quitter l'enseignement. C'est que WALLON entendait concilier les deux. Progressivement un « modus vivendi » va apparaître entre les deux opinions, RARA reconnaissant le but généreux d'H. WALLON dans la politique, WALLON ne sacrifiant pas tout à sa seule expérience politique.
Quant à la Commission pour l'abolition de l'esclavage, l'abbé RARA n'y fait à aucun moment allusion. Pourquoi ce silence ? Il parle pourtant volontiers de l'expérience de député de WALLON. Il semble d'après le ton des lettres que l'abbé RARA ne veuille aborder une question où il est en désaccord avec son ami et se contente de souligner fréquemment leur identité de vue sur certains points (notamment en matière de religion.)
Georges PERROT, dans sa notice, indique seulement qu'H. A. WALLON est nommé par Victor SCHOELCHER secrétaire de la Commission pour l'abolition, et montre ensuite la relation de cause à effet de le publication de « l'Histoire de l'Esclavage » et de cette nomination avec l'élection à la suppléance de député de la Guadeloupe en août 1848.
Quelle est donc la composition de cette commission et quelle est l'activité du futur député et universitaire WALLON ? Au moment du centenaire (1948) de l'abolition de l'esclavage de 1848 plusieurs publications et discours ont commémoré l'événement. Chacun d'entre eux s’accorde à montrer le rôle dominant de V. SCHOELCHLR et la difficulté qu'il eut de faire entendre son opinion face à des courants hostiles si divers.
Le 4 mars 1848 paraissait le décret préparatoire de l'abolition :
« Au nom du Peuple Français,
Le gouvernement provisoire de la République,
Considérant que nulle terre française ne peut plus porter d'esclaves,
Décrète :
Une Commission est instituée auprès du ministre provisoire de la Marine et des
Colonies[10] pour préparer, sous le plus bref délai, l'acte d'émancipation immédiate dans toutes les colonies de la République.
Le ministre de la Marine pourvoira à l'exécution du présent décret.
Paris, le 4 mars 1848. »
Signé : Les membres du Gouvernement provisoire.
Cette commission, nommée le même jour, comprenait Victor SCHOELCHER[11] , sous-secrétaire d'État à la Marine et aux Colonies, président ; MESTRO directeur des colonies PERRIGNON, chef de bataillon d'artillerie de marine GATINE avocat aux conseils GAUMONT, ouvrier horloger , et les secrétaires de la Commission : H. WALLON et L. PERCIN.
Aucun ouvrage traitant du l'abolition de l'esclavage n'explique pourquoi et comment ces membres ont pu être adjoints à cette commission. Pour H.A. WALLON, nous savons que c'est son ouvrage qui l'a fait connaître ; tout au moins d'un public d'historiens et d'hommes politiques érudits comme SCHOELCHER qui se passionne pour le problème au point qu'il en fait le combat de sa vie : en 1847, il part étudier au Sénégal les problèmes de l'esclavage. Peut-être est-ce pour cette raison qu'il a nommé comme secrétaire un homme dont il a pu apprécier l'ouvrage paru la même année.
En avril 1848, la Commission rédige à l'adresse du ministre de la Marine et des Colonies un mémoire donnant les fondements de l’abolition : après avoir souligné l'inhumanité du statut d'esclave la Commission propose une série de mesures concernant l'intégration des noirs dans le nouveau système de société.
Tout un programme est mis en place sur le travail de l'homme affranchi au sein des Ateliers Nationaux et surtout sur l’éducation des anciens esclaves : création d'un lycée à la Guadeloupe et à la Martinique d'une institution primaire pour les filles et une école des arts et métiers. Comment ne pas sentir ici l'influence de l'universitaire WALLON. Pour les membres de cette Commission il s'agit dans un deuxième temps, après avoir affranchi les hommes, de réhabiliter également le travail et de créer un système de prix et de récompenses pour favoriser l'émulation du travail. Si ces mesures sont lentes appliquer, le programme et l'action de la Commission ne semblent pas hypothéqué de faiblesse. Les mesures sont prudentes : non révolutionnaires, mais non moins fermes.
« Nous ne craignons pas, Citoyen Ministre, d'emprunter à l'antiquité ces usages simples et sacrés. Il est temps de reprendre le bien et de laisser à jamais le mal parmi les institutions qu'elle nous a léguées. La France aujourd’hui vient d'en donner un exemple éternel aux nations. Elle a reconquis la forme du Gouvernement Républicain sous laquelle la civilisation prit autrefois possession du monde... La République n'entend plus faire de distinction dans la famille humaine. Elle ne croit pas qu'il suffise, pour glorifier d'être un peuple libre, de passer sous silence toute une classe d'hommes tenus hors du droit commun de l'humanité. Elle a pris au sérieux son principe, Elle répare envers ces malheureux le crime qui les enleva jadis à leurs parents, à leur pays natal, en leur donnant pour patrie la France, et pour héritage tous les droits du citoyen français, et, par là, elle témoigne assez hautement qu'elle n'exclut personne de son immortelle devise Liberté, Egalité, Fraternité. »
Le sous-secrétaire d'Etat président de la Commission
V. SCHOELCHER.
Le secrétaire de la Commission :
H. WALLON.
Si l'on ne retient volontiers aujourd’hui d'Henri WALLON que son acte républicain de 1875, ses contemporains avaient déjà appris à le connaître par ses écrits et par ses prises de positions. Celles-ci, on l'a vu, sont loin d'être dictées par son entourage. Et en tant que chrétien il a une conscience aigüe des difficultés à faire coïncider ce qu'il y a de choquant dans une société qui commence à se dire moderne et l'enseignement des Écritures.
Et tout en participant activement aux travaux de la Commission, WALLON va s'attacher à effacer ses premiers échecs politiques.
3. La Députation d'H.A. WALLON : 1849-1850
Dès le printemps 1849, Henri WALLON prépare sa campagne pour obtenir le siège du département du Nord. G. PERROT explique ce choix :
« Dans cette députation du Nord, ce qu'il représentait le plus particulièrement, c'était l'arrondissement, c'était surtout la ville de Valenciennes. Il aimait tendrement cette ville où vivaient ses parents et dans le voisinage de laquelle il avait pris femme (Douai). Il y retournait tous les ans, passer ses vacances. Cette affection fidèle qu'il témoignait à ses concitoyens, ceux-ci la lui rendaient et ils commençaient à le compter au nombre des hommes dont ils inséraient le nom sur la liste déjà longue, de ceux de ses enfants qui avaient fait honneur à la cité. »
Nous pouvons ajouter que ses relations les plus suivies se trouvent dans ce département du Nord : l'abbé RARA est vicaire à Douai. Mais ce qui lui attire sans conteste l'adhésion des valenciennois c'est l’intérêt qu'il porte au développement de la cité et à sa culture et à son histoire : il est membre, comme son père, Alexandre, de la Société du Nord, qui publie régulièrement des communications, il encourage toute la vie des lettres et des arts de cette région qui est la patrie de FROISSART et de WATTEAU. Ainsi, il soutient de tout son poids un de ses cousins Henri CAFFIAUX qui est connu par ses écrits sur l'histoire de Valenciennes et sa région. Cet attachement des valenciennois à Henri WALLON se concrétisera au lendemain de 1871 lorsqu'une de ses filles Valentine épousera un notaire de cette ville, François-Célestin DELTOMBE, issu d'une vieille souche paysanne et de magistrats municipaux, de la région. Et ce fait n'est pas sans importance, car la famille CAFFIAUX est depuis plus de 4 siècles à Valenciennes et par sa 4e fille Henri WALLON assure une partie de sa postérité à Valenciennes. Cette continuité donne une image de notable au députe.
C'est après une mûre réflexion, qu'il a communiquée à l'abbé RARA, que WALLON décide de se présenter. La réponse de RARA exprime une certaine prudence mais il n'y a plus l'hostilité du début. RARA pense comme WALLON que dans cette période de changements il peut sortir quelque chose de bon :
« Il me paraît bien difficile d'avoir une idée arrêtée sur le degré d'espérance que présente un fait de cette nature. Tout est si mobile, et ce mouvement des esprits dont vous me parlez peut d'un jour à l'autre changer tellement la face des affaires que selon moi on ne peut répondre de rien... Que Dieu tourne les esprits de ceux qui dans quelques mois seront appelés à donner de nouveaux représentants à la France, de la manière qui contribue le mieux à votre salut, au salut de la France et de son église. »
(19-II-1849)
Au fond RARA ne sait que penser de l'issue de la République provisoire. Il observe la plus grande réserve vis-à vis de ce régime qui tente de changer la société. Il est difficile de le classer parmi les catholiques favorables au maintien de l'influence de l'église, car il a, sur ce sujet, ses vues propres en s'appuyant sur l'écriture. Et dans le changement qui s'opère, il conçoit que les chrétiens doivent être présents dans la vie politique :
« Plus nous avançons vers la grande époque des élections, plus il me semble que vous avez de chances pour être nommé. On a dû vous le dire bien mieux que je ne saurais le faire, vivant comme vous savez, ne prenant aux affaires que la part que le devoir m'oblige d'y prendre. Je cherche à former ma liste le mieux qu'il m'est possible... C'est ce que je fais aussi pour votre nom au sujet duquel je n'ai pas eu à délibérer longtemps avec moi-même... Le résultat je l'espère, quel qu'il soit tournera à votre bien et vous donnera toujours l'occasion de faire sûrement la volonté de Dieu. Puissions-nous parmi les élus en avoir beaucoup qui entrent dans leurs graves et redoutables fonctions avec de telles dispositions, alors seulement j'espérerai le salut de notre société. »
(9 mai 1849)
WALLON écrit après le vote du 13 mai à l'abbé RARA et lui donne les raisons de sa candidature. Peut-être n'a-t-il pas développé ses sentiments républicains et son désir de voir beaucoup de changement auprès de son ami prêtre. Leurs vues ne concordent pas tellement en matière sociale (cf. l'esclavage). D'autre part l'abbé RARA ne voit la politique que par le filtre de « l'Ami de la Religion et du Roi". Il répond à Henri une lettre de félicitations et d'admiration de se porter à l'Assemblée Nationale en chrétien.
« Si vous n'êtes pas élu, je ne vous plains pas, si vous l'êtes je ne vous félicite pas… Pourquoi vous féliciterais-je du pouvoir qui va probablement vous être confié, et dont l'exercice, vous le voyez, sera nécessairement accompagné de bien des inquiétudes, de bien des fatigues de l'esprit et du corps, nu milieu des luttes violentes et sans doute dans lesquelles vous allez être jeté. Mais je vous félicite de la disposition où vous êtes de n'en user selon la volonté de Dieu que pour le bien de votre pays et le triomphe de la justice qui est inséparable. »
(20-V-1849)
L'abbé RARA lui annonce ensuite qu'il célébrera la messe le 28 mai, jour de l'ouverture de la Chambre, et peu après reçoit la nouvelle de la nomination d'Henri-A. WALLON. Les résultats de l'élection du 13 mai ont changé la physionomie de la Chambre : le parti de l'ordre remporta un succès de 500 sièges, les démocrates et socialistes animés par LEDRU-ROLLIN en eurent 180. Les grands perdants étant les républicains modérés (70 sièges). C'est à ce dernier grand groupe que l'on pourrait rattacher WALLON ; mais ces 70 sièges sont loin d'être occupés par des hommes ayant tous les mêmes idées y a un bon nombre d'indépendants -dont WALLON- issu de milieux socioprofessionnels divers. Quel va être le travail du député WALLON ? Et quelle politique suit-il ? Les lettres qu'il adresse à l'abbé RARA abordent presque tous les débats de l'Assemblée. Et c'est une activité bien remplie qui vient dédoubler le travail de professeur. Le problème universitaire est bien sûr eu centre des débats mais les lettres de l'abbé RARA font état d'autres questions que l'Assemblée est amenée à trancher. Après chaque session Henri WALLON relate et discute avec l'abbé RARA les mesures prises par l'Assemblée.
Mais dès le début les deux hommes échangent leurs idées sur le comportement de la Chambre des députés. Le fait important : WALLON est un des rares universitaires à siéger à la Chambre c'est pourquoi la question de l'enseignement tient une grande place dans sa correspondance avec Douai. A ce sujet RARA émet quelque crainte :
« Je serais charmé d'apprendre par vous des détails sur votre vie nouvelle et sur les travaux auxquels vous aurez à prendre parti. Je crains qu'elle ne soit souvent bien grande Et qu'on ne mette largement à profit vos connaissances étendues. »
(5-VI-1849)
RARA indique ensuite le nom d'un député originaire de Metz où il a fait une partie de ses études, « Mr de COETLOSQUET, homme de cœur » : il souhaite à WALLON les meilleures relations avec ce député.
En réponse à la lettre suivante où WALLON raconte sa vie de député, RARA partage ses préoccupations :
« Vous vous trouvez comme au centre de ce grand mouvement qui remue toute la société d'un bout du monde à l'autre. »
(29-V1-1849)
C'est précisément à ce centre « géographique » et politique de l'Assemblée que WALLON restera toujours. Nous avons vu dans cette même lettre la part que RARA prend à suivre la discussion du projet de loi sur l'Enseignement et le rapprochement d'une fraction d'universitaire avec l'événement encore récent des émeutes de 1849, les journées de Juin, nées entre autres de la suppression des Ateliers Nationaux.
A la suite de cette lettre, RARA revient sur une question dont WALLON l’a entretenu : c'est l'opinion développée par MONTALEMBERT au sein de la Commission étudiant le projet de loi sur l'Enseignement. Et WALLON observe, en universitaire, la plus grande prudence vis-à-vis de certains milieux catholiques. RARA, en ecclésiastique, est plus conciliant :
« Ce que vous me dites de Mr MONTALEMBERT m'a un peu étonné. J'avais lu hier un extrait de l'opinion qu'il a soutenue dans la Commission : il me paraissait très favorable au projet, et en même temps, je trouvais que ses opinions étaient bien modifiées en ce sens qu'il semblait approuver beaucoup la composition du grand conseil des 24 qui ne me paraît pas créé pour détruire l'Université. Vous sentez bien que je n'ai pas la moindre intention de contredire ce que vous avez entendu, je dis seulement ce que j'ai lu et l'impression que j'en ai éprouvée. Je ne m’étonnerais pas du reste qu'il eût un peu modifié son opinion sur ce point comme l'a déjà fait dans une autre question fort importante, et comme doit le faire un bon esprit et un honnête homme quand il reconnaissait qu'il s'était trompé. »
La position de MONTALEMBERT a évoluée : « Ne pas froisser les hommes distingués que l'université possède ». Ce passage est de toute première importance car il montre combien le problème lancinant de l'enseignement pèse sur la vie politique de l'époque. Après les trois premiers projets qui n'ont pas abouti, le comte de FALLOUX en propose un quatrième et dans le contexte républicain du pouvoir et celui de cette chambre nouvelle, si le parti conservateur, partisan de l'ordre, l'a emporté, en son sein il porte des hommes comme MONTALEMBERT dont l'opinion a évolué dans un sens plus libéral qui permettra l'entente sur la Loi. L’abbé RARA a suivi le mouvement d'opinion et en souligne le caractère favorable. Henri WALLON, en universitaire responsable reste beaucoup plus circonspect. Sa position montre qu'il a pris une certaine indépendance plus libérale vis-à-vis de son ancien maître.
Après lui avoir conseillé une nouvelle fois de poursuivre ses études d'histoire l'abbé RARA ajoute :
« Ce doit être un avantage immense de joindre à l'expérience des livres et de la réflexion celle des hommes et des faits qui seront toujours les meilleurs de tous les arguments. »
(2-XII-1849).
Les débats sur l'Enseignement secondaire sont souvent animés et ne font pas toujours l'unanimité de la chambre. Les empoignades verbales et les altercations ne manquent pas, et RARA de relever ironiquement :
« Vous entendez, vous, des hurlements sauvages qui ne ressemblent guère aux chants des esprits célestes. » (ibidem)
En tant que vicaire à St Pierre de Douai, il venait de prêcher une retraite de première communion des filles de la paroisse... et se plait à souligner la différence de leurs activités respectives. Nombreux sont les commentaires de ce genre qui marquent le piétinement des discussions de la Chambre :
« Combien de fois vous devez être désolé en rentrant chez vous de ces discussions stériles, comme vous les appelez si bien, où l'amour du pays ne trouve presque jamais place. »
(31-XII-1849)
Au moment où la discussion progresse de nouveau, RARA, conscient de l'enjeu, est déçu de l'attitude de certains députés qui voteront par obligation :
« Il me semble qu'il doit être parfois bien difficile de suivre tous ces discours, surtout quand ils durent 3, 4 ou 5 heures et que par dessus tout cela ils sont interrompus à tous moments par des exclamations de la Montagne… Ils ne s'y entendent pas. Leurs hurlements, leur brutalité grossière feront se réunir la majorité qui sans cela n'aurait pas été très unie pour accepter le projet. Beaucoup diront oui pour en finir et presque ab irato. Ce n'est certes pas ainsi qu'on peut porter remède aux maux qui ravagent notre pauvre société et qui ne diminuent pas...»
(20-I-1850)
En plus des deux grands partis qui s'opposent sur le projet de loi sur l'enseignement, des voix isolées se font entendre, entre autres, celles du corps universitaire peu représenté à la Chambre et donc celle de WALLON. Ses interventions traduisent un souci de véritable liberté de l'enseignement : le 19 janvier il prend la parole et G. PERROT dit de lui, en le citant :
« Il y a dans ce discours plus de verdeur et de verve que dans ceux de sa vieillesse. Au début de sa harangue, il raille ces ''grands mots d'ordre social menacé et de salut public qui ont été apportés à la tribune''. Tout en se déclarant nettement catholique, il affirme que pour accomplir son œuvre, l'Eglise n'a pas besoin de ce qui fait la puissance du monde. Si elle a perdu la légitime et salutaire influence qu'elle exerçait, au Moyen Age, sur la direction des peuples, c'est qu'au lieu de se borner aux conseils, elle eut le malheur de vouloir aller jusqu'à la domination. »
Cette position n'est certes pas dictée par l'abbé RARA. Et WALLON considère que cette loi transactionnelle visant à satisfaire les deux camps défavorisait l'université où l'Eglise conserve un droit de regard important. Cette loi FALLOUX est définie par MM. LATREILLE et REMOND[12] comme « une sorte de concordat entre deux puissances l'Etat et l'Eglise, pour la direction concertée de l'esprit public ». Dès sa promulgation en mars 1850, des réactions hostiles différentes de celle de WALLON, qui voit le problème de l'intérieur, se font jour comme celle-ci :
« C'est la mainmise de la société sur l'éducation publique surtout par l'intervention du clergé. »
Par contre, des réactions vont dans le sens opposé et qui sont loin de refléter la modération des deux correspondants entre Douai et Paris. C'est le cas des ultramontains dont le chantre intransigeant est L. VEUILLOT. Celui-ci fait paraître dans l’"Univers", son journal, une lettre à l'adresse du ministre VILLEMAIN en 1846. Elle donne le ton de leur réaction en mars 1850 :
« ...L'Université ne vend que des doutes et blasphèmes à ces innombrables enfants qui viennent lui demander le lait de la vérité et le pain de l'intelligence. »[13]
Au delà de ces critiques venant d'extrêmes, retenons la position modérée de l'abbé RARA, plus favorable que WALLON - non pas à la loi elle-même - mais à l'esprit de la loi, et celle plus originale d'H.A. WALLON qui entend le mot « liberté » au plein sens du terme.
La loi reconnaît deux types d'institutions secondaires :
· Les écoles publiques dont l'entretien relève des communes ou des départements.
· Les écoles libres entretenues par des associations privées.
Pour le collège secondaire, la loi exige un stage de cinq ans pour être professeur et le baccalauréat ou un brevet de capacité.
Pour la collation des grades les membres enseignants du clergé et les universitaires se réuniront dans les conseils d'académie par département.
Les résultats de cette loi dans la décennie qui a suivi se sont soldés par une hausse du nombre des écoles catholiques. Les rapports entre Université et Eglise sont rarement en parfaite harmonie ce qui va entraîner la constitution d'un parti au sein des universitaires favorables à une scission des deux domaines que le sénat refusera en l865 comme pouvant nuire à l'unité nationale du pays.
Dans ce contexte de la loi et les débuts de son application on ne peut parler vraiment de liberté de l'enseignement. Et WALLON est l'un de ceux qui la repousse mais sans adhérer à la fraction socialisante des enseignants.
La réaction de l'abbé RARA, différente, ne se fait pas attendre et le désaccord, bien qu'évoqué en termes toujours courtois et amicaux, n'en n'est pas moins présent.
« J'ai trouvé en effet que vous alliez un peu loin dans ce que vous dites de la bonté de l'enseignement religieux dans l'université. Il est bien vrai, que cet enseignement en principe est basé comme le porte le décret ou l'ordonnance du fondateur sur la religion catholique. Mais il est bien certain qu'en pratique (...) il y a beaucoup à désirer et que le mal augmenterait plutôt qu'il ne diminuerait. Comme vous me le dites souvent, on va plus loin qu'on ne voudrait quand on se sent poussé au-delà des bornes. Il est probable à présent que la loi passera... Elle sera exécutée enfin par des hommes et tout dépend du choix des hommes. »
(18-II-1850)
WALLON intervient souvent à la tribune, un second problème l'amène à prendre la parole devant l'Assemblée : la discussion du budget pour l'Instruction Publique. Ses positions sont assez originales. Il combat l'Eglise qui voudrait maintenir son influence d'antan à l'Université mais il n'en adopte pas pour autant les vues de la plupart des universitaires qui veulent l'entier monopole de l'enseignement. WALLON est pour le maintien des écoles tenues par des religieux et qui plus est pour le maintien des subventions aux collèges qui emploient outre des laïcs un certain nombre de prêtres et religieux. Sur ce point RARA ne peut que le rejoindre :
« Je vous disais, mon cher ami, que l'on était heureux quand on était obligé de manifester son sentiment d'avoir pour soi Dieu et sa confiance. Il me semble que c'est encore à ce double témoignage, consolant pour l'homme de bien que vous avez de faire appel dans la discussion récente du budget de l'Instruction publique quand vous avez parlé du maintien de la subvention due par l'Etat aux Collèges. Comment se fait-il qu'on ne voie pas que l'existence des établissements publics d'instruction reconnue par la loi emporte pour l'état l'obligation de les maintenir, tant que cet état de chose ne sera pas changé. Je n'ai pas besoin de vous dire que c'est avec peine que j'ai vu vos instructions mal appréciées. Il me semble que vous devez avoir souvent de bien grandes contrariétés et une grande fatigue d'esprit, sans avoir beaucoup de fruit. » (7-IV-1850)
WALLON continue à défendre une autre « liberté de l'enseignement » que celle réclamée par la plupart des catholiques : c'est de donner aux institutions elles-mêmes (les collèges) leurs moyens d'exister. En fait il ne défend pas seulement ici les collèges libres mais aussi ceux de l'Etat. La Chambre semble assez peu concernée par le budget ; elle ne comporte que de rares universitaires comme WALLON dont les voix restent souvent isolées. Cette liberté pour l'enseignement que WALLON réclame comme jusque dans un cas pratique celui du budget de l'Instruction Publique le conduit à voter contre la loi FALLOUX. Et en votant contre, il ne peut être classé dans la catégorie des partisans de l'enseignement laïc. La liberté qu'il réclame est à prendre en son sens littéral : les institutions privées doivent pouvoir vivre au même titre que les Collèges de l'Etat. Certains contemporains ont souligné ici « les contradictions politiques » de WALLON. Mais en agissant ainsi il reste solidaire de ses amis républicains modérés. En 1876-1880, il reviendra sur son jugement devant la 1aïcisation systématique de l'enseignement et réclamera le droit de vivre aux écoles libres.
Un aspect du personnage reste étrange : Henri WALLON a toujours tenu à ce que ses fils soient formés au Collège St Barbe Paris, institution libre mais non d'obédience religieuse. Pour lui, le père de famille doit avoir la liberté de choisir pour l'éducation de ses enfants les écoles de l'état ou les écoles donnant une formation religieuse.
Au milieu du siècle, avant que le député n'évolue vers le conservatisme devant la laïcisation, il mène un combat sur deux fronts celui des tenants de l'influence de l'Eglise sur l'Enseignement et celui qui veut tout laïciser.
Il est évident que ce double combat apparait peu dans la correspondance de l'abbé RARA qui entretient son ami de penses religieuses et qu'ils ont toujours le souci de ménager leur amitié. Il ne s'est jamais dressé contre les prises de position de son ami et les désaccords apparaissent toujours à travers une courtoisie habile.
Une autre question montre combien WALLON attache de l'importance à l’enseignement. S'il le veut libre, il le veut aussi représenté par des hommes qualifiés et se bat de nouveau à la tribune pour éviter que l'enseignement - tant libre que public - ne soit pas dévalué. Il est ardent défenseur de la loi, à propos de la collation des grades universitaires et des titres requis pour enseigner et diriger les collèges et RARA, dont l'enseignement repose non seulement sur ses diplômes mais aussi sur ses capacités pédagogiques le soutient avec vigueur.
« J'ai vu dans plusieurs circonstances, et j'en ai éprouvé de la peine, vos intentions mal appréciées, ainsi par exemple la proposition que vous avez faites pour exiger le grade de bachelier des chefs d'institutions et autres... Comme si c'était mettre des entraves à une sage liberté que de demander cette garantie et comme si en réalité, il suffisait d'être homme de bien pour tenir une maison d'éducation. Que voulez-vous mon ami, voilà comme sont les hommes, ils jugent et ils condamnent malgré la défense du maître, ils condamnent sans avoir les pièces du procès... Consolons-nous quand le Maître ne nous condamne pas et que nous avons pour nous Dieu et notre conscience. On peut se tromper, 1es choses humaines se voient sous des aspects tellement différents ; on peut se tromper et avoir Dieu pour soi. »
(4-III-1850)
L’abbé RARA, d'accord avec WALLON, met en doute la compétence de l'Assemblée sur ce problème grave. L'un et l'autre sont bien du même avis que la direction d'institution doit relever du bachelier au moins. Le problème de la religion au sein de l'enseignement est ici dépassée : c'est la compétence même des maîtres dont il est question et WALLON aura toute sa vie - et surtout pendant son expérience de ministre de l'Instruction Publique (1875-1876) - la préoccupation de délivrer des diplômes ayant une valeur et de donner des postes dans l'enseignement à ceux qui les ont obtenus. Ceci introduisait à la compétence des jurys. Cette difficulté d'ordre politique conduira WALLON à proposer une loi sur ce sujet. Mais cette question appartient à sa seconde expérience de la politique.
Henri WALLON est mieux placé que son ami pour observer les options politiques de certains enseignants mais l'abbé RARA qui nie toujours de se tenir au courant de la vie politique se documenta quelque peu sur la « politisation » du monde enseignant. La 13 décembre 1849 il écrit à H.A. WALLON pour lui donner le compte-rendu d'un article de M. FERRARI.
« Je voyais hier un article de M. FERRARI contre « la Liberté de Penser » et en particulier contre M. JACQUES qui en est je crois un des fondateurs. Je l’ai lu avec intérêt et avec une grande tristesse. M. FERRARI disait en terminant cet article « Si je souffre, c'est de voir la jeunesse confiée à des hommes que les jésuites ont le droit de mépriser ». Je ne sais pas trop ce que font les jésuites dans cette affaire ; mais il n'en est pas moins certain que rien n'est plus désolant que de voir la jeunesse de nos écoles secondaires, et même supérieures, confiée à des hommes qui n'ont exactement aucun principe et auxquels on peut d'après leur propre dire reprocher de n'avoir jamais cru à rien. Quelle confiance en effet méritent ces charlatans qui viennent aujourd’hui vous dire ce qui a si fort irrité M. FERRARI : « Ne craignez rien, nous ne sommes pas vos adversaires ... Nous ne sommes pas catholiques, nous sommes des républicains démocrates voire même un peu entachés de socialisme ». Mais, répond FERRARI le 24 février (1848), tout le monde était républicain, je prévois le jour où tous les ecclésiastiques se diront socialistes. »
(13-XII-1849)
Ce long extrait nous fait très bien percevoir un des aspects essentiels de la pensée de l'abbé RARA. Il n'est pas de ces obscurantistes qui ne voyaient dans l'école que le lieu où l'on doit développer les vertus morales et religieuses. Il est conscient de la nécessité d'un développement intellectuel - comme DUPANLOUP - mais non tourné contre l'Eglise. Or il constate - et l'article de FERRARI le confirme dans ses idées - que des enseignants sont en train de laïciser complètement l'enseignement et de le dresser contre la religion. Il les voit comme des « charlatans » : l'expression est à retenir : elle montre combien il ne croit qu'à un type d'enseignement : celui qui repose sur les valeurs sures des Ecritures Saintes. Ainsi l'abbé RARA en vient à une vue manichéenne de l'enseignement :
· le bon, qui respecte et s'appuie sur les Ecritures,
· le mauvais, reposant sur le scientisme naissant.
WALLON reste plus optimiste et croit à une troisième voie, nous l'avons dit, celle de la liberté réelle. Mais comment obtenir cette coopération des deux enseignements publics et religieux ou libre ?
L’abbé RARA persiste dans sa tristesse de voir « gâchée » la noble tâche d'enseigner et se révèle très conscient du problème : après avoir réformée la base, c'est la tête de l'enseignement qu'il faut régénérer :
« Ainsi tous ces malheureux changent à tous vents, suivant que telle opinion prévaut ou semble prévaloir dans le public dont ils attendent les faveurs. Je ne vois rien de plus dégoûtant que tout cela et de plus en plus je tremble quand je pense que les jeunes gens de nos collèges ont été confiés à de telles mains, et peuvent l'être encore à des maîtres qui ne valent pas mieux, et qui n'ont plus d'autre idole que leur intérêt. Le ministre a cru urgent de mettre une barrière aux tentatives des instituteurs primaires. Je ne nie pas l'urgence. Mais je tiens pour certain que la réforme est au moins aussi urgente dans l'enseignement le plus élevé, ou plus d'un maître a sans le savoir ou sciemment posé la base du socialisme, ou des doctrines qui ne valent pas mieux. » (Ibid.)
Ce développement n'a sûrement pas manqué de sensibiliser WALLON qui a observé le même phénomène et de plus près mais auquel il pense remédier par des solutions plus libérales.
L'Assemblée est surtout préoccupée en cette période par la loi sur l'Enseignement mais d'autres questions ne doivent pas être passées sous silence. L'abbé RARA aborde avec WALLON d'autres sujets : sur la mort civile et sur le suffrage universel.
- La mort civile.
Les positions des deux hommes sont identiques. Ils soulignent en tant que chrétiens les conséquences de la mort civile.
« J'ai vu il y a quelque temps une proposition que vous avez faite pour supprimer la mort civile. Je m'en réjouis, j'ai vu toujours dans la loi qui établit cette peine une contradiction avec la loi chrétienne qui défend le divorce, celui qui a été frappé de la mort civile, laissant par cela même aux yeux de la loi civile à son conjoint le pouvoir de contracter un nouveau mariage au mépris de la loi révélée. Je n'ai pas vu depuis quel avait été le succès de votre proposition je pense qu'il n'en a pas été encore question dans l'assemblée."
(31-XII-1849)
La suite des lettres ne revient pas sur cette question de la mort civile. Néanmoins, la préoccupation qu’elle donne aux deux correspondants montre qu'à côté des évènements politiques ils restent attachés à la sauvegarde de la cellule de toute société qu'est la famille et surtout le foyer. Ce sujet leur tient à coeur parce que les deux hommes sont très liés et si la famille RARA se résume au minimum, l'abbé RARA fait partie de la famille WALLON-DUPIRE au même titre que l'institutrice des enfants d'Henri WALLON, Melle Julie DESPRES, dont il est souvent question dans les lettres, ou que leur gouvernante, amie d'Hortense DUPIRE (Madame WALLON), Melle Fanny PULSFORD.
Nous trouvons ici l'image d'un foyer qui ne tarde pas à devenir nombreux et autour duquel gravite toutes sortes de relations amicales, dont l'abbé RARA. Et les réactions sur ce qui touche la famille en général vont toujours dans le sens de la protection. On dénonce tout ce qui peut porter atteinte à cette vie de famille.
Ce thème mériterait en soi un développement unique à partir des nombreuses sources familiales des WALLON sur l'évolution en cours de près de 150 ans, où l'on voit 1'autorité paternelle orienter toute 1a vie familiale même quand celle-ci se disperse entre le Nord, Paris, ou la Normandie.
- Deuxième préoccupation : la loi électorale de 1850 :
C'est le sujet où WALLON va engager tout le meilleur de lui-même et où il nous sera permis de voir pleinement ce que « liberté » veut dire pour lui. Il entretient l'abbé RARA de ses craintes sur 1'avenir du suffrage universel. Celui-ci ne veut pas montrer un quelconque désaccord avec son ami et reste assez modéré :
« Vous devez être dans ce moment bien gravement préoccupé : au sujet de cette nouvelle loi électorale qu'on élabore pour vous la présenter sans doute très prochainement. Où en sommes-nous, mon ami, et où allons-nous avec toutes ces mesures, qui je crois n'aboutiront pas à grand chose, et ne servent guère qu'à montrer l'embarras de la position, et peut être à agiter encore davantage la société. Exiger 3 ans de domicile avant que l'on puisse être électeur, c'est nous mener bien loin des principes qu'on a voulu nous faire prévaloir il y a deux ans. Je ne le dis pas pour accuser ceux qui le demandent, d'autres à leur place ne feraient probablement pas mieux, et comme on n'en a pas, on tâtonne, et au milieu du cette agitation perpétuelle, la société souffre, incapable de goûter un moment de ce repas qui lui serait si nécessaire pour reprendre un peu de vie. »
(13-V-1850)
D'accord avec WALLON, RARA voit ce changement comme pouvant nuire à la société. La restriction du suffrage universel est abusive et sans fondement méritant une justification. L'abbé RARA voit le problème sous l'angle le plus général. Et dans sa position il est curieux de noter un changement de ton ; au début il se montrait confiant dans un changement que la république apporterait. La tournure des événements ne semble pas être celle escomptée par lui au départ. Pressent-il comme WALLON, ce que la droite a l'intention de faire avec un noyau non négligeable de bonapartistes ? Ce qui importe chez lui c'est qu'il sent le caractère transitoire de ce régime républicain ; il n'est cependant pas contre si celui-ci tolère et favorise l'Eglise plus que la Monarchie de Juillet. Ce style de changement qu'est la loi restreignant le suffrage universel n'augure rien de bon pour lui ; et quand l'abbé RARA ne veut pas indiquer clairement le parti qu'il compte prendre, il montre que la société est victime de cette entrave à la liberté. Donc RARA prend une position plutôt vague mais qui ne va pas à l'encontre de celle WALLON et qui même finira par l'amener à comprendre le parti que le jeune député va prendre.
WALLON se montre profondément indigné du projet que l'assemble a à discuter. Et en se séparant d'une partie de ses amis modérés de l'assemblée, il écrit au Président « cette lettre très simple et très digne. » (G. PERROT) :
« Monsieur le Président,
Elu dans le département du Nord par le grand parti qui domine dans l’Assemblée et dans la France, j'ai eu le regret de me séparer de la majorité sur un point capital. Ce vote, dicté uniquement par ma conscience, ne m'a point détaché de la cause où je vois toujours le salut du pays mais il a pu être interprété différemment et il me serait pénible de penser que je n'ai plus au même degré l'approbation de ceux qui m'ont honoré de leurs suffrages. C'est pourquoi je crois devoir leur résigner le mandat dont ils m'avaient investi.
Je vous prie donc, Monsieur le Président, de vouloir bien faire agréer à 1'Assemblée ma démission du représentant du peuple.
Recevez, etc. » (1-IV-1850)
G. PERROT souligne le geste comme ayant un caractère de républicain convaincu qui ne peut admettre que ce type de régime. Cette interprétation républicaine parait devoir être corrigée pour la mémoire de l'œuvre de H.A. WALLON. On ne peut en effet assimiler WALLON aux républicains purs. Peu importe le nom du régime monarchie ou république : il faut que ce régime garantisse la liberté à tous. C'est un homme dont le libéralisme résiste à toute épreuve et pour lui sa tâche est de réaliser la synthèse difficile à l'époque d'être chrétien et favorable pour le régime offrant le plus de liberté. L'abbé RARA semble avoir joué ici un rôle déterminant : sa position, même vague, contre la restriction du suffrage universel a sûrement aidé WALLON à démissionner.
Ainsi l'universitaire ne semble pas avoir été un politicien arriviste. Les premiers échecs de députation ne doivent pas induire en erreur celui qui se penche sur le passé de WALLON. Une fois sa démission remise - geste d'hostilité à la loi qui avait plus de poids qu'un simple vote négatif -
WALLON ne se représente pas, ce qui montre bien qu'il concevait avec une certaine dignité son rôle de député : c'était un moyen de défendre la liberté. Ce n'était pas rechercher avant tout la promotion. La logique de ce geste montre à quel point WALLON espérait en un régime garantissant la liberté.
L'abbé RARA ne commente pas le geste de son ami mais dans ses lettres on le sent heureux de voir « l'intégrité » de son ami. Le motif élevé de sa démission n'a pu que provoquer son admiration. Mais au fond il est encore plus heureux de le voir continuer son enseignement et de reprendre ses recherches historiques. Il va se réjouir davantage en voyant une nouvelle promotion pour Henri WALLON : l'accès à l'Institut.
4. L'Institut
Après les vacances de 1850 Henri WALLON reprit la chaire de GUIZOT à la Sorbonne non plus en suppléant mais comme successeur. C'est dans la même période qu'un siège de l'Institut est vacant. Wallon va essayer de l'obtenir.
Dès le mois de septembre M. Pierre DUPIRE, de Douai, beau-père d'Henri demande à l'abbé RARA comment se passe l'élection.
« Je ne pouvais aucunement savoir si les candidats avaient plus ou moins de chances que vous pour obtenir la majorité. » (7-IX-1850) écrit RARA à H.A. WALLON.
Le 22 novembre l'élection a lieu ; elle est favorable à Henri WALLON et RARA s'en réjouit en ces termes :
« Je félicite, mon bon ami, l'Académie du choix qu'elle vient de faire. Si les catholiques qui en font partie ne le savent pas encore vous leur ferez voir bientôt...Quand ils vous connaîtront et vous verront associés à leurs travaux, ils feront la paix s'ils sont encore un peu prévenus. »
(XI-1850)
WALLON va en effet côtoyer des catholiques d'idées différentes, et est conscient que des divergences d'idées ne manqueront pas de se faire jour. Et l'abbé RARA comprend les soucis de WALLON sur ce sujet :
« Je ne dissimule pas que ce rapprochement doive être lent et pénible. Les promesses menteuses qui vous ont été faites ne peuvent pas vous inspirer une grande confiance pour leurs auteurs... »
Et l'abbé RARA parle ensuite :
« de la grâce que Dieu vous a faite, de ne pas conserver contre eux un sentiment d'aigreur qui paraît d'abord tout naturel mais que votre charité, meilleur juge que la nature corrompue, saura bien condamner. »
(27-XI-1850)
Les raisons de cette tension entre les catholiques et H. WALLON sont à connaître. A l'assemblée WALLON a combattu leurs arguments à propos de la loi FALLOUX. Il se trouve maintenant au côté de chrétiens d'idées différentes avec qui il faut composer. Les paroles de l'abbé RARA arrivent comme des conseils pour que les polémiques parlementaires cessent à l'Institut. Il sait que WALLON a pris une position franchement libre de tout influence et incite WALLON à la patience et la conciliation.
Henri WALLON a également rencontré le soutien d'un de ses collègues agrégatif de 1840 qui enseigne à le Sorbonne, Frédéric OZANAM. Leurs idées en matière de politique et de religion se rapprochent beaucoup. Et si la correspondance est peu abondante du moins exprime-t-elle la profonde amitié que les deux hommes se portent.
Henri WALLON va participer jusqu'à la fin de sa vie pendant 54 ans aux travaux de l'Institut et les présidera en tant que secrétaire perpétuel de 1873 à 1904. C'est pour faire l'éloge de son prédécesseur que Georges PERROT a rédigé cette notice
« Avec cette entrée dans notre Compagnie s'ouvre dans la vie de WALLON une période de travail et de production féconde qui été pour lui le bonheur même, s'il n'avait eu le 28 juin 1851 la douleur de perdre sa femme. Ce fut surtout dans la lecture et l'étude des livres saints qu'il cherche un remède à son affliction. »
Nous touchons ici le grand tournant de la vie d'Henri WALLON. La mort d'Hortense DUPIRE l'a marqué pour toujours. Loin d'être mondain, il recevait pourtant chez lui ses collègues, amis et parents. Et il est impossible de citer ici tous les témoignages de sympathie que WALLON reçut. Ils arrivent de toutes les universités de France, des membres de l'Assemblée, parfois même d'hommes d'idées politiques différentes. La plupart évoque l'image du foyer uni de Mr et Mme WALLON et les proches s'émeuvent de voir ce veuf rester avec ses six enfants dont la dernière n'a que deux ans. Nous citerons ici l'un de ces témoignages simples, celui d'OZANAM :
« Mon cher et malheureux ami, c'est hier seulement que LAVERGNE m'a appris le coup terrible dont Dieu vous frappe. J'aurais voulu me trouver à Paris pour vous serrer la main au moment de votre triste arrivée. Je voudrais au moins vous écrire pour vous exprimer quelle part ma femme et moi nous prenons à votre douleur. Et cependant je sens trop que je n'ai pas les paroles de consolation, qui soient dignes, ni de vous ni de celle que avez perdue... Il y faut bien toute votre foi mais vous l'avez, cher ami. Vous êtes de ceux qui vivent de la vie des âmes, qui savent où retrouver les absents de la terre. Non, vous ne resterez point isolé : Dieu et la compagne dont il vous a retiré la vie veilleront sur vous. »
Et OZANAM ajoute ce propos qui est peut être le plus réconfortant et qui le sera pour l'avenir, WALLON veillant toujours à sa descendance :
« Ces petits enfants qui font maintenant une partie de votre douleur, grandiront pour faire votre espérance. Vos amis vous entoureront d'affection. Vous me permettrez bien de me mettre du nombre, et de vous dire que vous m'êtes encore plus cher depuis que je vous vois si malheureux.
Tout à vous. »
A.F. OZANAM
Mais c'est surtout vers RARA, l'ami de toujours que WALLON se tourne. La maladie d'Hortense DUPIRE a duré six mois. Il suit l'évolution de la maladie en s'informant auprès d'Henri ; après la mort de Mme WALLON, il écrit son ami :
« Courage donc, mon cher et bien bon ami, courage et confiance, ce n'est pas moi qui le dit c'est la compagne bien aimée dont l'image est toujours présente au fond de votre coeur ; c'est Dieu lui-même ».
(19-VII-1851)
Tous les témoignages de sympathie donnent une idée assez exacte des relations d'H. WALLON. Ainsi, il entretenait depuis l'Ecole Normale des rapports amicaux avec M. GUIGNIAUT[14]. Ses éditeurs lui écrivent aussi.
Depuis ce veuvage Henri WALLON se donne à fond son travail et se consacre à l'éducation de ses enfants. Dès le mois d'aout 1852 il se remarie avec une valenciennoise, Pauline BOULAN, qui vient remplacer la mère des jeunes enfants.
Il convient de voir comment WALLON se met à ses travaux d'écrivain et quelle a été la collaboration de l'abbé RARA.
A côté de la carrière d'écrivain proprement dite, la vie et les réactions d'H.WALLON aux problèmes de son temps (politique et religieux) font l'objet essentiel de cette correspondance avec la vie de famille de 1850 à 1860.
1-Les ouvrages
Avant même sa démission WALLON reprend ses travaux d'écrivain. Il discute souvent d'ouvrages critiques sur les Ecritures et sur la science avec RARA : par exemple, ceux de savants athées comme de HUMBOLTD.
Et dès le début de l'année 1852, WALLON, encore veuf, se lance dans les recherches et la rédaction d'ouvrage religieux sur la Bible. Et en juin, l'abbé RARA, bien placé pour faire la critique, se propose de lire et annoter tous les manuscrits de WALLON. C'est l'occasion, lors de la rédaction de la suite de l'ouvrage, pour WALLON de demander des renseignements, par exemple sur le prophète DANIEL dont RARA se fait fort de défendre l'historicité, puis sur la mission de MOÏSE. Et à propos de ce que WALLON a rédigé sur JOSUE et le livre des Juges, l'abbé RARA critique :
« Votre style m'a paru plus négligé. » (15-VII-1852)
RARA est en effet tout à son aise pour juger les travaux de WALLON : la Bible est le centre d'intérêt de ses travaux personnels.
Dès le mois d'août 1852 H. WALLON publie deux ouvrages, résumé de la Bible :
« Je les ai lus et les ai critiqués avec ma sévérité ordinaire. » (17-VIII-1852)
L'abbé RARA, lui donne toute une suite de conseils et d'ouvrages pour l'aider à rédiger, tels que les explications sémantiques de MALDONAT.
Avant même de publier ce premier travail H. WALLON songe aux suivants. Il se documente sur les traductions des Evangiles par BOSSUET et en discute avec RARA. Il s'intéresse à Jeanne d'Arc :
« Je ne vois rien de plus simple, de plus candide que cette âme, écrit RARA. C'est une figure à mettre à côté de celle de St Louis. Si vous avez assez de temps pour traiter ce sujet, vous ferez donc une bonne œuvre. »
(20-VI-1853)
Mais WALLON doit dans le même temps poursuivre ses cours à la Sorbonne et le temps lui manque. A-t-il songé un moment à quitter la chaire d'Histoire Moderne ? RARA de toute façon s'y oppose comme s'il avait encore de l'autorité sur son ancien élève :
« Sans entrer dans les détails, je suis tout à fait du sentiment de Mr OZANAM, je suis d'autant moins incertain que je vous vois incliner vous-même fortement de ce côté et trouver dans l'étude de certaines parties au moins du l'Histoire Moderne une ample compensation au sacrifice que vous faites de votre goût pour l'Antiquité. Restez où vous êtes. Des circonstances que vous n'avez pas faites vous ont porté à la chaire d'Histoire Moderne. Vous pouvez y faire du bien. »
(ibidem)
WALLON préfère l'Antiquité qui recoupe mieux ses recherches d'histoire. En octobre 1853, l'abbé RARA a achevé d'annoter l'ouvrage sur la Bible, Il pense que la partie sur l'Apocalypse aurait pu être développée davantage. Puis ouvre une discussion sur le titre de cet ouvrage.
« Je n'admettrais pas votre titre « dans son histoire et ses enseignements » : l'histoire elle-même étant un enseignement. Je conçois la délicatesse du votre modestie touchant le mot doctrine. Je ne voudrais pas non plus vous faire promettre plus que vous ne donnez, mais vous ne m’annoncez pas une exposition complète de la doctrine, mais seulement un résumé... Sauf meilleur avis je garderai donc ce mot qui me parait suffisamment restreint par l'autre mot résumé ou abrégé. »
(29-X-1853)
Puis RARA ensuite approuve le plan de WALLON et lui fait part de quelques corrections. WALLON n'est pas d'accord avec la plupart. Mais il décide de s'en tenir là. Une première édition sera tirée et après avoir revu ses notes, WALLON en fera une seconde.
Les deux volumes de cet ouvrage paraissent en 1854 et 1859, sous la titre « La Sainte Bible résumée dans son histoire et dans ses enseignements. » L'ouvrage sera réédité en 2 volumes in 8° en 1867. Très vite cet ouvrage va passer dans les mains de théologiens et avant qu'il arrive à Mgr. DUPANLOUP qui en dira le plus grand bien, l’abbé RARA propose de faire relire la 1e épreuve à PAULIN DUCHENE, théologien de St Sulpice, ami d'OZANAM ou au rédacteur de « l'Ami du peuple », l'abbé COGNAT.
Dans ce livre comme dans les suivants on retrouve beaucoup des idées maitresses de l'abbé RARA ; surtout pour tout ce qui touche la Révélation. A propos d'un de leurs amis, professeur à Douai, Mr. FRANCK, RARA écrit :
« Malheureusement, il était à cette époque comme son coreligionnaire, M. MUNCK, plus partisan de la raison que de la révélation et pour tout dire en un mot moins juif que vous et moi. »
(18-III-1854)
L'abbé RARA, utile collaborateur de la « Sainte Bible », n'a pas été oublié par Wallon :
« Quant à la Sainte Parole que votre main a écrite, Oh oui cette amitié si douce que Dieu a formé en nous il y a 20 ans... est pour moi le gage de cette vie immortelle que son esprit nous promet... Vous ne pouviez pas choisir une qui allât plus droit à mon coeur. »
(mai 1855)
H. WALLON a en effet cité son collaborateur dans sa préface : En septembre 1854, l'abbé RARA approuve l'initiative de WALLON de commenter les traductions des Evangiles du BOSSUET.
« Pour la révision du style dans les parties où BOSSUET vous manque, vous ne feriez peut être pas mal de consulter la traduction de M. LAMENNAIS, fort mauvaise et fort dangereuse pour les notes mais dont le texte est d'une précision telle qu'on pouvait l'attendre d'un homme qui savait manier sa langue comme lui. »
(19-IX-1854)
RARA a donc lu et suivi les travaux de F. de LAMENNAIS, et en a tiré beaucoup pour lui personnellement. Ainsi nous pouvons suivre le cheminement des idées des deux hommes. En avril 1855, l'ouvrage est presque terminé. L'abbé RARA observe que certaines critiques du texte de BOSSUET sont peu fondées mais il ajoute :
« On ne vous accusera pas d'avoir travaillé à la légère. »
(2-IV-1855)
Et après l'impression de l'ouvrage, l'abbé RARA écrit une longue lettre. Les critiques qu'il formule ne desservent pas WALLON. C'est un livre où l'apport de RARA, tant sur le plan des idées que sur celui des critiques apporter, a été des plus fructueux pour la rédaction. L'abbé RARA parle dans les meilleurs termes de cet ouvrage :
« Je suis impatient de voir le livre dans les mains d'un grand nombre de personnes. J’ai toujours pensé qu'il ferait du bien à ceux qui le liront avec attention. »
(8-IV-1855)
En bon exégète RARA discute certains passages traduits par BOSSUET et se sert du travail de WALLON pour critiquer un contemporain protestant, MONOD, qui a commenté la Bible. Et en retour de cette lecture l'abbé RARA envoie à son ami quelques feuillets de son grand commentaire biblique sur les livres sapientiaux afin que WALLON en fasse le critique.
Le livre a paru en 1855 sous le titre suivant « Les Saints Evangiles : Traduction tirée de BOSSUET, mise en ordre par H. WALLON, membre de l'Institut." Il en fait périodiquement des comptes-rendus aux séances de l'Institut. Mais rapidement va se poser pour cet ouvrage le problème de la diffusion. WALLON a beaucoup de mal à la faire connaître et la vente n'est pas facile. Il n'a pas eu non plus toutes les critiques en sa faveur. RARA y fait allusion :
« Ce que vous me dites de l'ignorance insouciante qui empêche votre traduction des Evangiles de se répandre, ne m'étonne nullement. Cette ignorance est l'une des plus grandes misères de notre époque. Comment aimer et pratiquer une doctrine que l'on connaît si mal ignoti nulla cupide ?..."
(1°-IV-1856)
WALLON cependant poursuit sa traduction des épîtres mais vu le peu de succès des « Evangiles » il n'envisage pas sa publication. L'abbé RARA juge sévèrement les criques - mal fondées selon lui - de GLOIRE dans la « Bibliographie catholique » de juillet 1856, qui trouve que les notes explicatives sont insuffisantes.
Après avoir fait paraître un abrégé des traductions de BOSSUET que RARA fait connaître dans son entourage, des jugements favorables arrivent enfin. Peu à peu, le gros ouvrage va gagner les suffrages des lecteurs mais les deux hommes auront eu sûrement un long moment de déception de voir tant d'effort de travail rencontrer de prime abord une indifférence massive.
D'autres ouvrages comme « De la croyance due à l'Evangile » marquent un résultat heureux de la collaboration des deux exégètes. Il faudrait encore décrire longuement les travaux qui s'accompagnent des inquiétudes de publication et d'accueil réservé par le lecteur. Avant de voir le cas d'Ernest RENAN qui mérite à lui seul un développement particulier pour la période suivante, et la publication de « Jeanne d'Arc », citons H. de RIANCEY, catholique ardent jugeant favorablement les écrits de WALLON :
« Il faut remercier M. WALLON du bien que son œuvre fait aux âmes car c'est le seul but enviable et la seule belle récompense. »
(1857)
Dans les milieux catholiques on ne semble pas trop s'en tenir aux prises de positions de l'ex-député WALLON. Ce qui lui vaut ce retour en grâce c'est le but général de ces trois ouvrages religieux : détruire les thèses des rationalistes allemands. Et pour ce qui est de favoriser la Révélation, l'abbé RARA n'a pu que le soutenir et l'appuyer :
« Vous avez raison. Dans l'intérêt même de ceux qui vous liront, il faut les convaincre que vous ne combattez pas vos adversaires sans les bien connaître. »
(13-XII-1857)
Ces efforts constants ont valu à la longue à Henri WALLON de nombreux témoignages de reconnaissance, dont ceux de l'évêque d'Orléans, Mgr DUPANLOUP ; RARA avait conseillé à son ami lors des temps de difficultés de s'en remettre à lui, qui est « si favorable à vos travaux ». Et en 1864, Mgr. DUPANLOUP écrit à H. WALLON une longue lettre dont quelques phrases résument sa pensée :
« Je ne veux pas tarder à vous dire mon admiration et ma reconnaissance pour un tel travail. Je suis vivement frappé parfois de ce qu'on doit à ces labeurs si longs, si patients, si persévérants, de l'érudition et de la saine critique et auxquels on ne rend pas toujours assez la justice qu'ils méritent. Quel travail.... Et aussi quel service de premier ordre rendu aux esprits sérieux. Je voudrais voir votre ouvrage (traduction des évangiles de BOSSUET) entre les mains de tous les chrétiens. »
(19-V-1864)
Suit un série de formules qualificatrices et laudatives de la part de l'évêque mais aussi d'un orateur qui sait manier la plume avec art. Ensuite, Mgr DARBOY à son tour donne des commentaires favorables aux ouvrages que l'abbé RARA se plait à évoquer. Puis « la revue des deux Mondes » et le « Constitutionnel » donnent des extraits. Justice était rendue.
WALLON se met à un autre ouvrage en 1859, qu'il traite en historien mais dans une optique religieuse, que nombre d'universitaires lui reprocheront. Mais son but est de réhabiliter Jeanne d'Arc. RARA, sans prendre dans les recherches la même part qu'auparavant, s'intéresse à ce nouveau sujet :
« J'ai lu avec bien de l'intérêt, ce que vous dites dans votre appendice pour combattre les rêveries de M. MICHELET... J'ai cherché, et un chercheur plus habile que moi a cherché sans le trouver dans les années 55 et 56, le panégyrique de Jeanne d'Arc par Monseigneur DUPANLOUP. »
Puis RARA cite l'archevêque d'Edimbourg, Mgr GILLIS qui rétracte par la parole les actes commis par ses aïeux anglais.
A propos d'un prix de l'Académie que WALLON pourrait obtenir pour « Jeanne d'Arc » qui va paraître en 1860, l'abbé RARA pense qu'il conserve toutes ses chances malgré les réticences d’une bonne partie de l'opinion publique.
« Oui, il y a de fort bonnes raisons à faire valoir, si votre livre est jugé au fond mériter le prix. Votre titre de membre de l'Institut ne saurait être un obstacle avec un précédent que l'Académie consacré peut-être à l'unanimité. Des résistances, il y un aura, je le crois... En vain vous avez pris soin de distinguer la légende de la véritable histoire pour certains... Cependant je me plais à penser que le parti qui vient de choisir M. de FALLOUX pour directeur ne peut pas vous être contraire. »
(10-I-1860)
Si M. VILLEMAIN n'accorde pas tout le soutien escompté, WALLON attend beaucoup de MM. de FALLOUX, de MONTALEMBERT, et de Mgr DUPANLOUP. Ils s'acquitteront favorablement et en juin l'Académie a accordé le prix GOBERT à l'ouvrage « Jeanne d'Arc » d'Henri WALLON.
Ainsi la carrière d'écrivain d'Henri WALLON est largement ouverte mais non achevée. Il lui reste encore plus de quarante années pour écrire encore de nombreux ouvrages qui seront pour la plupart en rapport avec les événements de son temps. Il s’est fait connaître du grand public mais il lui arrive aussi de le juger avec l'abbé RARA.
2. Attitude de quelques personnalités devant le catholicisme
Bien que très différents, l'abbé RARA, et Henri WALLON parlent de certaines personnalités avec admiration et sympathie.
Frédéric
OZANAM
En septembre 1853 l'abbé RARA s'associe à l'inquiétude de WALLON au sujet d'OZANAM. Il est gravement malade et WALLON qui partage ses idées religieuses et en partie politiques ressent particulièrement le danger :
« D'après ce que vous me dites je crains que ce ne soit pour vous une nouvelle séparation ».
(19-IX-1553)
Peu après l'abbé RARA écrit lors du décès du fondateur de la Conférence de St Vincent de Paul, dont RARA et WALLON font partie :
« Vous venez encore d'éprouver une perte bien douloureuse pour votre coeur. M. OZANAM a succombé, je m'y attendais d'après ce que vous m'aviez écrit et aussi sur quelques mots que j'avais lus dans mon petit journal. Heureux ceux qui meurent comme lui après une vie pure et sainte, consacrée à l'étude et à la défense de la vérité. Leur mort n'est qu'un voyage. »
(24-IX-1853)
Dans les milieux de catholiques érudits la mort d'OZANAM a ému et ceux-ci retiennent de son action « La défense de la vérité ». Dans le même ordre de témoignage Mgr BAUNARD cite GUIZOT qui s'est interrompu, à l'académie française, pour saluer celui qui l'a combattu :
« Le modèle de l'homme de lettres, chrétien digne et humble, ardent ami de la science et ferme champion de la foi. »
Propos que n'ont pas manqué de retenir Henri WALLON et l'abbé RARA. Ils continueront d'en parler avec la plus grande admiration. Ils continuent d'autre part leurs activités au sein de la société de St Vincent de Paul, sur laquelle nous reviendrions.
Augustin THIERRY[15]
Toute autre est la personne d'Augustin THIERRY, historien qui jusque là n'avait pas retenu l'attention de WALLON et de RARA probablement parce qu'il était athée. Or vers le fin de sa vie, il a cherché à entrer en relation avec H. WALLON :
« J'ai lu il y a quelques jours dans l'Ami de la Religion un extrait de lettre du M. Augustin THIERRY qui m'a fait non pas seulement plaisir mais du bien. Je ne pourrai vous dire combien j'en ai été ému... On ne peut, à mon sens, parler avec plus de convenance, de délicatesse et de conscience... Il me semble que dans ces dispositions, avec cet amour de la Religion, cet illustre aveugle doit éprouver bien des consolations et plus il avancera dans cette voie, plus il les sentira fortes. »
(16-IX-1055)
Cette admiration s'explique par le fait que c'est la démarche d'historien qui a amené THIERRY à s'intéresser aux écrits de WALLON. L'abbé RARA ne revient plus sur son attitude après 1855.
Un troisième personnage, très différent encore des deux premiers fait l'objet des meilleurs propos sous la plume de l'abbé RARA :
Monseigneur Félix DUPANLOUP.
Ce savoyard est passé par la formation de St Sulpice avant de devenir directeur du séminaire parisien puis d'être nommé évêque d'Orléans. Peut être est-ce la raison pour laquelle rapidement RARA s'intéresse à lui. Il en parle dans les termes les plus élogieux et remplis d'admiration. Il écrit une première fois en 1854 lors de la réception de l'évêque d'Orléans à l'Académie Française :
« Vous assistiez sans doute à la séance de l’Académie où Monseigneur DUPANLOUP a été reçu. Quel discours que celui du récipiendaire, bien qu'un peu long peut être dans les détails de sa 2° partie ; quelle élévation dans la pensée, quelle douceur dans les sentiments. J'ai admiré, entre autres passages, le développement admirable qu'il a fait de ces paroles : omne datum prefectum descendum a patre luminum. Il m'a plus frappé encore que celui où il paraît avoir excité un applaudissement universel, lorsqu'il dit qu'il ne peut regarder comme des œuvres moyennes ces belles pages des auteurs anciens qui ont fait tant d'efforts pour retrouver les vérités que l'homme avait perdues par le péché. »
(26-XI-l854)
Il apprécie ensuite les prises de position de l’évêque en matière sociale et sur le livre de Wallon concernant l’esclavage :
« J'ai lu hier la belle lettre de Monseigneur d'Orléans à son clergé demandant ses prières pour obtenir de Dieu la fin de l'esclavage. Il y a là un mot qui m'a fait bien plaisir sortant de la plume d'un si grand esprit et d'un si saint Evêque. C'est avec les paroles de M. de MONTLEMBERT ce qui a été dit de mieux de « l'Histoire de l'Esclavage dans l'Antiquité. »
(8-IV-1855)
Et à propos du voyage de DUPANLOUP à Rome peu avant la proclamation du l'encyclique « Quanta cura » et du Syllabus, les propos du l'abbé RARA atteignent le summum de l'éloge : il compare l'évêque d'Orléans à Cicéron et poursuit :
« Je suis convaincu qu'il reviendra de Rome plus saint et plus humble qu'il n'y est allé, il faut toutes les forces de l'humilité pour ne pas se laisser enivrer par ces éloges universels. Oh, que ce grand évêque a reçu dignement l'onction qui l'a fait entrer dans le corps sacré des chefs de l'église. »
(29-VI-1862)
Le jugement de WALLON marque peut être plus de recul. Les idées de l'historien ne coïncident pas souvent avec la fougue des prises de position de l'évêque d'Orléans. Les lettres de WALLON à DUPANLOUP portent dans le style une déférence due à la différence de rang des deux hommes mais il n'y a pas cette communauté d'idées que l'on peut trouver avec OZANAM par exemple.
L'attitude religieuse d'Henri WALLON et de l'abbé RARA ne se borne pas à écrire selon les Ecritures et à brosser le portrait de p1usieurs figures catholiques. L'un et l'autre s'engagent dans la Religion ce qui les conduit à réagir parfois différemment sur certaines questions particulières comme les vocations religieuses.
3-les problèmes religieux (1848-1860)
Engagement politique pour l'un, religieux pour l'autre ; en tant qu'enseignants on peut considérer que l'un et l'autre s'engagent socialement. Pour Henri WALLON cet engagement est plus évident, puisqu'il est membre de la commission pour l'abolition de l'Esclavage. L'un et l'autre adhérent à la Conférence de St Vincent de Paul d'OZANAM.
La conférence de St Vincent de
Paul et l'œuvre des Ecoles d'Orient.
Dès la fondation en 1833, Henri WALLON adhère à la société. Quant à l'abbé RARA, son adhésion a probablement eu lieu quelques temps après.
RARA participe aux activités de la Société dans le secteur du Nord à Douai. Henri WALLON s'en occupe à Paris. Mais la correspondance entre Douai et Paris ne permet pas de se rendre compte de la participation des deux hommes à la Société, tout au plus elle en donne une idée.
Il n'en est guère question avant 1857. Cette activité passe en effet au second plan derrière les préoccupations de recherches historiques et de politique. C'est à la mort d'OZANAM que RARA et WALLON s'intéressent à l'avenir de la conférence de St Vincent de Pau1.
Au début en 1833, l'objet de la société est de visiter les pauvres mais dès 1848 elle étend son champ d'action en créant des cercles catholiques en milieux ouvriers en créant des écoles... Le tout n'a pas été sans heurts et oppositions. Elle collabore et soutient de plus en plus d'autres œuvres, dont nous suivrons l'une d'entre elles : l'œuvre des Ecoles d'Orient. Ainsi, elle est amenée à se répandre hors de France et même hors d'Europe. Elle aura surtout à lutter contre les difficultés survenues à cause du changement de tactique vis-à-vis des catholiques de la part du gouvernement impérial.
Peu-à-peu, elle se relève et se fortifie dans les temps de crises autour de slogans[16] tels que : « Bien heureux les Pauvres » ou encore « faisons comme Jésus-Christ : allons aux Pauvres ».
Quelle fut donc la participation de l'abbé RARA et d'Henri WALLON au sein de la Société ?
Tout le bien qu'ils pensent de F. OZANAM indique déjà l'intérêt qu'il porte à la Société. Parallèlement à la Société, H. WALLON s'occupe du l'Œuvre des Ecoles d'Orient et pour épauler cette œuvre, RARA émet l’idée suivante :
« Tâchez de n'être pas trop longtemps à me parler de l'Œuvre des Ecoles d'Orient... Je m'étais demandé s'il ne serait pas possible de recommander cette œuvre à la Société de St Vincent de Paul. Je crois que le plus grand nombre des membres s'y associerait. »
(14-V-1856)
Sur le principe il ne s'est pas fait d'opposition à Douai. WALLON qui juge bonne l'idée envoie à son ami des circulaires informant sur le but de l'Œuvre des Ecoles d'Orient. Mais devant les projets de l'Œuvre (envoyer des religieux comme enseignants) l'abbé RARA émet une opinion qui montre combien il est présent aux données d'un enseignement dispensé dans un pays où les habitudes et les problèmes sont très différents de ceux de le France : il pense que les religieuses sont plus aptes à faire de l'apostolat que les religieux. Elles sont là-bas depuis longtemps :
« Je crois, de même des frères, que plus que jamais ils exciteront la défiance d'autant plus que pour commencer l'œuvre, on choisira nécessairement des hommes décidés, qui seront par cela même plus exposés à blesser les susceptibilités d'un peuple qu'on ne peut trop ménager. »
(2-VII-1856)
Cette œuvre est lancée depuis qu'on promet les mêmes droits aux chrétiens qu'aux musulmans. Si le but est jugé louable par la plupart des membres de la Société de St Vincent de Paul, ils craignent cependant que par les personnes haut placées dans la Société on donne un caractère politique à cette entreprise. Ce à quoi RARA ajoute, au directeur de la Conférence, que cette assistance ne doit être que financière (7-XII-1856).
Il est décidé à Douai de faire une quête, un janvier 1858, auprès des élèves et fonctionnaires du Lycée pour l'Œuvre : elle rapporte 294 f. La Conférence s'occupe maintenant dans toute la France (l'idée de RARA s'est réalisée) de l'œuvre et la font connaître :
« Envoyez-moi, réclame RARA, un bon nombre d'exemplaires ».
(24-I-1850)
Il s'agit des circulaires sur les buts de l'Œuvre d'Orient. De son côté Henri WALLON fait la même propagande. Mais l'œuvre va être compromise par la guerre d'Orient
« JANNET[17] vous dira sans doute comment j'apprécie notre intervention au point du vue auquel l'envisage une politique infernale qu'on a bien caractérisée en l'appelant une politique sans coeur et sans entrailles. J'aime à croire que la générosité française sautera à pieds joints par dessus toutes les considérations du Protocole, et ne se contentera pas de venir en aide à je ne sais quel Pacha qui pourrait bien avoir les mains teintes encore du sang de nos frères. Dieu sait ce qu'il arrivera de tout cela. C'est une nouvelle et violente lutte adversus Dominum et adversus Christum ejus. On ne peut guère en douter quand on voit les uns diriger ouvertement et sans rien cacher, tous les coups contre le Prêtre de Rome, les autres commettre toutes les horreurs, bien plus, si je ne me trompe en haine de la Croix, qu'en haine du drapeau français. »
(26-VIII-1860)
D'autres difficultés vont affecter ces œuvres et frapper ensuite plus directement la Société de St Vincent de Paul. Mais il faut retenir qu'au milieu d'occupations diverses l'abbé RARA à Douai et Henri WALLON à Paris ont tout fait pour sauver l'œuvre des Ecoles d'Orient, malgré les difficultés financières vite résolues, malgré la guerre et l'hostilité : des peuples musulmans.
Dans la même période une autre préoccupation religieuse vient s'ajouter et troubler les esprits catholiques au point que les querelles dureront jusqu'au lendemain de la guerre de 1870.
Le Dogme de l'Immaculée
Conception en 1854
La proclamation de ce dogme le 8-XII-1854 par le pape Pie IX allait avoir des prolongements et provoquer la réunion du concile Vatican I seize ans plus tard. Une réflexion de l'abbé RARA qui n'est pas très développée permet d'entrevoir le trouble que ce dogme a jeté à Douai ; l'abbé RARA en parle à propos des fêtes du temps des Jubilés à Douai :
« Si maintenant nous n'avons plus besoin de demander pour le Pape les lumières du St Esprit, dans la question qu'il a résolue avec l'assentiment de toute l'Eglise, les calamités qui pèsent sur nous ou nous menacent nous disent bien assez haut qu'il faut crier encore pardon et miséricorde. Je souhaite bien que vous soyez à Paris plus fervents qu'on ne l'est ici ».
(30-XII-1854)
L'abbé RARA ne semble pas enthousiaste à cette affirmation de l'infaillibilité pontificale. Mais son attachement indéfectible au siège pontifical le conduit à se soumettre. Conscient de l'opposition à cette proclamation, il invite à « crier pardon et miséricorde » : c'est-à-dire à éviter les dissensions au sein du monde catholique. Les différentes tendances en présence à l'époque que sont le néo-gallicanisme et l'ultramontanisme vont trouver le sujet de leur querelle. Après la loi FALLOUX défendue par VEUILLOT et les ultramontains et soutenue par les gallicans, la question de l'infaillibilité va entraîner l'apparition d'un nouveau clivage, que l'abbé RARA sent venir avec regret.
Du côté des néo-gallicans, J. PALANQUE pense qu'il n'y a pas de parti organisé face à l'infaillibilité du pape s'annonçant. Les réactions les plus diverses se font jour. Si Mgr DUPANLOUP a été soupçonné de s'opposer à Rome, partout dans les diocèses et dans les ordres réguliers, on rencontre la même absence d'unité. Et à St Sulpice l'antique tradition gallicane s'est bien émoussée. L'abbé RARA prend une position prudente, la soumission, qui dans l'ensemble est, à ce stade du problème, la position de la majorité. Dans les années 1860-1870 la question va prendre d'autres dimensions absorbant une grande partie de la vie religieuse et même de la vie politique.
Quant à la position de WALLON, sa correspondance nous manque pour savoir ce qu'il pense de ce dogme. Mais la lettre qu'il adresse à Mgr LAGRANGE tend à montrer que son attitude devait être moins conciliante que celle de son ami prêtre. Cette infaillibilité latente commence à être révélée au monde mais on ne sait pas encore à quels domaines elle va s’étendre, elle peut dans sa plus large acception, s'étendre au pouvoir temporel ce qui permettrait au Pape de s'immiscer dans les affaires politiques. Conscient de tout cela, on imagine WALLON observer la plus grande discrétion face à cette proclamation, attendant de voir les conséquences.
A cette époque, les lettres de l’abbé RARA abordent un sujet plus familial mais dont l’acuité montre bien les dispositions religieuses des deux hommes. L’accord n’est pas toujours réalisé dans leurs vues.
La vocation religieuse de
Marie WALLON
Depuis la mort de leur mère les deux ainés d'Henri WALLON vivent à Douai chez leurs grands parents DUPIRE. L'abbé RARA les voit souvent. Et l'aînée, MARIE, se distingue par son caractère difficile, mais « le fond y est » dit l'abbé RARA. La seconde est plus pondérée et de nature posée.
La vivacité de Marie ne semblait pas la porter vers la vie religieuse et pourtant, brusquement, elle manifeste le désir d'entrer en religion. Le premier surpris fut son père qui ne vit d'abord qu'une tendance passagère qu'abandonnerait vite sa fille. Son désir était plutôt de l'établir dans le mariage. Mais l'obstination de Marie est loin de rencontrer les faveurs de son père. L'abbé RARA conseille à son ami d'agir discrètement.
« Vous avez un grand devoir envers Dieu et envers elle, c'est de l'éprouver ».
(2-II-1860)
Mais à l'inverse de WALLON, il semble à peu près sûr de la vocation de Marie. Comme elle persiste dans cette voie avec une sureté d'elle-même qui fait partie de son caractère, déjà senti par son entourage comme ne devant pas être contrarié, elle envisage même le choix d'un établissement cloîtrée et là le désaccord de WALLON s'accroît. RARA défend les ordres contemplatifs, le père ne souhaite pas voir sa fille dans une « prison ». Le vicaire de Douai a eu l'occasion de s'entretenir avec elle et il affirme :
« J'ai la certitude qu'elle ne se trompe pas. »
(8-IV-1860)
Toute la famille est maintenant informée et s'associe à la grave décision à prendre :
« J'ai reçu une lettre de M. JANNET, toute pleine d'affection pour vous et pour moi au sujet de la grave affaire qui préoccupe si douloureusement votre coeur. »
(16.-IV-1860)
Il faut se représenter Henri WALLON, partagé entre la sincérité de sa fille et le choix qu'elle désire et qu'il ne considère pas comme un état normal. RARA n'hésite plus à exprimer son désaccord avec son ami : si c'était son père qui la forçait à prendre un parti ce serait contrenature. Mais puisqu'avec le temps elle désire toujours la vie religieuse il n'y a qu'à s'incliner et même se réjouir de la voir dans sa voie. Seulement le désespoir du père est impénétrable et alors que sa seconde fille Adèle, se marie en juin 1860 avec un ingénieur des Ponts et Chaussées, Aristide GUIBERT, il n'est que renforcé dans le désir de voir son ainée suivre la même voie.
Henri WALLON va reprendre auprès de lui Marie en espérant qu'elle comprendra que sa voie n'est pas au couvent. L'abbé RARA pense que d'attendre est une solution mais que tôt ou tard il faudra se résigner au choix qu'elle dura pris. L'avenir confirmera l'impression de RARA.
Jamais désaccord ne fut plus net avec l'abbé RARA que sur cette question. Il est intéressant de constater que le libéral en politique et le chrétien convaincu, qui s'appuie sur sa formation d'historien pour croire, s'oppose aux ordres cloitrés qui conservent pour lui un côté moyenâgeux qu'il juge dépassé, surtout pour sa fille.
En second lieu apparaît un trait de caractère d'Henri WALLON et qui cadre bien avec sa formation d'historien : il n'admet pas les prises de positions subites. Elles doivent être le fruit d'une réflexion sérieuse. En religion il n'admet pas davantage les positions extrêmes : ainsi il rejette l'ultramontanisme. Et surtout il faut respecter tout ce qui touche la liberté or il l'entend mal lorsqu'il s'agit de reconnaître les désirs de sa fille aînée pour la vie claustrale et contemplative.
Avant de voir les rebondissements de cette affaire dans le contexte de la querelle sur l'infaillibilité pontificale et l'autorité paternelle toujours très forte s'incliner devant les obligations de la vocation, l'abbé RARA va avoir à son tour des inquiétudes quant à l'avenir politique et qui le conduiront à s'interroger et remettre en cause comme WALLON en 1850, des formes politiques qu'il admettait jusque là.
4- l'attitude politique de l'abbé RARA
Les mouvements de février 1848 et juin 1849, malgré les violences qu'il condamne sans partage, avait suscité en lui une espérance de voir le statut de l'Eglise s'améliorer par rapport à ce qu'il était sous LOUIS-PHILIPPE. Même si la république n'est pas pour lui la forme de régime la plus régulière comme la monarchie, il lui fait confiance pour que l'Eglise retrouve ses libertés. Mais il n'est pas pour un changement dans le bouleversement. Il est intéressant d'analyser sa position à propos du coup d'Etat du Prince LOUIS-NAPOLEON.
Evénements politiques et
réflexion sur la société
La loi sur le suffrage universel était en 1850 le signe avant coureur de la marche vers l'empire. En 1852, le mandat de président expirait et la Constitution lui interdisait de se faire réélire. Deux solutions s'offraient à lui pour se maintenir au pouvoir : réviser la Constitution ou tenter un coup d'état.
La première ayant échoué ; le coup d'État fut préparé pour le 2 décembre 1851. Devant les oppositions et la pression, l'abbé RARA, reste indécis sur le parti à prendre. De Douai, il ne comprend pas très bien lus raisons du coup d'Etat, et ajoute :
« Voilà donc encore une fois comme on me l'écrivait de Paris ce matin le flot de la lave arrêté. Mais le volcan est-il éteint ? qui le sait? et qui peut l'espérer ? Dans cette incertitude de l'avenir quand le sol est ébranlé n'offre plus de place où l'on puisse poser le pied avec sécurité, que faire sinon tenir son coeur en haut. »
(8-XII-1851)
L'abbé constate avec crainte pour l'avenir la suite des révoltes, après février 1848, juin 1849. Mais à l'inverse d'une bonne fraction de catholiques ; il ne fonde pas ses espérances dans la personne de Louis-Napoléon BONAPARTE. Le prince-président outrepasse la constitution, il ne voit pas bien encore pourquoi puisque le peuple reste relativement calme à Paris. S'il sent le cheminement vers l'empire, du moins ne l'approuve t-il pas. En ce mois de décembre 1851, il se refuse à prendre parti. Et comme WALLON est, depuis l'épuration du suffrage universel, contre les manœuvres politiques du prince-président, 1'abbé RARA évite de lui parler de ce sujet où il prend chaudement parti. Lui, RARA, préfère attendre de voir le résultat de ces mutations parfois violentes.
Son attente ne relève pas de la confiance dans l'avenir, et peu à peu il va sentir combien l'Empire va le restreindre lui-même à Douai. Après avoir « flatté » l'Eglise en lui favorisant l'ouverture d'établissements religieux et de congrégations, l'empereur opte pour une politique réactionnaire, restreignant les libertés et notamment celle de la presse. Certains journaux réagissent violemment.
Ainsi l'abbé RARA écrit une lettre concernant son journal « l'ami de la Religion et du Roi ». Le journal connaissant les opinions de WALLON sur l'Empire, a fait une proposition à Henri WALLON :
« Je partage tout à fait vos répugnances pour la proposition qui vous a été faite par M. SISSON. Quelque bon que soit un journal, je ne voudrais pas m'engager à y donner des articles au moins régulièrement comme on l'attendait de vous : et cela dans le commencement surtout où est bon de voir la tournure que prendra cette rédaction. » (13-II-1859)
Ce journal à tendance gallicane et royaliste tente de regrouper toutes les voix qui dénoncent l'empire ainsi celle de WALLON. Connaissant sa tendance et sachant qu'il n'entreprend pas cette campagne de presse au nom de la liberté, WALLON répugne à écrire quelque commentaire que ce soit. Mais l'abbé RARA, d'un avis un peu différent, pense que s'il combat avec justesse la politique impériale, il ne doit pas lutter contre l'Eglise.
« Il est bien vrai que ce journal aurait besoin d'être un peu relevé : généralement les articles de critiques ne sont pas forts ; mais il ne faut pas non plus qu'il devienne trop belliqueux, j'allais dire ferrailleur, en s'escrimant avec celui qu'il veut combattre. Qu'il reste toujours Ami, mais ami vrai de la Religion, et qu'il se souvienne qu'à ce titre la modération ne lui est pas moins un devoir que la vigueur. Il n'a encore rien dit à ses abonnés de ce changement. »
(13-11-1859
Peu à peu les catholiques réagissent contre l'Empire. Peu nombreux ont été ceux, comme WALLON, qui ont combattu pour une liberté plus grande, qu'elle soit au sein d'une république ou d'une monarchie. A côté de ces isolés, les ralliés à l'Empire et les indépendants plus favorables à une monarchie relèvent le combat contre le durcissement de l'Empire. Dans la période qui va suivre, l'abbé RARA dira ouvertement son désaccord.
L'abbé RARA et WALLON combattent l'un et l'autre pour la liberté. Le premier entend dans le sens du maintien de la position et du respect de l'Eglise avec une fidélité au principe monarchique, qui de tout temps a affirmé selon lui se durabilité. Le second visant avant tout la liberté (de l'enseignement, de vote, de pensée) et tout simplement de l'homme quitte à sacrifier un régime politique pour un autre plus favorable. La dernière période de correspondance 1860-1877 va être marquée par les problèmes politiques et religieux. Dans le temps qui reste à l'Empire WALLON va continuer d'écrire ainsi que l'abbé RARA mais l'objet principal des lettres est double :
· la question religieuse de l'infaillibilité.
· la fin du régime impérial et la relève : républicaine ou monarchique ?
III
LES PROBLEMES POLITIQUES et RELIGIEUX DANS LES ANNEES 1860 - 1877,
Dans ces 17 années, la vie politique et la vie religieuse sont intimement liées. Il est arbitraire de les séparer. Mais il sera plus aisé de présenter dans une première partie ce qui touche directement la vie de l'Eglise même si la politique est concernée. Et dans une seconde partie la vie politique vue par les deux correspondants et les conséquences qu'elle aura au-moins pour l'un d'entre eux.
1- L’engagement religieux de WALLON et de RARA.
WALLON et RARA poursuivent leurs
travaux d'écrivains.
Depuis le début de leurs relations épistolaires, l'abbé RARA travaille inlassablement à son commentaire de la Bible. Il a déjà, en 1860, passé au fil de sa critique religieuse presque tout l'Ancien Testament ; reste seulement quelques « petits prophètes » avant d'aborder le Nouveau Testament. H. WALLON, de temps à autres, a lu les manuscrits de l'abbé RARA et à ce stade du travail, il lui conseille de les publier. Pour ce faire, RARA, qui n'est pas très enthousiaste, devrait unifier et résumer toutes ses notes.
La collaboration continue d'être réciproque. Et souvent ils confrontent leurs opinions sur des ouvrages touchant la religion. RARA parle ainsi en 1860 de la « Religion Naturelle » de M. SIMON. Il l'approuve en critiquant certains points de vue. Au mois d'août 1860 après avoir suivi le succès de « Jeanne d'Arc » (1860), il s'apprête à lire le livre : il écarte le plus possible ses autres lectures car devenant vieux il vaut réserver le meilleur de son temps aux ouvrages de WALLON. M. FLEURY (ancien inspecteur du rectorat de Douai) lui envoie régulièrement les articles sur les ouvrages de WALLON. Tel l'article signé DREYN. Dans le « Journal de l'Instruction Publique ».
« Je ne suis pas de son avis quand il dit… que vous ne vous résignez plus que jamais à laisser parler les faits tout seuls, que vous intervenez au milieu des scènes les plus pragmatiques pour marquer la valeur de chaque incident ». (30-XII-1860).
WALLON va en effet rencontrer souvent des critiques de ce genre et d'autant plus que l'ouvrage a obtenu le prix GOBERT. Parfois même les critiques iront jusqu'à lui reprocher son titre de membre de l'Institut, RARA l'encourage de son côté à supporter la critique :
« Lorsqu'on a dans un corps (l'Institut en l'occurrence) des hommes tels que vous, on ne les épargnent pas trop ; M. NAUDET (membre de l'Institut) disait il y a longtemps qu'ils étaient les bœufs de l'Académie. Celui qui trace son sillon, on ne lui laisse pas grand repos. Tant que le Bon Dieu vous conservera la santé de l'esprit et du corps vous n'en aurez guère ». (2-II-1862).
D'autres difficultés vont affecter les travaux publiés de WALLON. En octobre 1862, une grève se déclenche à Paris dans les imprimeries et retarde ainsi l'impression de la 2e édition de « La Sainte Bible ». Le fait est mentionné par RARA mais ne fait pas l'objet d'autres commentaires. Dans le courant de 1862 Henri WALLON commence à travailler son ouvrage sur Richard II. Il fait ses recherches dans les meilleures conditions ; nouveauté de l'époque : il peut travailler sur des photographies de documents. RARA s'en réjouit et prend intérêt à cet ouvrage :
« Vous avez démoli mais pour rebâtir solidement... La vérité est la première des lois de l'Histoire ». (29-XII-1862).
Il va même faire un article sur le « Richard II » de WALLON et le fera paraître dans « L'Emancipateur » de Cambrai :
« Ce journal bien connu pour ses sentiments religieux, compte parmi ses abonnés un grand nombre d'ecclésiastiques de son diocèse » (11-XI-1863).
L'abbé RARA n'y revient plus dans les lettres suivantes car l'année 1864 offre bien des préoccupations pour les deux hommes : il y a d'abord le Syllabus de PIE IX mais une autre affaire absorbe le principal de la correspondance, il s'agit de la réfutation des thèses d'Ernest RENAN qui aboutit à la rédaction d'une « Vie de Jésus » publiée cette même année 1864. Les idées que WALLON développe sur cette question seront abordées dans une seule partie : les lettres en effet relatent très fréquemment l'évolution du « cas RENAN ».
Et après cette importante lutte contre le rationalisme, WALLON ralentit un peu sa cadence d'écrivain. En 1867, il travaille à une nouvelle édition de « l'Histoire de l'Esclavage dans l'Antiquité ». Et il va faire de même pour tous ses autres livres. C'est également durant cette période que WALLON rédige et communique de nombreuses monographies sur les anciens membres de l'Institut, rend compte d'ouvrages historiques et traite même en articles relativement courts des sujets d'histoire (souvent il s'agit de monographie de personnages de quelque importance comme SAINT-SIMON) ; il continuera jusqu'à sa mort en 1904. Mais il n'est question de ces articles, dans les lettres de l'abbé RARA, que par des allusions assez vagues. D'autres problèmes retiennent leur attention.
« Et vous, votre cours, vos examens, vos travaux de l'Institut vous laissent-ils assez de loisir pour avancer votre vie de St Louis ? » (25-IV-1869).
En 1854, l'abbé RARA avait suggéré à son ami de faire un parallèle de Jeanne d'Arc avec St Louis. Alors que WALLON réédite sa « Jeanne d'Arc » une troisième fois, il se met à rechercher et enquête sur la vie de St Louis. Et il réussit même à faire coïncider ces cours de la Sorbonne avec la période de St Louis. Mais s'occupant aussi de ses articles à rédiger dans différents journaux il doit retarder la publication ; la guerre et la réorganisation du pouvoir à laquelle prend activement part repousse cette publication. C'est en 1875 que « St Louis et son temps » paraît. Mais durant cette année1875, l'abbé RARA, vieillissent, n'écrit pas pour des raisons sur lesquelles faudra s'arrêter.
En 1872 WALLON, inspiré par les évènements qui viennent de se dérouler, retrouve davantage qu'en 1850-1860 le goût des recherches modernes et contemporaines en histoire : il publie son « Histoire du Tribunal Révolutionnaire de Paris, avec le journal de ses actes ». L'abbé RARA s'indigne que certains « hommes de bien » ne s'élèvent pas contre les révolutions mais les poussent, elles qui amènent des excès :
« Si Dieu me prête vie, je lirai certainement avec un puissant intérêt ce que vos laborieuses et pénétrantes recherches vous feront publier sur ces matières. Mais quel travail ! Et comment avec vos occupations si nombreuses déjà arriverez-vous au terme ? » (7-XII-1872).
Moins sollicité par WALLON pour ces recherches historiques, l'abbé RARA parle moins de ces derniers ouvrages. Par contre, en 1869, il voit sous un jour favorable le parti que prend WALLON : il travaille à la rédaction d'articles pour le « Correspondant » et le « Journal des Savants ».
« J'en suis content pour ces deux recueils, qui, à mon avis ont grand besoin d'être soutenus. Ils ne sont plus ni l'un, ni l'autre en point où ils étaient il y a 15 ou 20 ans. Dans l'un et dans l'autre, à côté de quelques articles solides et vraiment instinctifs il y a bien des médiocrités ».
(20-VI-1869)
Les journaux recueillaient souvent les articles et propos de catholiques libéraux comme DUPANLOUP et MONTALEMBERT. RARA les déplorent un peu car du point de vue politique et religieux ils n'offrent plus la même rigueur qu'avant. WALLON y fait ses communications historiques mais il n'aura jamais d'intimes contacts politiques avec le groupe du « Correspondant ». Les divergences de vues subsistent. Malgré cela la rédaction de ses articles le prend beaucoup. On ne pourrait l'assimiler aux membres du « Correspondant » et du « Journal des Savants » parce qu'il rédige des articles pour ces journaux. Il ne s'agit pas pour lui ce participer aux vues politiques des journaux.
Quant à l'abbé RARA, son ouvrage est presque terminé et il en a fait paraître, grâce à WALLON, un abrégé où domine l'idée que l'Ecriture Sainte Révèle plus qu'elle ne présente avec raison. Et jusqu'au bout il défend l'historicité des textes saints à coté de la Révélation. Monseigneur DUPANLOUP a pris connaissance de cet ouvrage dense et riche en références bibliques. RARA en reparle en citant DUPANLOUP :
« Je crois, dit-il que cet imposant ouvrage est un grand service à rendre à la Religion » (28-VIII-187).
L'abbé RARA n'a pas voulu tarder davantage pour perfectionner ses recherches car sa vue baisse et « ses forces l'abandonnent ». Par contre on trouve en lui toujours la même ardeur à s'opposer à M. WALLON à propos de l'entrée en religion de sa fille Marie.
La vocation de Marie WALLON
De 1863 à 1873 la persistance de la fille aînée de M. WALLON rencontrera l'hostilité de son père. L'abbé RARA recherche tous les arguments possibles pour convaincre son ami :
« La vie du cloitre ne sera pas pour elle ce que vous craignez. Vous redoutez trop, croyez-moi bien, des communautés que les grands saints auxquels vous pensez ne considéraient pas assurément comme vous et que l'Église, conservatrice incorruptible de la vérité et des institutions selon l'esprit de l'Evangile, approuve et encourage par toutes ses faveurs spirituelles dont elle peut disposera. » (13-I-1863).
WALLON peu-à-peu admet que sa fille devienne religieuse mais se refuse à accepter qu'elle entre dans un ordre cloîtré. Pendant ce temps de réflexion que WALLON se donne, sa fille Marie est secrétaire de son père et le seconde dans la rédaction et surtout la mise en ordre de ses ouvrages. Alors RARA change de tactique ; plutôt que de s'opposer systématiquement au point de vue de WALLON, il va intervenir avec tous les ménagements et au nom de leur amitié. A ces lettres WALLON répond en réaffirmant sa « répugnance pour les ordres cloîtrés ».
Dans une lettre du 15-V-1873, l'abbé RARA console WALLON qui a fini par céder aux injonctions extérieures à propos de la vocation de sa fille. Marie WALLON entre dans l'ordre cloîtré de la Visitation à Paris on 1866. La correspondance avec son père à partir de cette année montre qu'elle continue à penser à sa famille et à ses neveux. Il eût été intéressant d'étudier le rôle qu'elle a joué dans la collaboration aux travaux de son père ; et surtout, ayant l'intention d’entrer dans la vie religieuse, quelle part elle a pu avoir dans la lutte contre le rationalisme et la position d’E. RENAN.
Le cas RENAN
Dès 1854, l'abbé RARA et Henri WALLON s'inquiètent des communications d'Ernest RENAN. Mais la décision de le contrer dans son offensive n’est clairement arrêtée qu’en 1859 ; WALLON doit s’opposer à lui à l'Institut.
« J’ai lu avec beaucoup d’intérêt les détails que vous me donnez sur la discussion avec M. RENAN et regrette comme vous qu'il n'y ait pas plus de monde à ces débats. Je ne suis pas fâché que votre tour vienne le dernier. Soutenu par les paroles divines que vous avez à lui alléguer, vous serez beaucoup plus fort, et laissant la force à Dieu, vous pourrez suivre les mouvements de charité que vous trouverez dans votre coeur et qui sont bien nécessaires à un grand malade ». (29-III-1859)
RENAN enseigne au Collège de France et WALLON a donc des contacts avec lui. Pour RARA, c'est une immense satisfaction de voir son meilleur ami s’opposer à l’impiété. Et il entretient auprès de WALLON un certain optimisme : pour lui, RENAN est une « grand malade » ; Dans la suite des lettres, RARA a recours à toute une gamme d’expressions et de qualificatifs pour désigner RENAN et ses ouvrages.
Malgré l’espérance de voir RENAN réintégrer le giron de l’Eglise, RARA est de plus en plus irrité par ses prises de position successives.
« Je suis désireux de lire et de faire lire à quelques personnes capables ce que vous avez répondu à M. RENAN. Vous avez clos probablement la discussion. C’a été une malheureuse idée d’ouvrir les portes de l’Institut à un homme dont la légèreté suffisante et aventureuse me paraît tout l’opposé de la gravité savante et modeste qui convient aux membres de votre compagnie ».
(16-VIII-1859)
Ici, RARA souligne un trait de caractère de WALLON, et aussi des membres de l’Institut ; leurs préoccupations, leur comportement d’hommes d’élite leur confère – et cela convient à RARA - une gravité d’homme de ce siècle. Face à eux, Ernest RENAN. Le parallèle méritait d’être relevé. E. RENAN n’a rien de cette gravité. Il condamne la religion et tourne en dérision ses enseignements avec un lyrisme et une aisance que RARA trouve grotesque. D’où le désir de suggérer à WALLON de lui « renvoyer la critique ».
A chaque publication « impie » d'E. RENAN, l'abbé RARA développe à WALLON les critiques qu'il faudrait faire pour mettre en garde l'opinion. Ainsi, il va collaborer étroitement à un ouvrage qu'entreprend WALLON et qui n'est autre qu'une réfutation, appuyée sur les Ecritures, de la « Vie de Jésus » que RENAN a fait paraître et dans laquelle il démontre qu'il s'agit d'un mythe soigneusement entretenu par l'Église. L'indignation des deux exégètes est à son comble et où novembre 1862, RARA lit le début du manuscrit de WALLON : « La Vie de Jésus et son nouvel historien ». Quant à WALLON il poursuit la lecture de RENAN et on donne un compte rendu à RARA, qui acquiesce :
« Je partage tous vos sentiments à l'égard de M. RENAN et je conçois le dégoût que vous éprouvez à continuer une pareille lecture... Je crains comme vous qu'il ne fasse un très grand mal. Les misérables ! La sorcière ! La Vie de Jésus ! Quels livres et que penser d'une société où l'on se jette sur une telle pâture comme corbeaux sur des cadavres ». (6-VIII-1863)
RARA préconise de rejeter RENAN phrase par phrase. Après avoir qualifié la « Vie de Jésus » de RENAN où il dénonce son fanatisme (cf. documents texte III), il propose à WALLON un plan de réfutation là où il hésite :
1- Sources d'Histoire : les Evangiles.
- Authenticité : utiliser « l’introduction à la vie dévote ».
- Exposer les faits en eux-mêmes et montrer « le ridicule de l'interprétation de RENAN » surtout sur :
= la résurrection de Lazare.
= l'institution de l'Eucharistie.
= le récit de la Passion et de la Résurrection.
2- Résumer les principales erreurs de RENAN et « les confondre en mettant sous les yeux du lecteur les textes mêmes que j'aurais tirés de la source pure des Evangiles ». Entre autres exemples : interprétation des mots lier et délier (RARA ne développe pas ce point).
3- Conclure par un portrait très fidèle du Christ.
Puis RARA cite un article de M. NICOLAS dans les « Etudes philosophiques sur le christianisme ». Il en déduit :
« Il est une troisième méthode qui n'est ni la réfutation proprement dite de l'erreur, ni une exposition pure et de la vérité mais qui participe de l'une et de l'autre ».
(2-IX-1363)
Il engage WALLON à suivre aussi le plan de M. NICOLAS. Puis propose un titre : « Jésus-Christ est Dieu : démonstration nouvelle tirée de la vie de Jésus de M. RENAN et de son appréciation par M. HAVET". WALLON choisira un titre plus simple et plus significatif. Le souci principal de l'abbé RARA et de WALLON est donc de réfuter. Le style d'E. RENAN dans cette critique les pousse sans hésiter à cette tâche. A aucun moment, on ne voit apparaître le désir de comprendre pourquoi Ernest RENAN a entrepris cette « fine et haute critique ».
Les qualificatifs de rejet de la « Vie de Jésus » de RENAN continuent d'abonder sous la plume de l'abbé RARA :
« Je comprends très bien ce que votre piété a à souffrir de cette odieuse et dégoûtante lecture : j'en juge par comparaison avec ce que j'ai éprouvé bien des fois en lisant les commentaires rationalistes des Allemands sur l'Ecriture, et pourtant quelle différence entre ces hommes qui ont le malheur de n'être plus chrétiens il est vrai, mais qui traitent au moins sérieusement et avec respect des choses dignes de tous nos respects et M. RENAN qui se joue de tout ! » (22-X-1863).
Il met donc une différence entre la critique ironique de RENAN, qu'il juge impie mais non scientifique et les réfutations sérieuse des auteurs allemands. Il les connaît bien grâce à la collaboration réciproque de WALLON à leurs travaux. L’abbé RARA et Henri WALLON ne défendent donc pas leur religion de façon primaire et aveugle et ne font pas même des Ecritures un rempart inattaquable par les critiques menées scientifiquement. Ce qu’ils veulent montrer, c’est que la raison ne peut suffire pour juger les Ecritures. Partant de ce point de vue, ils ont de la considération pour les interlocuteurs valables. En réfutant, ils entendent non pas répondre à RENAN, qu’ils jugent inférieur dans sa critique non appuyée sur des références précises, mais mettre en garde la société et surtout la jeunesse.
Ils ne sont du reste pas les seuls à réfuter RENAN :
« On dit que la réfutation du P. GRATY ne tardera pas à paraître : de même que la Revue des 2 Mondes s’ouvrira pour placer à côté de M. RENAN la réfutation de M. RENAN par M. de BROGLIE. C’est vraiment un signe assez caractéristique de notre époque que cette facilité à vendre à la fois le poison et le contrepoison ». (22-X-1863)
Devant l’ampleur et la difficulté de la tâche, WALLON a des moments de découragement que RARA essaie de dissiper en soulignant qu’un groupe de savants allemands de Munich a l’intention de condamner d’œuvre de RENAN,
« non pas comme outrageant pour la Religion, mais comme œuvre nulle selon la science ». (30-XI-1863)
Après avoir hésité et même peiné dans cette réfutation, Henri WALLON publie son livre en avril1864 chez Hachette sous le titre : « La vie de Jésus et son nouvel historien ». C'est un peu aussi le livre de l'abbé RARA, dans la mesure où il a aidé par ses connaissances de la Bible Henri WALLON. On n'y voit pas figurer les invectives de l'abbé RARA. WALLON a été soucieux de répondre avec précision aux critiques de RENAN. C'est surtout, nous l'avons vu, pour le plan et pour la méthode à suivre que l'abbé RARA a utilement collaboré. Avant que le livre soit sorti, RARA ne peut contenir sa joie de voir l'œuvre réalisées :
« Cette suite de merveilles (qui) forceront le lecteur à se frapper aussi la poitrine et à dire : cet homme était vraiment le fils de Dieu. L'idée m'est venue d'envoyer un extrait de cela à l'Emancipateur de Cambrai sous cette forme : une nouvelle réfutation du livre de M. RENAN va paraître dans quelques jours... Nous croyons qu'on ne sera pas fâché de lire d'avance les extraits suivants... Si vous approuvez ce compte-rendu anticipé dite-le moi." (28-IV-1864).
Pour l'abbé RARA c'est un peu une façon de faire de la publicité pour cet ouvrage. Il faut évidemment noter les élans favorables pour ce livre et le choix des termes qui contrastent avec ceux que l'abbé RARA utilisait pour qualifier la « Vie de Jésus » de RENAN.
La réaction ne se fait pas attendre de la part de RENAN ; il s'adresse à WALLON en soulignant la différence de leurs points de vue respectifs. C’est de la part de l'ancien séminariste de Saint-Sulpice qu'est RENAN une manière de rejeter cette critique et de se placer en dehors de la réflexion de l’Eglise pour soutenir ces vues de l'extérieur. L'abbé RARA ne manque pas de souligner combien RENAN s'est fourvoyé :
« La parole même qu'il vous a dite que vous êtes à deux points de vue différents donne une triste idée de l'état actuel de son intelligence… Certes ce n'est pas lui maintenant surtout que sa superbe est excitée à un tel point, ce n'est pas lui qui peut songer à se tourner vers Dieu. Il faut y penser pour lui. Ce sera exercer la charité jusqu'au bout après d'avoir exercé par ce ton de modération qui a été justement remarqué et approuvé dans votre livre ». (10-VI-1864).
L'abbé RARA n'arrive pas à comprendre qu'un illustre hébraïsant comme RENAN puisse interpréter les Ecritures dans un sens qui n'est pas celui de la défense de la foi. C'est qu'il avait besoin de certitude et les écritures saintes ne la lui ont pas apportée. WALLON l'a probablement mieux compris que l'abbé RARA, parce qu’il a eu l'occasion de s'entretenir avec lui et qu'il est, comme lui membre de l'Institut.
Enfin l'abbé RARA se fait une joie de reparler du large accueil du public pour l'ouvrage de WALLON : il fait allusion à l'unanimité des évêques sur cette réfutation :
« Ces éloges unanimes, donnés sous tant de formes différentes, par des hommes plus attentifs que jamais à tout ce qui touche la foi, et comme dit l'un d'entre eux, à la grande question de J.C., la plus grande aujourd'hui et dans tous les siècles ». (21-V-1865).
A. LATREILLE et R. REMOND soulignent dans « L'histoire du catholicisme en France » que les réactions catholiques à la « Vie de Jésus » de RENAN ne se sont pas fait attendre. En citant entre autres, le P. GRATRY et Augustin COGRIN, ils font une place particulière à Henri WALLON dans toutes les réfutations :
« Certaines d'entre elles ne manquant pas de pertinence : ainsi celle d'Henri WALLON : « La vie de Jésus et son nouvel historien » qui relève avec précision les entorses données au texto et, sans se départir d'une très ferme modération, flétrit le ton équivoque des hommages rendus par RENAN au Christ ».
Les auteurs ajoutent que les raisons du succès de RENAN était imputables au fait que RENAN est le premier à écrire une vie de Jésus reposant sur des recherches critiques. Or la critique exégétique a fait de grands progrès et c'est ainsi que les réactions ont été nombreuses.
LATREILLE et REMOND donnent la primauté à Henri WALLON et le citent :
« Il est des cas où l'effusion de la louange peut n'aboutir qu'à blesser tout le monde : c'est quand on vante ainsi Jésus en se réservant de n'y pas croire. On n'apprécie point, parmi les fidèles, ce qu'il peut y avoir de sincérité dans ce mélange d'admiration et d'incrédulité. On ne se figure pas que l'éloge puisse aller sans l'adoration ou le blasphème sans l'injure ». (Henri W. 1864).
Attitude de Victor COUSIN et
d'Emile SAISSET.
Le cas RENAN n'a pas été heureux. L'abbé RARA n'a pu voir se réaliser ce qu'il espérait : son retour à la foi. Mais d'autres hommes ont, sans aller jusqu'à RENAN, fait preuve d'indifférence en matière de religion et de philosophie religieuse. C’est le cas de V. COUSIN, professeur et ancien ministre de l'Instruction Publique. Cousin a écrit plusieurs ouvrages sur la philosophie de l'histoire et fait de l'un d'eux une nouvelle réédition trente ans après. L'abbé RARA lui trouvait à l'époque « des idées bien singulières », et il se demande si, dans le nouveau contexte politico-religieux, il ne va pas varier ses positions et dans quel sens. COUSIN est l'un des tenants de l'école éclectique, ce qui le conduit à ne prendre de la religion, de l'enseignement des Ecritures que ce qu'il lui paraît bon de conserver dans son système philosophique. Et RARA reste très prudent quant à l'éventuelle évolution de ses idées :
« A vrai dire il m'est impossible jusqu'à présent de me faire une idée juste des sentiments de M. COUSIN en religion. Quoiqu’il en soit, il a bien modifié ses idées depuis 40 ans et je suis loin de lui en faire un reproche. »
Et s'il a changé, RARA ajoute qu'il lui en coûte d'avouer qu'il s'est trompé. Dans cette situation il propose de faire comme tous los croyants :
« Il suffirait d'en venir à pratiquer comme le commun dos croyants ».
Puis il compare COUSIN à Augustin THIERRY qui s'est rétracté devant ses œuvres mais, trop vieux il ne pouvait « faire ce qu'il croyait et sortir de ce monde, uni à Celui qui se donne à nous ». (28-X-1863).
Il souhaite une conversion plus rapide pour V. COUSIN, mais il a des doutes sur la nature de son catholicisme. Peu après, on décembre1863, Emile SAISSET meurt. Il s'agit d'un ancien compagnon de la promotion de WALLON à l'Ecole Normale comme Jules SIMON. L'un et l'autre ont été marqués plus ou moins par l'influence de leur maître, Victor COUSIN. RARA parle de cette fin en critiquant leur système qui privilégie la raison aux dépens de la foi :
« M. FLEURY m'a appris il y a deux jours la mort qui a dû vous faire comme à lui bien de la peine, celle de M. SAISSET. Je venais justement de lire dans le Correspondant un article où l'on faisait avec bienveillance et impartialité la critique de ses doctrines. Cette mort m'a bien touché. Pourquoi faut-il que des âmes si heureusement douées, ne puissent pas comprendre qu'on leur demandant un acte de foi, on ne les oblige pas comme ils le pensent, à renoncer à leur raison. Est ce que l'Astronome depuis que la télescope est venu en aide à sa vue pour lui découvrir… des merveilles inaccessibles à l'œil nu se croit obligé de fermer les yeux ou condamné à n'en plus faire usage! La foi c'est le télescope divin de la raison. » (29 XII-1863).
Une fois de plus, RARA rejette le rationalisme comme empêchant l'accès à la foi. Il serait désireux que ces grands penseurs puissent se rétracter suffisamment pour arriver pleinement à elle :
« Un journal nullement suspect de favoriser les disciples de M. COUSIN avait parlé très bien de la fin chrétienne de M. SAISSET. Ce que vous me disiez dans votre dernière lettre m'y avait en quelque façon préparé. Je m'en réjouirais pour lui avant tout et pour vous à qui il était si cher ». (17-II-1864).
Ce retour à la foi, RARA ne peut que l'apprécier. Et alors que WALLON admet pleinement cette attitude prudente et qui est difficile (concilier raison et foi), il trouve insuffisant cette profession de foi :
« Son système tend trop à montrer la supériorité de la philosophie sur la foi, malgré les éloges qu'il fait du christianisme ».
(ibid.)
L'abbé RARA, nous le savons, démontre le contraire dans le long ouvrage de sa vie. Il apparaît d'une grande rigueur en matière de religion qui s'explique - outre ses idées bien ancrées pout être avec l'âge et l'isolement. WALLON reste plus libre, plus tolérant parce qu'il a fréquenté jusqu’au bout le monde universitaire et qu'il considère plus le chemin parcouru de ces théoriciens et philosophes que le résultat obtenu dans leur retour à la foi.
Plus libéral en ce qui concerne ce retour à la religion, WALLON l'est moins pour la vocation de sa fille. L'abbé RARA fait son admiration : sa pratique religieuse et ses opinions sont très strictes en ce qu'elles touchent la foi. Mais WALLON rejette une religion trop exigeante et trop austère ; l'entrée à la Visitation de sa fille aînée sera le désespoir de sa vie. Il est pourtant un chrétien convaincu pour avoir écrit tant pour la défense de l'église et sur les Ecritures mais il ne veut pas une religion pesante. Il est plus porté par ses activités à la vie d'une Église plus soucieuses des préoccupations sociales d'où son engagement dans la Conférence de Saint Vincent de Paul. Mais là, il ne s'éloigne guère de l'abbé RARA qui, lui aussi est préoccupé de l'avenir de la société et de son œuvre auprès des pauvres que l'un et l'autre défendent.
Avenir et difficultés de la
Conférence de Saint Vincent de Paul.
De plus en plus la société soutient des œuvres diverses dont celle des Ecoles d'Orient. En 1859, les pays concernés sont atteints de troubles sociaux résultant de la différence des droits civiques accordés aux musulmans et aux chrétiens. La Société en finançant les Ecoles d'Orient soutient donc l'influence des chrétiens. Elle envoie là-bas des secours pour sauvegarder la minorité chrétienne. Dès 1859 cela lui vaut une mise on garde encore discrète du gouvernement impérial qui s'intéresse moins à la représentation de l'Église en Orient qu'au maintien de sa propre influence.
Au Liban, qui dépendait des pachas syriens, les Druses, population montagnarde musulmane, se jettent sur les maronites qui étaient traditionnellement protégés par la France. Les autorités turques laissent faire, un collège de jésuites à Zahlé (Liban) est dévasté et le trois juin les Druses égorgent 1300 chrétiens. Ceci a incité NAPOLEON III à intervenir pour se concilier une plus grande partie des catholiques de France. L'abbé RARA espère que la présence française (juillet 1860-juin 1861) pourra permettre aux populations chrétiennes de retrouver le droit de vivre et la jouissance des mêmes droits civiques que les musulmans. De son côté Henri WALLON a entendu M. LAVIGERIE parler d'ABDEL-KADER qu'il avait rencontré et qui avait tenté de sauver les chrétiens traqués et massacrés après avoir été l'ennemi de la France en Afrique du Nord :
« Que pensez-vous des dispositions où l'on paraît être à l'égard de cette malheureuse Syrie? On rougit de honte de penser que pour se conformer à l'infernale politique de l'Angleterre nous continuerions à rappeler nos troupes et à augmenter aussi l'audace des assassins qui ne manquent pas de redoubler leurs fureurs contre nos malheureux coreligionnaires ».
(24-11-1861).
Les troupes françaises ont en effet dû quitter progressivement la Syrie sous la pression de l'Angleterre et c'est ce qui déplaît si fort à l'abbé RARA. Car il voit, ainsi que WALLON, leurs efforts de soutien financier et aussi humain (des enseignants sont partis au Proche-Orient) de nouveau mis en danger.
En 1862 l'abbé RARA se réjouit de voir le rôle de la société épaulé par les maronites eux-mêmes : deux jeunes syriens sont venus à Douai pour quêter :
« L'un d'eux a été sauvé du massacre de Damas par ABDEL-KADER, dont il paraissait ne pas parler sans reconnaissance... Comment n'être pas sensible à un si grand malheur ? » (10-II-1862).
Mais en plus du soutien aux Ecoles d'Orient, la Société de Saint Vincent de Paul doit faire face à ses propres difficultés de rapport avec l'Etat. L'abbé RARA comme Henri WALLON vont prendre sa défense. Dans un rapport, M. DUPIN membre de la Société dresse un bilan de son activité et donne des statistiques sur les réalisations faites et le nombre des adhérents (RARA n'en donne aucun : il cite seulement le fait), ce qui amène une méfiance de l’Etat vis-à-vis de la Société.
« Je plains bien le pouvoir ombrageux qui a peur de notre Société... Quel déplorable aveuglement de redouter une société composée, il faut bien le reconnaître, d'une grande majorité d'hommes honnêtes et tranquilles, amis de l'ordre et intéressés à le conserver et de ne pas craindre le vers rongeur des sociétés secrètes qui dévorent depuis déjà tant d'années la société au milieu de laquelle il vit au su de ceux qui ont mission de veiller au maintien de l'ordre ». (24-VI-1861).
Changement social donc, mais dans l'ordre. L'abbé RARA et Henri WALLON ne peuvent admettre qu'on se méfie de cette Société connue de tous et dont le but mériterait d'être encouragé par les responsables de l'ordre. Une seconde lettre, du 17 novembre 1861, montre que la Conférence a retenu bien des jeunes à la foi ; mais il craint qu'il n'y ait personne au gouvernement pour oser défendre la Conférence de Saint Vincent de Paul et faire en sorte que la campagne de dénigrement, lancée par le gouvernement impérial, cesse. Les difficultés continuant l'année suivante.
« Je savais bien que dès qu’on est suspect, on n'est plus innocent... Avec de tels principes, où ne va-t-on pas? Du reste nous sommes à une époque où il n'y a pas de raison de s'étonner de rien ». (2-111-1862).
Au sein de la Société des membres, partisans d'une plus grande justice, tentent -et WALLON est du nombre- de faire prendre conscience davantage qu'il faut se tourner vers les pauvres et surtout ces « nouveaux pauvres » que sont certains ouvriers. Ainsi s'explique l'indignation de l'abbé RARA. La réussite de réalisations par la Société de Saint Vincent de Paul a attiré l'attention et de plus en plus elle compte des membres qui ne sont pas enthousiastes pour le régime impérial. Peu à peu celui-ci perd son soutien catholique et surveille la Société qui peut entreprendre une propagande politique qui lui serait hostile. Des hommes comme WALLON et l'abbé RARA s'insurgent contre cette surveillance et se fortifient dans leur hostilité au régime. Leurs préoccupations sociales apparaissent dans leur correspondance :
Alors que la Société de Saint Vincent de Paul connaît comme les congrégations religieuses (créées en moins grand nombre) des difficultés avec le régime de NAPOLEON III, l'abbé RARA compare les membres soucieux de faire vivre leur société avec la société impériale dans le Nord qui repose sur les exploitations minières. Il se plaît à montrer l'écart entre la bourgeoisie possédante et le prolétariat ouvrier. Ses propos ne manquent pas d'effet et montrent le côté vers lequel il se tourne en prêtre :
« En attendant on s'amuse ici tant qu'on peut. Des soirées, des bals qui durent jusqu'à des 4 et 5 heures du matin et pour lesquels on se dispute, m'a-t-on dit, pour avoir son tour à en donner. Voilà les plaisirs ruineux et scandaleux qu'on ne craint pas de multiplier, lorsqu’on a à ses portes, à Roubaix et autres villes voisines, des ouvriers qui peuvent à peine travailler 3 jours de la semaine et qui se trouvent réduits par là à la plus grande misère ». (2-111-1862).
Le style de vie de l'abbé RARA qui, sans être ascétique est de la plus grande sobriété, lui permet de juger sévèrement les écarts sociaux sous l'empire et qui ne font que croître, l'industrialisation aidant.
De son côté Henri WALLON, s'il a acquis quelques actions dans les charbonnages et les chemins de for du Nord, ne peut être considéré comme faisant partie de cette bourgeoisie mondaine et enrichie. Il vit à Paris et s'intéresse peu à faire fructifier par des placements astucieux ses économies. Il a d'autre part gardé le souvenir de difficultés à percevoir son salaire quand il débutait l'enseignement. Après 1871 il demandera conseil pour la gestion de ses placements à son gendre notaire dans le Nord, François Célestin DELTOMBE. Mais il ne peut s'agir de la fortune d'un bourgeois industriel. Ses activités le tourne davantage vers l'enseignement, l'Institut, ses ouvrages et la Conférence de Saint Vincent de Paul. Il a donc dû faire bon accueil à la critique de l'abbé RARA.
Il insiste, dans une lettre suivante sur la nécessité, en tant qu'écrivain, non seulement de s'adresser à un public érudit mais aussi de se mettre à la portée du peuple manquant encore souvent d'instruction. A propos d'une petite Histoire Sainte que WALLON publie RARA écrit :
« C'est là le point capital, faire connaître autant que possible N.S. à ceux qui ne le connaissent guère que par des blasphèmes répandus contre lui. Qu'il soit lu, Dieu aidant, des ouvriers à qui on le destine avec le même intérêt que la réfutation de M. RENAN l'a été et l'est encore des juges les plus compétents ». (11-X-1864).
Nous n'avons pu trouver un exemplaire de ces ouvrages abrégés et simplifiés pour être davantage répandus dans la société. Mais le fait mérite d'être retenu car il montre que l'écrivain qu’est WALLON et le collaborateur qu'est RARA n'ont pas uniquement pour but l'exégèse ou l'érudition ; au contraire ils sont soucieux de faire connaître et promouvoir leurs idées à tous les niveaux de la société.
L'abbé RARA souligne que les ouvriers ne sont pas pris en considération par les catholiques bourgeois. C'est pourquoi il veut s'adresser à eux. WALLON fait de même. Ils ont senti que la population ouvrière n'a pas la disponibilité d'esprit voulue pour se sentir chrétienne. Elle est plus sensible au socialisme qui la touche de plus près : or celui-ci comporte des éléments anticléricaux. Ce petit ouvrage sur la Bible est une tentative de le sensibiliser à la foi. La seconde façon de répondre à ce problème c'est la Conférence de Saint Vincent de Paul pour laquelle il lutte pour le maintien.
L'abbé RARA qui parle souvent de « notre pauvre société bien malade », qui s'exclame plusieurs fois « O Tempora O Mores » n'est pas résolument pessimiste il souligne les valeurs de la société qui engendre des penseurs de mérite auxquels il ose adjoindre son ami Henri WALLON.
Une lettre de 1866 traduit la pensée et l'estime que l'abbé RARA porte à son ami.
« Parmi les académiciens que vous connaissez, n'y en a-t-il pas un qui ait pensé que vos ouvrages étaient des titres qui valaient bien des articles de journaux de M.PAR. (PARISIS) ou d'un autre ? On parle maintenant du P. GRATRY et de M. de CHAMPAGNY, à la bonne heure : ce sont des concurrents avec lesquels on peut lutter, et qui peuvent l'emporter sans que l'on ait à en rougir ». (29-III-1866).
Par contre, il se refuse qu'on assimile WALLON, comme on a tenté de le faire, aux rationalistes souvent libéraux comme lui. Un groupe de catholiques s'est formé en 1866 avec des protestants,
« rationalistes et autres inqualifiables qui ont eu la sotte pensée de s'unir pour faire une traduction de la Bible qui peut être agréée de tout le monde... »
On a mis par erreur le nom de WALLON sur cet ouvrage et RARA en est peiné :
« ... Comme s'il était possible à M. COQUEREL ou à tout autre qui donne la main à M.RENAN de s'entendre sur ce point avec vous qui les combattez et qui ne voyez en fait de traduction rien de préférable à BOSSUET... N'ont-ils pas proposé aussi à Mons. l'arch. de Paris d'entrer dans cette Babel pour présider à leurs superbes et folles constructions ? » (29-III-1866).
Et l'abbé RARA conclut que le danger est partout, qu'il faut être vigilant. Mais WALLON est, à son avis, assez bien placé pour résister à ces influences.
Leurs lettres abordent, outre cette collaboration, heureuse quant aux résultats qu'ils obtiennent, la question centrale de l'Eglise dans cette période : l'infaillibilité pontificale.
2- Rome et la doctrine de l'infaillibilité.
L'abbé RARA a affirmé son attachement à l'autorité du pape. Mais sa conception de la souveraineté pontificale souffre quelques discernements.
En 1848 le pape se trouve dépossédé de ses états et fuit à Gaète, MAZZINI proclame la république à Rome. Durant les années 1859-1865 la question romaine reste pendante. Et comme NAPOLEON III a assis son empire grâce à l'appui des catholiques, il se sent obligé de les satisfaire en intervenant et en faveur du pape. Mais son attitude est ambigüe ; il promet de sauver « l’indépendance spirituelle du Saint Père, garantie par la puissance temporelle du Saint Siège ». Mais il ne précise pas les moyens. La thèse pontificale est développée par l'encyclique du 19 janvier 1860 :
- Le Saint Siège a plus de mille ans.
- Le pape ne peut transiger, et la spoliation atteint le droit de propriété, sacré en Europe.
Dans l'ensemble, les chrétiens et l'épiscopat s'aperçoivent de l'ambigüité de l'attitude de NAPOLEON III et soutiennent le pape par nombre de brochures. L'abbé RARA en a eues sous les yeux, et ne semble pas être très enthousiaste. C'est le cas d'une partie des évêques, de certains prêtres comme lui. En 1860 il écrit à WALLON cette lettre qui révèle son attachement au pape et surtout à son autorité spirituelle :
« Quel amour et quel juste respect pour les saintes antiquités ecclésiastiques d'aller consulter ces vieilles cartes pour ne pas faire un pas hors du vrai patrimoine de St Pierre. Et pourquoi se donner tant de peine ? Le patrimoine de St Pierre c'était la prison Mamertine ; et encore ne l'avait-il pas seul ! Il y a bien des gens qui ne seraient pas fâchés de voir le saint et courageux successeur de l'apôtre réduits à ce patrimoine ». (21-X-186b).
Après la dépossession des états pontificaux on se penche sur les vieux documents prouvant leur appartenance au pape pour justifier le retour de PIE IX dans ses états. L'abbé RARA ne considère pas la dépossession comme pouvant nuire à l'autorité spirituelle, mais il a conscience de la gravité du problème : ceux qui veulent le retrait des états pontificaux n'ont pas les mêmes intentions que lui : l’Eglise a mauvaise presse avec sa souveraineté temporelle. Il n'apparaît pas partisan des grosses fortunes, il l'a montré en parlant de la société bourgeoise et industrielle de Douai. Il n’est donc pas le gallican « extrémiste » mais se situe bien dans la ligne de BOSSUET dont il admire toute l’action. Et il poursuit dans une lettre suivante avec la même admiration pour PIE IX :
« Je ne puis me lasser d'admirer l'énergie pleine de calme et de sérénité de cette grande âme au milieu de tant et de si rudes épreuves ». (24-11-1861).
L'abbé RARA finit par penser que cette querelle pour les états pontificaux est non seulement superflue mais nuisible en ce sens qu'elle capte l'attention des chrétiens alors que la question de l'infaillibilité est autrement plus importante et aurait besoin d'être résolue rapidement. Pour lui le vrai problème réside dans la crise que l'Eglise traverse, qui est presque une crise de structures.
L'abbé RARA suit de près les allers et venues des évêques - entre autres DUPANLOUP - entre la France et Rome. Sa position est intéressante car elle n'est favorable ni aux thèses ultramontaines ni à celles des opposants farouches à quelque infaillibilité que ce soit.
Dès décembre 1854, PIE IX, lors de la fête de l'Immaculée Conception, avait montré qu'en tant que pontife, il avait autorité dans les grandes décisions sur les évêques, des réactions de méfiance s'étaient manifestées. RARA admet cette question que certains commençaient à agiter et qui prenait de l'actualité à propos des nominations d'évêques en France et Allemagne et des rapports des catholiques avec leurs gouvernements.
Ce dogme se superposait, au problème plus matériel, du statut des territoires pontificaux. Cette affaire a été l'occasion de reprendre les débats sur l'infaillibilité du pape. Celui-ci méfiant devant le libéralisme, prépare le Syllabus. Dans le courant de l’année 1862, 500 évêques se réunissent à Rome pour participer à des procès de canonisation. A cette occasion ils manifestent à PIE IX leur attachement à son autorité de pontife. L'abbé RARA entre tout à fait dans leurs sentiments :
« Vous ne vous êtes pas trompé, j'ai lu avec bonheur l'adresse des évêques au souverain Pontife. Cette pièce, dans les circonstances où nous sommes, est un véritable événement dont il est impossible à un coeur catholique de ne pas se réjouir. Il ne faut pas s'attendre sans doute que cette manifestation œcuménique, comme on l'a si justement appelé, mette fin a des luttes qui doivent se renouveler d'âge en âge sous des formes différentes et durer jusqu'à la consommation des siècles, mais ce n'est pas moins un fait qui assure le triomphe de l'Eglise dans les âmes droites qui recherchent sincèrement la vérité ». (29-VI-1862).
L'abbé RARA a conscience que l'infaillibilité n'est pas un problème nouveau. Il se montre une fois encore partisan de l'autorité du pape, peut-être apparaît-il plus sûr de lui et de sa position depuis que ce nombre important d'évêques abonde dans le sens de l'infaillibilité. Mais sa croyance devient plus assurée lorsque l'ancien supérieur de St. Sulpice, qu’il admire tant, s'oriente progressivement vers une discussion honnête de l'infaillibilité :
« J'ai lu aussi avec le même plaisir que vous le discours de notre grand et saint évêque d'Orléans. Un prêtre qui l'a entendu à Rome ce jour-là me disait, assez naïvement je crois, que CICERON n'aurait pas mieux parlé. Je le crois bien. CICERON avec toute sa rhétorique ne pouvait s'élever à une hauteur que ses sujets ne comportaient pas... Il n'y a que l'égarement de la passion qui puisse expliquer les attaques auxquelles il est en butte de la part de certains journaux... Après le Saint Père à qui dans cette grande assemblée a-t-on fait plus d'honneur qu'à lui ? » (ibid.).
Ces critiques à l'égard de Monseigneur DUPANLOUP lui viennent de son changement de position à l'égard de Rome. Dès 1841 il déclarait en soutenant les thèses ultramontaines :
« L'immutabilité, l'infaillibilité est là manifestement le centre, le fondement immobile, la base, la pierre ».
De cela l'évêque d'Orléans reparle en soutenant en 1860 le pouvoir temporel. L'abbé RARA lorsqu'il s'agit de lui, n'émet pas de réserve sur ses prises de position à propos du pouvoir temporel ; mais cela ne signifie pas que les siennes ont varie. L'infaillibilité est pour lui avant tout spirituelle. Henri WALLON ne montre pas, d'après la correspondance de l'abbé RARA, d'hostilité à la position de Monseigneur DUPADLOUP. Que pense-t-il de l'infaillibilité pontificale? Le désir de ne pas heurter les positions de son ami, l'empêche peut-être de se déclarer contre l'infaillibilité. La question de l'enseignement et son opposition à la loi FALLOUX marquait son indépendance dans le monde catholique. Il la garde aussi dans la période suivante où l'autorité du pape est en cause. S'il n'apparaît pas contre l'infaillibilité sa réserve peut signifier qu'il attend de voir sur quoi va porter l'infaillibilité pontificale et à quels domaines elle va s'étendre. Tous deux ont la même référence pour suivre l'évolution de cette question : les Ecritures ; leur conception du pouvoir de l'Eglise revient aux sources de son histoire. Et comme leurs interprétations des textes ne sont pas très éloignées l'une de l'autre, il en sera de même pour leurs positions sur le pouvoir du pape.
En 1863 la discussion épistolaire porte surtout sur la réfutation de RENAN. L'abbé RARA ne fait pas allusion au congrès de Malines qui constitue une sorte de réponse à la position du pape et de certains évêques. MONTALEMBERT prononce deux discours très entendus sur la démocratie et la liberté, ce qui lui vaut une censure de la part de Rome. Monseigneur DUPANLOUP intervient en médiateur.
Préparé depuis plusieurs années le congrès de Malines fournit au pape l'occasion de publier un document donnant sa position face à l'évolution du monde et du modernisme.
L'infaillibilité est sentie surtout comme un danger sur le plan temporel et c'est bien sûr celui-là qui prévaut auprès des esprits libéraux. Ils craignent de voir la papauté s'immiscer dans les affaires intérieures d'un état. En attendant la publication du Syllabus, comme bien des catholiques de l'époque, l'abbé RARA émet des craintes sur l'accueil de ce document et reproche que l'infaillibilité ne soit sentie que sur le plan temporel :
« Voyez la grave question du pouvoir temporel où l'on fait tant de conjectures et où la plupart de nos publicistes, même religieux, semblent trop oublier que Dieu se mêle des affaires de ce monde ; qui sait ce qu'il adviendra et supposé qu'il soit enlevé au Souverain Pontife pour le temps marqué dans les conseils éternels de Dieu, qui sait les changements qui s'ensuivront dans le gouvernement extérieur de l'Eglise et dans sa discipline ! » (11-X-1864).
Avant même la publication, l'abbé RARA, déjà convaincu lui-même, invite WALLON à se soumettre à l'autorité du pape. Les lettres qui suivent donnent des conseils de soumission en termes voilés. L'abbé ne fait pas directement allusion à la proclamation du Syllabus le 8 décembre 1864.
Le Syllabus se présente comme une suite « des principales erreurs de notre temps » reprouvées et condamnées dans les actes pontificaux depuis PIE VI. Les 80 propositions se repartissent en plusieurs rubriques : morale, dogme, constitution de l'Eglise. La dernière proposition exprime le souhait du pape de ne pas couper l'Eglise du monde en évolution :
« Le Pontife romain peut et doit se réconcilier et se mettre d'accord avec le progrès avec le libéralisme et avec la civilisation moderne ».
Les ultramontains se réjouissent de ces prises de position mais chez les libéraux un malaise apparaît. Même la dernière proposition du Syllabus ne suffit pas à les rassurer sur l'idée de progrès attaquée non seulement par le Syllabus mais par l'encyclique « Quanta Cura » publiée en même temps et qui condamne les prises de position du congrès de Malines.
Et pour ne pas tomber dans le schisme ou l'excommunication, les catholiques libéraux se soumettent peu à peu. J. PALANQUE explique leur position :
« Pour conserver leurs vues sur la société moderne les libéraux durent cesser de croire à l'infaillibilité absolue du pape ».
Ils en viennent donc à reconnaître l'infaillibilité dogmatique mais poursuivent leur combat contre l'infaillibilité politique. Le rôle de Monseigneur DUPANLOUP n'a pas été négligeable dans cette acceptation du Syllabus. Il publie une lettre qui est un ensemble de règles pour interpréter le texte romain. Henri WALLON n'a pas été insensible à ses explications : il sort de sa réserve pour reconnaître que l'Eglise, institution ancienne, doit composer avec la vie politique. Progressivement il se pénètre de l'esprit du Syllabus, sans pour autant reconnaître le pape infaillible dans tout.
En 1867 pour la fête de Saint Pierre les évêques se réunissent à Rome. Leur grand nombre ne manque pas d'impressionner : ils y sont presque tous. L'abbé RARA reprend la lutte de WALLON à ce sujet :
« Vous avez raison rien ne sera sûr, tant que l'ordre public ne reposera pas sur les fondements que la Religion veut établir dans les cœurs… Il semble qu'on cherche à éloigner Dieu de plus en plus de l'instruction qu'on donne à la jeunesse ». (28-III-1867).
C'est une des raisons qui amènent WALLON à accepter le Syllabus ; il a senti lui-même le danger en luttant contre E.RENAN. Et il rejoint l'abbé RARA en admettant pleinement que doit être le substrat idéologique mais non politique d'un état.
L'annonce du concile en juin1867 est sentie avec beaucoup d'espérance de la part de RARA et même de WALLON. Les milieux catholiques, qu’ils soient ultramontains ou de tendance encore gallicane, attendent beaucoup de ce concile qui fixera le domaine où l'infaillibilité pontificale s'exercera.
Au mois d'octobre1867, l'abbé RARA écrit à WALLON une lettre qui dresse un bilan de cette grave question.
Il reprend d'abord la question des états pontificaux que le pape a récupérés mais dont la pacification est mal assurée. Pour que l'unité italienne soit réalisée il restait à l'Italie Rome et le Latium et la Vénétie à reconquérir. La rétrocession de la Vénétie exigée par les français des autrichiens vexe l'Italie. D'autre part NAPOLEON III entretient depuis le retour des états pontificaux au pape une division française à Rome. L'alternance de la diplomatie et de la force de la part de l'empereur pour que l'unité italienne soit réalisée mécontente VICTOR EMMANUEL II le souverain italien qui refuse en dernier lieu l'assistance française. Les atermoiements de l'empereur mécontentent vivement les milieux catholiques, car la promesse d'aider à l'unité italienne est en train de se faire au détriment du pape. L'abbé RARA attribue ces manœuvres à des habiles et n'approuve pas cette instabilité de la part de la France. Mais du bouleversement qui peut résulter de cela (il ne s'attend pas à la guerre de 1870) il craint peu : les territoires pontificaux ne sont pas pour lui la garantie de l'autorité spirituelle du pape, comme l'avait déclaré NAPOLEON III en 1859. Si le pape les perd, ce ne peut être que voulu par Dieu ; il faut donc se soumettre. Mais espère bien plus dans le concile : l'enjeu est plus important pour lui car il y va de l'avenir de l’Eglise et de ses relations avec les états chrétiens. Et comme la plus grande majorité des catholiques, il attend la solution la meilleure pour l'infaillibilité. Il voit dans ce concile le moyen de reconstruire l'Eglise sur de nouvelles bases : « la catastrophe miséricordieuse » n'est autre pour lui que la dépossession du pape de ses états ce qui entraîne la suppression de son pouvoir temporel. L'infaillibilité n'a plus alors qu'à être proclamée sur la plan spirituel et RARA est partisan de cette autorité qui réunifierait le monde catholique. Dans ce pressentiment de l'avenir il pense que les solutions peuvent intervertir à point nommé.
A l'annonce du concile, Henri WALLON songe à se rendre à Rome en mars 1868 pour être le témoin des travaux conciliaires, mais aussi dans le but de faire un pèlerinage. L'abbé RARA approuve entièrement cette initiative. Elle montre tout ce que WALLON attend des travaux conciliaires. Il s'entretient même de son projet avec l'évêque d'Orléans. Mais à cause de la situation politique, WALLON se voit obligé de différer à un autre moment son voyage.
En mai 1868 l'abbé RARA s'était réjoui de voir 400 évêques s'unir à Rome pour préparer le concile. Monseigneur DUPANLOUP était juste revenu à Paris quelques jours pour l'élection du P.GRATRY à l'Académie Française et est reparti rapidement après. L'évêque d'Orléans s'est fait une véritable renommée par ses péroraisons au Vatican. L'abbé RARA admire plus les talents de l'homme et l'homme lui-même ; que ses positions qui, en matière d'infaillibilité, ne sont pas encore bien claires.
L'évêque d'Orléans reprend la bulle « Aeterni Patris » du 29 avril 1868, dans laquelle PIE IX déclarait :
« Le concile œcuménique devra examiner avec le plus grand soin et déterminer ce que réclament spécialement en ces tristes temps la plus grande gloire de Dieu, l'intégrité de la foi, la splendeur du culte divin, le salut éternel des hommes, la discipline du clergé séculier, et régulier, sa formation pratique et solide, l'observation des lois ecclésiastiques, la réforme des mœurs, l'éducation chrétienne de la jeunesse, la paix et la concorda universelle ». (bulle « Aeterni Patris » - 1868).
Ce que le pape réclame des chrétiens c'est avant tout la discipline. Et dans la seconde série des mesures à discuter en concile il faut noter : l'observation des lois ecclésiastiques. Les membres du concile auront donc à se pencher sur l'histoire de l'Eglise pour examiner quelle est la part de l'autorité pontificale dans la vie de l’Eglise. Mais il ajoute aussi la paix et la concorde universelle : il s'agit donc que du concile sorte une Eglise réunie et sans dissensions.
DUPANLOUP se charge en décembre1868 de commenter cet « ordre du jour » dans une lettre pastorale qu'Henri WALLON a eue sous les yeux :
« J'ai lu avec une bien vive émotion votre lettre pastorale sur le prochain concile que vous m'avez fait l'honneur de m'envoyer. Le concile a déjà provoqué bien des hostilités Il a fait naître aussi des inquiétudes que vous dissipez et comment partager ces alarmes? Votre lettre nous fait entendre une des voix qui seront le plus écoutées et le Saint Esprit sera là ».
(24-XII-1868).
Henri WALLON reste beaucoup plus réservé à l'approche du concile. Plus en contact que l'abbé RARA avec les catholiques de la capitale, il s'aperçoit davantage des discordes qui s'amplifient à la veille du concile. La lettre pastorale de DUPANLOUP n'a pas encore dissipé ses craintes. Le concile inquiète plus Henri WALLON qu’il ne lui apparaît comme le moyen de résoudre le problème de l'infaillibilité pontificale. Deux courants d'idées se forment et qui se réclament de l'autorité de l'Esprit Saint :
- Le pape dans ses décisions est guide par l'Esprit Saint.
- L'Esprit Saint influe sur le pape mais en union avec les évêques assemblés ce qui revient à accepter l'infaillibilité non pas pontificale mais collégiale. C'est dans ce dernier sens que WALLON revendique l'influence de l'Esprit Saint.
Son point de vue diffère de celui de l'abbé RARA qui reconnaît la primauté du pape. J.PALANQUE souligne que les catholiques ont beaucoup de mal à prendre parti dans cette question car personne ne donne clairement une définition de l'infaillibilité. DUPANLOUP lui même, qui se veut l'homme de la conciliation, ne l'entend que dans un sens plutôt édulcoré. L'abbé RARA et Henri WALLON ne semblent pas d'accord sur le sens du mot mais évitent de se dire l'un à l'autre ce qu'infaillibilité veut dire. D'autre part, sans être apparenté du point de vue politique au groupe du « Correspondant », WALLON suit d'assez près ses conceptions religieuses dans cette question. Ces libéraux écrivent à l'ouverture du concile dans leur journal :
« Nous ne pouvions laisser sans protestations cette intervention des écrivains catholiques, déterminés à faire croire qu'en France la société civile est menacée par les opinions libérales et la société religieuse par les opinions gallicanes lorsqu'il est certain au contraire que la France souffre de l'absence de vraie liberté et que l'Eglise de France est la plus romaine qui soit au monde ». (Le Correspondant : XI-1869).
Le malaise de l'opinion catholique est sensible. WALLON, plus que l'abbé RARA, en a conscience. A Douai, RARA est comme retiré du monde, d'abord parce qu'il ne suit que de loin les affaires du pays ; on second lieu parce que l'archevêque de Cambrai est favorable au pape et modéré dans ses positions. RARA, dont l'esprit se tourne surtout vers l'Ecriture, est tributaire, en grande partie du milieu religieux, mais n'est pas pour un affrontement oratoire entre le pape et l'assemblée des évêques. Le déroulement du concile lui fournit l'occasion d'écrire une longue lettre à Henri WALLON.
En novembre 1869 Henri VALLON est très pris par ses articles qu'il donne sur ses publications ; cela ne l'empêche pas de s'intéresser à l'événement de Rome. L'abbé RARA s'exprime dans les meilleurs termes sur l'ouverture :
« Près de 900 évêques venus des quatre vents du monde, l'admirable et saint Pontife PIE IX à leur tête réunis pour délibérer des intérêts les plus grands et les plus nécessaires de la société humaine! Quelle assemblée! » (22-XI-1869).
Ces propos enthousiastes méritent d'être corrigés. À l'ouverture en novembre 1869 les prélats sont 744 et non 900. Cette assemblée compte 88 évêques français dont 34 opposants au pape. Avant de gagner Rome, les évêques ont adressé une lettre pastorale à leurs diocésains sur le sens du concile. DUPANLOUP en adresse deux : une à ses diocésains, l'autre à son clergé dans laquelle il déclare :
« Je ne discute pas l'infaillibilité mais l'opportunité ».
DUPANLOUP fait appel à l'histoire au temps où les papes intervenaient dans la politique. L'infaillibilité, selon lui, peut faire renaître ces craintes. Et au début de l'Eglise, qui était infaillible ? Il en va de l'utilité du concile. Il importe que les évêques assemblés soient de « vrais juges ». Nul ne doute de la primauté du pape et de l'infaillibilité de l'Eglise. Les idées de DUPANLOUP, la plupart des libéraux dont WALLON, les font leurs. Dès lors le conflit est ouvert avec les infaillibilistes, dont VEUILLOT est le chef de file.
L'abbé RARA lit toutes ces réactions et est toujours plus convaincu de la nécessité de ce concile.
« J'attends en paix, me reposant sur les promesses d'infaillibilité faite à l'Eglise par Jésus Christ, les décisions de la sainte assemblée... On me parle beaucoup de décisions suggérées par l'esprit de partie prononcées par acclamation ; qui sait s'il en sera ainsi et supposé que la chose se passe de cette manière où a-t-on vu qu'une assemblée conduite par l'Esprit Saint ne puisse agir ainsi et que dans ce cas la décision fut sans valeur ? On dirait vraiment que ceux qui parlent de ces affaires dans les journaux et dans quelques revues se croient la mission d'apprendre à l'Esprit Saint ce qu'il doit faire ». (22-XI-1869).
Si le pape a la primauté dans l'Eglise, l'abbé RARA opte pour la souveraineté conciliaire. A la suite de DUPANLOUP et étant rejoint dans son opinion par WALLON, l'Esprit Saint l'emportera toujours sur l'esprit de parti. Et sa fidélité au siège pontifical ne l'empêche pas de dénoncer ceux qui, se substituant à l'Esprit Saint agissant sur l'assemblée, affirment l'entière autorité infaillible du Pape en tout. La campagne de presse lancée sur ce sujet par les ultramontains, et à laquelle les libéraux répondent dans le « Correspondant », est visée dans cette lettre.
Cela étant, cette nouvelle ligne gallicane qui craint une infaillibilité débordant le cadre du spirituel, n'exclut pas, bien au contraire, la fidélité et même, si l'occasion se présente, la soumission. L'abbé RARA poursuit :
« Soyons jusqu'à la fin enfants dociles de l'Eglise, elle a des promesses qui ne trompent pas. Celui qui a promis d'être avec elle jusqu'à la fin, ne l'abandonnera pas ».
Ce désir de cohésion masque un peu la réalité. Au concile, le groupe des 34 opposants français constitue la « minorité » qui est plutôt hétérogène : elle se décompose en trois tendances :
- L'aile dure : le « Cercle Maret » autour de Monseigneur MARET foncièrement hostile, en bon gallican, à l’infaillibilité pontificale, quelque soit son champ d'action.
- Les gallicans indépendants comme Monseigneur DARBOIS, archevêque de Paris qui se soumettront à Rome.
- Le « Cercle DUPANLOUP et des Libéraux » auquel on peut rattacher WALLON et que l'abbé RARA admet comme interlocuteurs.
Et d'autre part, en face de la « minorité », le tiers parti regroupe la majorité dont fait partie l'archevêque de Cambrai dont l'abbé RARA vante souvent la modération.
Nous avons vu par sa lettre du 22 novembre que l'abbé RARA est pour le respect de l'Eglise et surtout des Ecritures qui sont ses lois. Son désir est de voir enfin naître la concorde entre tous les opposants. Pour lui, il n'y a d'infaillible que celui qui se revendique authentiquement de l’Esprit Saint et qui obéit à la hiérarchie de l'Eglise. WALLON nuance sa position non seulement sur le plan religieux mais aussi politique : Il y va du maintien de la liberté d'un pays.
Sur le déroulement du Concile, l'abbé RARA ne revient pas. Durant les années 1870 et 18715 il n'écrit pas à Henri WALLON. Est-ce à cause de la guerre, où WALLON s'engage ainsi que ses fils ? Les lettres de cette période ont-elles été égarées ? Il est permis de le croire.
WALLON reste cependant en rapport avec le « Cercle DUPANLOUP ». L'évêque d'Orléans ouvre un véritable secrétariat à Rome ; il écrit plus de 200 lettres par jour. Des lettres adressées à WALLON montrent l'entente des deux hommes sur l'attitude à suivre, mais elles sont peu détaillées ; notamment au moment où la « minorité » songe à se retirer après la proclamation du Postulatum où PIE IX introduit la question de l'infaillibilité. Cette « minorité » réagit durement, mais DUPANLOUP l'empêche de se retirer du Concile. Le 18 Juillet1870, lors de la proclamation solennelle de l'infaillibilité pontificale en matière doctrinale et spirituelle, DUPANLOUP se soumet et les libéraux aussi dans les semaines qui suivent. Ils le font facilement, car pour beaucoup, comme A. COCHIN ou H. WALLON, il s'agissait de combattre les ultramontains, vieux opposants lors de la question de l'enseignement entre autres.
Le vœu de l'abbé RARA était donc réalisé.
Durant cette période de 1860-1877 WALLON, avant d’accéder de nouveau à la députation du Nord, échange avec l'abbé RARA leurs idées sur la tournure que prend le régime impérial.
Alors qu'Henri WALLON est en pleine rédaction de ses ouvrages de religion et d'histoire, il suit, ainsi que l'abbé RARA, la vie politique qu'il avait abandonnée en mai 1850 à cause de la restriction du suffrage universel.
1- Opinions sur le régime de NAPOLEON III
Préoccupés de répondre au malaise social qui s'accentue avec le début du régime impériale les deux hommes se donnent plus que par le passé dans les conférences de St. Vincent de Paul et l'œuvre des Ecoles d'Orient. L'abbé RARA, dénonce de plus, l'inconscience de la bourgeoisie industrielle du Nord devant la paupérisation ouvrière. Henri WALLON après la mort d'OZANAM qui avait tenté par la Société de St. Vincent de Paul de créer une organisation non seulement charitable mais aussi sociale essaie, malgré les cours de la Sorbonne et ses ouvrages, de maintenir aux côtés d'hommes comme Augustin COCHIN le but et l'activité de la Société.
RARA, comme WALLON, est profondément déçu de voir la méfiance du Gouvernement à l'égard de ce mouvement de catholiques sociaux qui se préoccupent trop d'instruire et de soutenir matériellement les pauvres.
Dès le début du glissement vers l'Empire, à l'hostilité de WALLON s'ajoute peu à peu celle de RARA, qui, sans être favorable, acceptait le fait établi. Gêné lui-même dans sa liberté, nous le verrons, il manifeste fréquemment à Henri WALLON son soutien dans le parti qu'il avait pris dès1850.
Dès1860 le durcissement du régime se fait sentir surtout à l'égard des catholiques qui avaient soutenu ou du moins accepté le coup d'état de décembre1851 et auxquels il fallait bien accorder quelques satisfactions,
En Octobre 1860 Henri WALLON écrit une lettre empreinte de son hostilité toujours soutenue à la politique impériale. A la réponse que lui fait l'abbé RARA le ton de WALLON devait plutôt être antagonique :
« Cet oubli de tous les principes, ce mépris de tous les droits les plus sacrés foulés aux pieds avec tant d'imprudence pourrait bien avoir pour la Société des conséquences plus funestes que les bouleversements causés par une révolution sanglante. Un nouveau 93, tout affreux qu'il est, serait moins funeste à la Société que cet abaissement moral des âmes qui les rend indifférentes à tout excepté à l'intérêt du moment. Cet abaissement qu'est-ce autre chose que la décadence ? »
(21-X-1860)
Cette attitude de la part de beaucoup de catholiques provenait de la politique de l'empereur dans les affaires italiennes. Venant de l'abbé RARA cette désaffection résulte davantage du caractère insidieux de cette politique. De plus elle vient du fait que RARA prend conscience de l'ampleur de la manipulation du clergé pour favoriser NAPOLEON III dans son plébiscite surtout auprès des populations paysannes et ouvrières.
L'abbé RARA s'est souvent montré hostile aux violences révolutionnaires - notamment la Révolution Française -, mais on sent toute sa désapprobation du régime de NAPOLEON III quand il déclare préférer un « nouveau 93 ». L'enjeu étant, pour lui, toujours le progrès de la Société vers la foi chrétienne. L’attitude du gouvernement n'a pu que compromettre l'Église dans son soutien du début à l'Empire. Le mécontentement de RARA n'est pas moins grand que celui de WALLON, plus précoce.
La même désaffection se rencontre à propos du rattachement de Nice et de la Savoie à la France en Avril 1860 :
« Les affaires ne se sont guère améliorées depuis les deux articles dont vous me parliez dans votre lettre, et où vous disiez en très bons termes et dans un langage plein de convenance et de fermeté, ce que l'honneur et l'intérêt de la France demandait que l'on fit, ce que l’on semblait en droit d'attendre de ceux qui sont à la tête des affaires. Mais ce que le devoir, l'honneur et l'intérêt demandent, dans ces temps de révolutions surtout, n'est pas toujours ce que l'on fait... Qui sait les limites posées à tant d'injustices et tant d'infamies, dans les conseils de ceux qui dirigent les affaires ? Je crains bien que ceux qui ne s'arrêtent pas dans leurs projets d'annexion, et qui se croient maîtres des choses, ne soient les premiers trompés, s'ils ne sont pas les victimes de leur détestable ambition ».
(9 – XII– 1860)
L'abbé RARA ajoute qu'il n'est pas assez haut placé pour « faire des conjectures ».
« Ces promesses ne séduisent guère, et de belles paroles ne suffiront pas pour me donner confiance » (ibidem).
L'engagement de WALLON est de dénoncer ce régime, au nom de la Société mais aussi au nom de la défense du pays. Et son patriotisme réside dans l'amalgame des deux : Servir la Société et ce qui la fait progresser (la religion) mais aussi servir le pays, son intégrité territoriale (il va le montrer en I870). Le transfert de Nice et de la Savoie ne reçoit pas leur approbation parce qu'il est le fruit d'un échange avec le Piémont qui désire réaliser l'unité Italienne. Laquelle peut se faire aux dépens de Rome que l'on veut prendre au Pape pour en faire la capitale du futur royaume. Même sur la politique extérieure -politique jugée de prestige risqué- les deux correspondants trouvent à redire.
De ces prises de positions peut-on déduire que l'abbé RARA a opté pour la République ? Il n'en est rien. Peut-être moins prompt qu'Henri WALLON, il refuse un régime qui abuse des citoyens en leur supprimant des libertés essentielles. Cette dénonciation de l'Empire n'indique pas pour l'abbé RARA, à l'inverse de WALLON, un désir ardent de la République. Nous verrons on 1871 – 1875 réapparaître son loyalisme monarchique. Mais entre deux maux, la République est le moins grande pour RARA, il eut souhaité en 1850 le retour à une monarchie modérée, et qui s'inscrit davantage dans la tradition de la France, ou même on regardant plus loin, dans les exemples bibliques qu'il connaît bien.
Des exemples précis montrent encore les limites, de moins en moins tolérées par les deux hommes, qu'impose l'Empire.
2. Réaction à certains événements.
Ce projet s'inscrit dans le cadre d'une série de réformes financières. C’est l'époque de la création de grands établissements bancaires de dépôts et de prêts, des financements des grandes entreprises pour soutenir leur développement, des voies de communications notamment le réseau ferroviaire. Mais les épargnants et les rentiers investissent peu dans les entreprises industrielles. Les grandes banques s'occupent en grande partie des emprunts d'Etat. Il s'agit en 1862 de la transformation d'un emprunt d'Etat et de son taux d'intérêt.
« J'aurais désiré en lisant l'exposé des motifs du grand projet de loi qui occupe maintenant avec raison tous les esprits, trouver les conditions auxquelles se fera cette conversion aux 3% que l'on veut bien nous dire avantageuse aux rentiers des 4% ; je n'y ai rien vu de plus que dans le projet de loi lui-même. Je suis bien obligé d'y penser quoiqu'il m'en coûte puisque nous avons mis là une partie de ce que nous possédons. Jusqu'à présent je n'y vois pas clair. Est-ce donc que l'on attendra que nous ayons donné notre consentement en blanc à la conversion pour porter le décret impérial par lequel sera fixée la quotité que chacun aura à verser pour profiter de l'avantage qu'on nous propose ? J'ai peine à croire que la discussion du Corps législatif ne répande pas quelque lumière sur cette question. Et cependant, il n'y aurait pas lieu de s'étonner grandement quand on voit la souplesse de tant d'esprits toujours prêts à se plier à tout, qu'un vote de confiance laissât au pouvoir le droit de nous traiter avec la générosité qu'il lui plairait ».
(2-11-1862).
Comme pour sa retraite, l'abbé RARA est très méfiant à l'égard du pouvoir. Et même si les biens de l'abbé RARA ne sont que de modestes économies ils lui sont nécessaires ainsi qu'à sa sœur avec laquelle il vit. Seulement il doute encore que cette proposition soit à double tranchant et que tous les députés aient la perspicacité de découvrir si les intérêts des rentrées ne sont pas compromis. La fin de son propos montre assez le peu de cas qu'il fait du régime. Il invite à remettre en question tout ce qui vient du régime.
Il ne s'étonne plus que la société bouge, elle qui a été trop souvent induite en erreur. L'Ecole Normale, qui peut être considérée comme un foyer d'idées nouvelles en matière de politique manifeste elle aussi en 1863 un désir de changement.
Durant ses trois années d'étude à l'Ecole Normale de 1831 à 1834, Henri WALLON avait senti le désir de participer, comme en 1830 à la vie politique. Considérant qu'il était à Paris pour étudier, WALLON se tenait à l'écart de toutes discussions mais se plaisait à raconter à sa famille celles qu’il avait entendues. Les temps ont changé et son fils Henri qui est à l'Ecole depuis quelques mois s'associe aux manifestations et prend même assez chaudement parti, au grand regret de son père.
L’abbé RARA, ancien de l'Ecole lui aussi, abonde dans le sens de son ami :
« Désordre à l'intérieur de me dit-on ; au dehors manifestations politiques pour la Pologne, et au milieu de tout cela votre pauvre Henri séduit par une apparence de sentiments faussement généreux ».(7-IV-1863)
RARA espère qu'en « respirant l'air de la maison paternelle » il « rentrera dans la bonne voie ». WALLON ne lui a pas donné beaucoup de détails sur cette affaire et il lui en réclame :
Henri WALLON fils est en butte contre la religion et RARA remonte son ami en lui disant de s'en remettre, comme dans tout, à la Providence :
« Dans les circonstances où se trouve notre société, et les jeunes gens surtout, plus encore ceux de l'Ecole, vivant dans l'atmosphère où ils sont plongés, je crains bien que vous n'ayez longtemps à faire à Dieu le sacrifice de cette douloureuse épreuve. Les raisons, quelque solides et lumineuses qu’elles soient, ne peuvent pas grand chose sur les esprits ainsi disposés ». (22-V-1863).
Le caractère d'Henri s'enthousiasme avec l'opinion générale de l’Ecole pour des idées, dont RARA sent bien la Générosité, comme par exemple le sort des polonais bridés par la Russie. La politique, incertaine à leur égard, de NAPOLEON III, entraîne dans le milieu étudiant des manifestations bruyantes de sympathie pour les insurgés polonais.
Outre cela, l'Ecole adopte une attitude hostile à la religion et ici encore RARA et WALLON en viennent à dénoncer l'enseignement, qui à leur avis, est déformé par le manque de courage pour réfuter certaines idées. Ils se plaignent également de voir le gouvernement impérial ne pas favoriser le rôle de l'Eglise ou au moins faire en sorte qu'à l'université chacun puisse faire entendre ses idées sans que les idées subversives prévalent sur la religion et son enseignement. Une fois de plus il regrette l'attitude du gouvernement ; il se fait des ennemis et ceux-là en viennent également à se retourner contre la foi chrétienne alliée au début avec le régime impérial. Les deux hommes s'en inquiètent.
WALLON est très sensible à cette grave question parce que son fils, qui part sur les mêmes traces que lui, par son « indépendance de jeunesse » repousse la plupart des idées reçues. Or l'écrivain et historien qu'est WALLON a toujours essayée au risque d'être critiquée d'accorder son rôle de chrétien à une recherche honnête de la liberté et de la vérité, ce qu'Alfred CROISET, fils d'un ancien camarade d'école, appelait « Concilier l'esprit de 1789 avec l'esprit chrétien. »
Cette attitude de l'Ecole Normale confirme WALLON et RARA dans leur hostilité au régime. Une autre occasion va leur être fournie.
Ce journal que lit régulièrement depuis de 30 ans l'abbé RARA se situait dans l'entourage du « Correspondant ». Sous l'Empire il a été dirigé par Louis de CARNE, favorable au régime. Déjà les deux correspondants avaient trouvé que dans la première décennie de l'Empire le journal prenait des allures de plus en plus antagoniques sur des questions religieuses. Sous la Monarchie de Juillet, chantre d'un certain gallicanisme, il convenait assez bien à l'esprit sulpicien de l'abbé RARA. D'une certaine indépendance vis à vis de l'Empire, il reflétait plusieurs opinions. A la fin de l'année 1861, le durcissement dans la liberté de la presse est perçu par l'abbé RARA. Il écrit ceci à propos de « l'Ami de la Religion » :
« Jusqu'à présent il suivait son chemin dans la droiture, invariable ou du moins à peu près dans ses principes... Serait-il possible qu'il se fut mis au service d'un gouvernement que certainement il était loin d'approuver ? » (25 -XII 1861).
Sa méfiance est confirmée quelques semaines après. Il décide d'abandonner ce journal :
« J'ai fini hier avec l'Ami de la Rel. ; je n'aurais pas continué quand même mon abonnement se serait prolongé davantage. Il ne faut plus s'attendre à y trouver que les faits et les nouvelles qu'il plaira à l'autorité de publier, et présentés à son point de vue. » (2-2-1862).
WALLON et RARA sentent de plus en plus la nécessité d'accorder plus de liberté à la presse et le régime ne songe pas à desserrer l'étau avant 1868. Jusque là, pour publier un journal, il fallait une autorisation préalable et un avertissement. Prenant ses distances avec le régime, l'abbé RARA qui est assez indépendant refuse de cautionner par son abonnement l'avenir de « l’Ami de la Religion » qui n'est plus qu'un organe impérial dont la liberté est étouffée. WALLON n'a pu qu'approuver l'initiative de l'abbé RARA.
Ainsi les opinions des deux correspondants confirment la tendance d'une fraction de l'opinion publique. Dès les années 1859-1860 apparaît une opposition dont les progrès seront concrétisés par les élections de 1863, qui marquent la montée de cette opposition sous l'étiquette « d'union libérale ». Celle-ci groupe des conservateurs opposés uniquement à la politique de l'empereur dans la question romaine (ni RARA, ni WALLON ne s'apparentent à elle), et des républicains comme THIERS et Jules SIMON et des indépendants dont l’abbé RARA et WALLON se rapprocheraient.
A la suite de ces élections ROUHER compose un nouveau cabinet dans lequel l'historien Victor DURUY, que WALLON a eu comme collègue à l’Ecole Normale, accède à l'Instruction Publique. Il va mener une politique de laïcisation de l’enseignement qui conduit, selon WALLON et RARA, l'étudiant qu'est le jeune Henri à s'éloigner de la religion. L’abbé RARA et Henri WALLON ont montré leur désaccord, rendant le régime responsable. Ils en viennent tous deux à définir la carrière de l’historien :
« Une carrière où on se trouverait à chaque pas en présence des questions les plus graves et les plus délicates et souvent dans l’impossibilité de les pouvoir résoudre sans s’exposer à être regardé comme un ennemi du gouvernement et à courir les chances d'un soupçon avec lequel on est plus innocent. » (22-10-1863)
L'abbé RARA et Henri WALLON vont avec le temps souhaiter le changement parce qu'ils estiment -surtout WALLON- que les conditions d'enseignement se sont détériorées et qu'un vent d'intransigeance dans le sens laïc restreint la liberté et le respect de leurs matières : en particulier l'Histoire et la Philosophie.
D'autres soucis viennent à l’esprit de l'abbé RARA. Conséquences de la politique hasardeuse de l'empereur, des bruits de guerre courent :
« Ils retentissent souvent à mes oreilles et je m'attends à tout ; pour nous qui ne sommes point chargés de la conduite des affaires, nous n'avons aucune autre chose à faire, prier et baisser la tête. » (I6-IV-I867).
Puis RARA compare la situation à celle de 1815 et réaffirme son dégoût de la violence
« Ces maux évidemment peuvent atteindre toute l'Europe. Y échapperons-nous ? Humainement parlant, la guerre est inévitable, et cette guerre, dans les circonstances actuelles me fait horreur. Vainqueurs ou vaincus, elle aura des conséquences déplorables... Il serait bien à désirer qu'on entrât dans les sentiments que les étudiants de France ont exprimés tout récemment à leurs frères allemands. Mais cette belle modération s'oublie bien vite au milieu de la lutte et n'est guère le fait des masses armées. » (ibid.)
Nul ne peut nier que RARA a conscience de ce que représente l'avenir, et qui est partagée par Henri WALLON. Lorsque la guerre éclate en 1870 les deux fils d'Henri WALLON sont mobilisés. Le seconde Paul, est au fort d'Issy où son père le rejoint de temps en temps ; lui aussi s'enrôle et participe à la défense de Paris. Aucune lettre de septembre1869 ne vient de l'abbé RARA. A-t-il écrit et les lettres ont-elles été égarées par la suite ?
Par quelques lettres de famille nous apprenons que WALLON est donc mobilisé en septembre 1870 dans les forts du sud de Paris. Dans ses lettres apparaît le patriotisme d'Henri WALLON qui, à 58 ans, est fier de le mettre à profit. Mais il n'a rien d'une exaltation contre l'ennemi. Pour lui l'empire portait sa ruine et celle du pays on lui.
Le 23 Janvier1871, il adresse une lettre à sa mère, sa femme et ses enfants où il leur donne ses conseils dans l'éventualité de sa mort :
« Si je meurs dans ce siège, j'aurais la confiance et j'emporterai la douce consolation que ma prière a été agréée. Ce me sera une bien grande peine de ne pas vous avoir revus avant de mourir... » (23-1-71).
Le sort n'en a pas décidé ainsi ; le 28 Janvier 1870 l’armistice franco-allemand était signé ; et à l'éventualité assez peu réconfortante mais réaliste de sa mort, succède le désir ardent de participer à la restauration nationale de l'Etat en entrant une seconde fois dans la vie politique.
3- La seconde expérience politique de WALLON,
Le retour à la république est pour Henri WALLON le retour à l'espoir. Et tout en poursuivant ses ouvrages inspirés des évènements qu'il vit au même moment (la guerre et la Commune), il se représente à la députation du Nord, et est élu le 8 février 1871 à l'Assemblée Nationale. Les lettres de ses enfants et de sa femme expriment toute la joie du retour à la vie politique du père. Les plus ardents sont les deux fils ainés, Henri et Paul, républicains convaincus, qui relèveront toujours la lutte chaque fois que leur père sera mis en cause, pris à parti pour ses positions républicaines ou pas assez et pour ses ouvrages. Selon les articles de journaux qui consacrent une monographie à Henri WALLON, les uns le placent au centre droit, d'autres au centre gauche. WALLON s'est présenté aux élections sous l'étiquette républicaine et son passé de 1849 à 1850 lui a servi.
Gabriel HANOTAUX dans « l'Histoire de la France contemporaine » explique qu'à côté des républicains « rouges » de GAMBETTA et de la gauche modérée existait un centre gauche, réunion des Républicains conservateurs » qui étaient de timides partisans de la République ; puis ils deviennent convaincus de la nécessité de cette option ; soutenus par l'opinion publique. C'est à ce dernier groupe que l'on peut apparenter WALLON, mais en réservant de constater son indépendance au sein de ce groupe avec lequel il se met d'accord seulement sur certaines mesures.
En Décembre1871 l'abbé RARA écrit à WALLON pour lui dire ce qu'il pense des événements :
« Je voudrais bien que vous pussiez me dire en m'écrivant que nous touchons au terme de nos longues et pénibles épreuves. Mais comme vous le croyez aisément je ne m'y attends pas, et sur ce point il n'y en a pas un parmi vous, même des plus habiles qui puisse avoir sur ce point une espérance fondée. » (19-XII-I871)
Faisant ainsi le procès de l'Assemblée dont les discussions piétinent sur les mesures à prendre pour réorganiser le pays et sortir du provisoire, l'abbé RARA se représente les préoccupations du député. Et il en ressort que WALLON a peu de temps pour lui faire part, comme dans le passé, de ses préoccupations. Et à propos du caractère provisoire de la République, RARA traduit une impatience que partage l'opinion publique à cette époque :
« Il faudrait donc sortir de cet état d'incertitude où nous resterons tant qu'il n'y aura rien de décidé sur la forme définitive du gouvernement. Mais cet état, comment en sortir ? La division règne parmi vous. Et à l'exception d'un petit nombre d'hommes convaincus et pratiquants, combien en est-il qui songent à la suite des choses, qui puissent nous relever, remettre Dieu à la place d'où on a commencé à le chasser, il y a bientôt 100 ans et d'où on semble tenir à l'éloigner de plus on plus. » (ibid.)
Cette opinion n'a pu que sensibiliser WALLON qui est très soucieux de trouver un type de régime définitif. Pour lui son choix n'est pas fait et si sa préférence semble aller pour la République il faut que celle-ci soit réellement souhaitée et qu'elle soit le garant de la liberté. Pour RARA, cent ans de combat contre l'influence de l'Eglise lui font regretter sa grandeur et son rôle dans la direction morale du pays. Les traces d'un vieux gallicanisme du même style que celui de BOSSUET se fait toujours sentir chez lui. La religion a perdu une place qu'elle aurait de garder. Sur ce point WALLON est d'accord et ses ouvrages le montrent assez ; mais c'est à propos du rôle de l'Eglise dans le pays que les divergences entre eux se font sentir. RARA est pour une Eglise en harmonie avec une monarchie qui lui laisserait la liberté d'obéir au pape, WALLON pour une Eglise et un régime acceptant de collaborer sur les points où l'on ne peut attribuer l'autorité plus à l'un qu'à l'autre, par exemple l'enseignement. Et ce régime, il le préfère républicain, mais pas au sens strict où peuvent l'entendre les républicains « rouges » et bientôt anticléricaux.
Plus ouvertement l'abbé RARA donne sa position sur le régime définitif et sur l'autorité que l'Eglise doit reconnaître :
« Il me semble que les ténèbres s'épaississent... Le seul homme dont la noble intelligence et la loyauté commandent le respect à ceux même qui ne veulent pas de lui, pourrait si je ne me trompe réparer nos maux, mais à vrai dire je ne crois pas que la France, dans les circonstances présentes soit disposée à le recevoir et à se laisser gouverner par lui. A mon sens il y a deux hommes qui semblent destinés à relever la société : PIE IX et le comte de CHAMBORD. » (8-II-1872).
L'assemblée siégeant à Versailles et qui groupe une bonne majorité de légitimistes et d'orléanistes, n'a pu se prononcer en faveur d'une monarchie.
En mars 1872 les conditions posées par le comte de CHAMBORD pour la restauration monarchique sont jugées impossibles par RARA :
« Je crois comme vous maintenant que le c. de CHAMBORD est maintenant impossible ; la très grande majorité n’est pas disposée à le recevoir ; mais je pense toujours que nous serons heureux un jour de l'avoir pour nous sortir de l'abîme où nous sommes. Il sauvera la France comme PIE IX sauvera l'Eglise. » (24-III-1872).
Dans ses lettres il n'est jamais question du comte de PARIS soutenu par un parti plus grand que son cousin. Ce qui importe pour RARA c'est de trouver pour le pays une tête qui puisse composer avec l'Eglise et la respecter.
La 28 août1873 il revient aux épisodes sanglants de 1793 et au culte de la Raison. « Cette sacrilège apostasie » n'ayant pas été rétractée il importe, selon lui, de trouver un régime qui ne ressemble, pas à celui qui a crée ce nouveau culte. Il en revient à PIE IX et au comte de CHAMBORD.
WALLON a peu de temps pour lui écrire. Mais il ne peut rester insensible à l'opinion de son vieil ami même s'il ne la partage pas. Pour lui il faut compter avec certains royalistes qui ne sont pas résolument hostiles aux libertés.
Il regrette de nouveau le rejet du « prince si loyal » le 11 décembre1873. Cependant l'abbé RARA conserve l'espoir qu'on pourra un jour revenir la sagesse et renoncer :
« aux théories impies des philosophes du XVIIIe s. aux misérables formés à leur école et aux héritiers de ces monstrueuses doctrines qui continuent à les répandre dans les masses avec une audace toujours croissante. » (11-XII-1873).
Selon lui la République est hypothéquée de ces influences. WALLON dans le même temps travaille à démontrer le contraire. A la fin de 1874, l'abbé RARA fait part de ses regrets de voir son ami si absorbé par des tâches politiques :
« Ah laissez-moi souhaiter pour vous de vous voir soulagé d'un si long et si pénible labeur et consacrer tout le temps qui vous reste après les travaux indispensables à des lectures qui vous vont bien mieux à vos goûts et que vous sentez aussi de plus en plus convenir à votre âge. Oui, puissiez-vous dans le plus ardent de mes désirs, vous nourrir de plus en plus de ces fortes lectures où vous avez trouvé l'inspiration des ouvrages les plus importants ».
(21-XII-1874).
Connaissant leur divergence d'opinions l'abbé RARA tente de rappeler à WALLON que sa place est davantage à l'enseignement et à écrire des ouvrages qu'à s'occuper de politique. A ce moment le député du Nord travaille avec quelques amis à préparer un amendement de lois constitutionnelles. Georges PERROT écrit à ce sujet :
« Après la chute de M.THIERS (janvier 1872) WALLON soutint le ministère de BROGLIE ; mais quand celui-ci fut tombé (mai 1874) sans avoir pu faire la monarchie qu'il désirait, WALLON fut de ceux qui ne se reconnurent pas le droit de condamner la France à se débattre et à s'énerver dans le provisoire. C'est ce que déclarait, le 16 juin 1874, cent seize députés du centre gauche. Quelques jours après il déposait un projet très bien étudié sur l'organisation des pouvoirs du Président de la République et sur le mode de révision constitutionnelle. »
La discussion de ce projet a été ajournée jusqu'en janvier 1875. LABOULAYE soutient un amendement ainsi conçu :
« Le gouvernement de la République se compose d'un Président et de deux chambres. »
L'article repoussé par 23 voix de majorité au vote du lendemain fut complété par l'article additionnel d'Henri WALLON :
« Le Président de la République est élu à la pluralité des suffrages, par le Sénat et la Chambre des députés, réunis en Assemblée Nationale. Il est élu pour sept ans. Il est rééligible. »
Seul supplément à l'article de LABOULAYE : le mot République, qui valut à WALLON le silence de son ami, l'abbé RARA, durant toute l'année1875. Rejeté le 29 janvier, WALLON explique à la tribune son amendement le lendemain à la Commission des Trente qui l'avait repoussé. Aux protestations du général de CHABAUD-LA-TOUR[18], qui lui reproche de proclamer la République, WALLON fait une réponse propre à ménager les monarchistes et les républicains :
« Je ne proclame rien, je prends ce qui est. J'appelle les choses par leur nom. Je les prends sous le nom que vous avez accepté et que vous acceptez encore ... Nous trouvons établie une forme de gouvernement. Il faut la prendre telle qu'elle est ; il faut la faire durer... Je ne vous demande pas de déclarer ce régime définitif. Qu'est-ce qui est définitif ? Mais ne le déclarez pas non plus provisoire. »
L'amendement WALLON est voté par 353 voix contre 352. Cette réponse que fit WALLON à la droite monarchiste était faite pour l'apaiser. Est-ce que la ferveur républicaine d’Henri WALLON s'est édulcorée depuis 1850 ? Les conditions ne sont pas les mêmes. Pour lui il faut sortir du provisoire. On n'a pu le faire avec la Restauration monarchique, il faut le faire avec la République. L’essentiel est toujours, pour lui, d'opter pour un régime qui garantit la liberté. WALLON ne semble donc pas un républicain comme les autres. La République est un mot (il le montre bien), elle n'est pas un but en soi. Un régime politique selon lui, quelque nom qu'il porte, quelque soit le premier homme de l’Etat, doit être le moyen d'arriver à l'entente et au respect de la liberté.
Cette conception du pouvoir vient de plus de trente années d'expérience et d'observation de la politique. Cette modération de WALLON et cette fermeté à défendre des traditions encore utiles à la société comme l'Eglise et l'Enseignement ont certainement aidé à rallier sous la République des voix indécises de droite. WALLON se situe en dehors de la classification traditionnelle républicains-monarchistes ou droite-gauche. Il est du centre mais dans ce centre il garde encore son indépendance.
Dans les semaines qui suivent, il travaille à l'élaboration des lois sur le Sénat avec son ami Léonce de LAVERGNE : elles sont adoptées le 24 février avec une majorité plus confortable que l'amendement précédent. La loi sur l'organisation des pouvoirs publics est adoptée le 25 février par 425 voix contre 254. Georges PERROT, républicain, se plaît à souligner :
« C'était bien à WALLON qu'était due l'heureuse issue de la campagne que les républicains menaient depuis quatre ans contre des regrets stériles et des espérances irréalisables ».
Son rôle de trait d'union avec LAVERGNE et LABOULAYE a certes été utile à l'installation de la République. Et G.PERROT admet volontiers le qualificatif que certains journaux et des conversations ont donné à Henri WALLON : « Le Père de la Constitution ». Ce à quoi il répondra plus tard, étant sénateur inamovible :
« J'ai eu sept filles. Mais il n'y a eu que la dernière qui ait mal tourné. »
Il s’agissait de la République. Devant la montée de l'anticléricalisme et l'orientation de la République, ainsi WALLON accepte « l'inoffensive plaisanterie » (G.PERROT).
Sa participation à la vie publique va se poursuivre. Dès mars1875 il entre dans le premier cabinet républicain du maréchal de MAC-MAHON comme ministre de l'Instruction Publique et des Cultes. C'est durant cette période1875-1876 qu'il établit des rapports simplifiés avec le Saint Siège pour la nomination des évêques. Il tente également de rétablir l'agrégation des Facultés à laquelle il doit ses débuts à la Sorbonne. Sous son ministère, plusieurs facultés ont été créées : droit à Lyon, et médecine à Lille. Par contre l'institution des jurys mixtes pour les examens de l'Enseignement Supérieur lui ont valu des critiques on n'a pas manqué de souligner qu'il avait voté contre la loi FALLOUX en 1850 et en 1876 il semble accepter le fait accompli par la création de cette institution.
Est-ce bien une contradiction comme le soulignent plusieurs monographies contemporaines ? Il faut ici se souvenir de son combat pour une liberté effective de l'enseignement. En 1850 cette liberté était plutôt compromise par l'Église qui voulait poursuivre sa monopolisation de l'enseignement. En 1876, la menace de cette liberté a changé de côté : elle vient d'une poussée anticléricale qui veut le monopole de l'Etat. Pour WALLON il faut -et les jurys mixtes le montrent- respecter la collaboration Etat-Eglise.
Le 11 mars 1875 Henri WALLON reparle de sa nomination à sa fille, Madame DELTOMBE :
« Je prends la première feuille de papier de mon bureau de ministre pour te remercier des félicitations que tu m'as envoyées ce matin par le télégraphe ainsi que Célestin. Je n'ai pas à te raconter les péripéties de ma nomination. Jusqu’au dernier moment je suis resté étranger à tout. Au reste les journaux en ont assez parlé pour que je ne t'en entretienne pas davantage. Il y a un journal intitulé L'Echo Universel que je recevais le matin et dont les récits, autant que je les pouvais contrôler, étaient tout à fait exacts... Je laisse donc tout cela et j'aime mieux te parler de la famille... » (11-III-1875).
Ainsi WALLON considère la politique : un domaine qui ne doit pas nuire à la vie de famille. Il fera toujours la différence. Il ne préfère pas revenir sur les consultations qui précèdent les choix des ministres, ou entretenir sa famille de ses préoccupations de ministre qui l'absorbent beaucoup. Ayant une descendance qui déjà promet d'être nombreuse, il entend bien garder le contact avec tous. Et cette correspondance familiale est pour lui comme un moyen d'évasion.
Mais cet homme qui veut se partager entre ses tache politiques -qu’il conçoit comme un devoir- et sa vie familiale, apparaît-il aussi républicain que G. PERROT le présente ? Nous avons insisté sur son indépendance. L’opinion de Madame Julie LAVERGNE, fille d'un ancien maître de WALLON, le présente bien différemment à M. Lucien OZANEAUX :
« M.WALLON, le républicain, est bien le même que l'ancien élève de mon père... Je le connais depuis mon enfance. J'étais amie intime de sa première femme (Hortense DUPIIU) je vois quelquefois la seconde qui est excellente aussi et avec laquelle je m'entends fort bien. »
L'amendement qui l'a fait connaître montre que dans les milieux parisiens et ailleurs on est soucieux de dire que l'on est on rapport avec lui. WALLON s'est donc fait connaître, plus par son action que par ses relations. Madame LAVERGNE poursuit et cite WALLON dont l'opinion est tributaire de celle de l'abbé RARA sur la monarchie :
« Il vient de publier une histoire de Saint Louis qui certes n'est pas du tout républicaine. Je lui disais il y a quelques temps : « comment se fait-il que vous ne soyez pas légitimiste? » Il me répondit que M. le comte CHAMBORD s'était rendu impossible en refusant le drapeau tricolore ; que du reste c'était bien dommage parce que c'était un prince d'un caractère admirable... En somme tout le monde croyait M. WALLON monarchiste tricolore et sa campagne républicaine a surpris beaucoup...Il s'est fait un idéal de la République tel qu'il s'en est passionné. Assurément si tous les républicain savaient ses vertus la République serait le paradis sur terre, mais nous savons ce qu'il en est, et vraiment on frémit quand on voit ce fervent catholique, ce bon père de famille, faire les affaires de GAMBETTA...Un journal l’a traité bien mal, l'appelant Tartuffe et autres gentillesses. C'est un tort. Il n'est point faux ni méchant, il croit bien faire ; et, tout historien qu'il est, ne tient pas compte des leçons de l’Histoire. Ni la Terreur, ni 48, ni 71 ne peuvent lui ôter l'idée que la République est possible en France et qu'elle peut être charmante moyennant quelques petits arrangements. C'est un catholique libéral et ces messieurs là s'imaginent tous qu'en mélangeant l'eau bénite et le pétrole dans leurs alambics ils feront du vin de Bordeaux... Où en êtes-vous dans le Nord ? Crois-tu vraiment que l'on pourra faire une bonne République ? » (20-II-1875).
Cette opinion pour le moins monarchiste ressemble assez à celle de l'abbé RARA. Son silence au cours de l'année1875 peut vouloir signifier une désapprobation de son ami. Certes il a de plus en plus de mal à écrire à cause de son âge et de la cécité qui le gagne ; mais dans les circonstances graves, malgré ses infirmités, il prend la plume et prolonge le commentaire des événements dont il est le témoin ; au début de 1876 après les élections législatives WALLON quitte son ministère et entre au Sénat.
Une forte majorité conservatrice entraine la composition du ministère DUFAURE qui démissionne rapidement suivi d'une instabilité ministérielle dont le régime parlementaire va ressortir consolidé. En 1877, GAMBETTA trouve alors une occasion de manifester son anticléricalisme.
« Vous n'êtes pas trop rassuré sur l'avenir qui nous attend et je le conçois, vous avez bien raison. On oublie trop vite le mot de LA FONTAINE : Laissez leur prendre un pied chez vous il en auront pris bientôt quatre. Vous avez mis le doigt sur la plaie c'est la haine du catholicisme que l'on veut. » (28-VI-I876).
Lors de la crise du 17 mai 1877 qui consacre le pouvoir de la Chambre, donc d'une gauche républicaine importante, l'abbé RARA n'arrive plus à suivre l'évolution de son temps. Il y a des gens avec lesquels on ne peut composer. Ce sont les anticléricaux :
« Que Dieu soit toujours avec vous pour vous inspirer les résolutions que vous aurez à prendre bientôt au milieu des périls qui menaçant notre pauvre et aveugle Société. » (10-VI-1877).
Les dernières lettres de l'abbé RARA deviennent illisibles ; la dernière en date du 6 octobre1877, montre le vicaire de St. Pierre de Douai acceptant son état et attendant sa fin. La lettre du 15 Juillet 1876 est empreinte d'une espérance en des temps meilleurs mais qu'il ne verra pas :
« Je ne vous voyais pas sans crainte associé dans la conduite des affaires à des hommes qui, tout en faisant profession de respect de l'Evangile, n'en sont pas moins portés à réclamer pour eux dans les questions qui touchent à la religion une indépendance mal entendue... Vous êtes encore dans la vigueur de l'âge, vous verrez ce triomphe (celui de la Croix et de l'Eglise) et avec ce triomphe celui de votre chère France que les plus habiles sont impuissants à guérir et à sauver. »
(15-VII-1876).
Puis il renouvelle sa confiance dans le Pape. Il est membre de l’Eglise et reste fidèle à ses institutions, données par les Ecritures Saintes.
Le 16 décembre1877, l'abbé RARA est décédé. Le panégyrique que l'archiprêtre de la paroisse Saint Pierre de Douai prononce est tout à l'honneur du défunt. Retraçant certains aspects de la vie de l'homme, son austère régularité et sa foi, il affirme que Francois-Alexis RARA s'est battu pour défendre le Syllabus. En 1870 le gallicanisme, comme force religieuse, est mort. Il ressort des opinions de l'abbé RARA que cette fidélité renouvelée au Pape n'exclut pas une alliance avec la monarchie. Il est pour une conciliation des deux formes de pouvoir sous l'égide de PIE IX et comte de CHAMBORD.
Professant souvent qu'il se tient à l'écart de la vie politique, maintes fois Henri WALLON lui donne l'occasion de s'y plonger. Leur amitié réciproque dont témoignent les 443 lettres que RARA adresse à son ancien élève, se double d'une collaboration fructueuse et qui n'a pas manqué d'influer sur la carrière de WALLON, qu'elle soit littéraire, enseignant, ou politique.
RARA est d'abord, avec l'expérience personnelle des années passées, un soutien pour WALLON qui cherche encore sa voie. Puis l'ayant conseillée RARA rejoint par WALLON et même dépassé dans ses études, ils s'entraident comme professeurs, échangent leurs idées et abordent ensemble les difficultés de toutes sortes que le monde enseignant connaît entre autres leur promotion. Au nom de son rôle de prêtre et parce qu'il n'aime guère le changement, RARA la refusera. WALLON monte dans la hiérarchie universitaire tout en satisfaisant son goût privilégié pour l'étude de l'Histoire.
Puis RARA apporte une large contribution aux ouvrages historiques et religieux de WALLON dont le principal objet est la défense de la religion. Bien des idées de l'abbé RARA ont servi à forger celle d'Henri WALLON. Grâce à lui WALLON les épanouit et les confrontera sans cesse à son expérience personnelle et à celle de l'Histoire. Et la conception que WALLON se fait de l'Histoire n'est pas sans rapport avec les idées de l'abbé RARA. Il s'agit de redonner aux faits historiques la place qui leur est due en particulier les événements religieux et les sources du christianisme.
Ici le point de vue de l'abbé RARA prévaut sur l'esprit critique d'Henri WALLON : La Révélation fait partie de l'Histoire.
Heureux de voir se réaliser cette défense de la Religion par les ouvrages de son ami (qui sont un peu les siens, pour la plupart), l'abbé RARA est dépassé par l'entrée dans la sphère politique de son ancien élève du Collège Royal de Douai. Au fond, il n’a jamais vu d'un bon augure son entrée dans la carrière politique. Et WALLON en a tenu compte. Il ne s'est jamais attaché à l'expérience du pouvoir par passion.
WALLON s'impose, en plus de l'élan charitable de RARA et son désir de sobriété pour la Société, un devoir concilier « son rôle de chrétien, comme le souligne CROISET, et l'esprit de 1789 ». Mais il s'agit pour lui de faire de la religion un idéal qui s'adapte avec ses vues sociales et de la rendre plus humaine, plus respectueuse des libertés.
Deux réflexions viennent à l'esprit du lecteur de cette correspondance :
- L'immense capacité de travail de ces deux vies bien remplies, touche des activités très variées. Les deux hommes s'intéressent à tout ce qui les entoure.
- Un respect de la liberté qui laisse s'exprimer les idéaux des deux hommes. Et plus encore un besoin de l'autre pour pouvoir compléter son jugement ou son information.
Mais si l'abbé RARA garde l'espoir de temps meilleurs, WALLON, continuera en sénateur à défendre l'Eglise, la liberté de l'enseignement pour elle-même comme pour l'Etat.
Il ne cachera pas son amertume lorsqu'il verra le tour anticlérical que prend la République et que l'abbé RARA dénonçait déjà.
N'évoquait-il pas avec désillusion le vers de LA FONTAINE à propos de la Semeuse de ROTY :
« Voyez-vous cette main qui dans les airs chemine ? Un jour viendra, qui n'est pas loin,
Que ce qu'elle répand sera votre ruine. »
« Père de la Constitution » il comparait encore sa République à un pommier dont les fruits devenaient rouges. Mais il reste au patriarche une grande satisfaction, sa famille :
« Quel bonheur de voir toutes vos filles sans excepter la religieuse, placée aussi à la tête d'une nombreuse famille, marcher si bien dans leur dévouement sur les traces de leur pieuse et excellente mère. » (27-II-1876).
L'abbé RARA a contribué à répandre cette image du " Pater familias" qu'est Henri WALLON. Ella s'accentuera avec le temps et le désir du vieux sénateur de regrouper souvent autour de lui sa nombreuse descendance.
Dans son entourage il inspire le respect : en 1900 l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres honore ses cinquante années de travaux. Quel journal en 1904 ne relatera pas la mort du doyen du Sénat.
Derrière l'Amendement de 1875 qui l'a fait connaître se cache un témoin, et acteur à ses heures, d'un siècle d'Histoire.
Bien que je me tienne toujours fort à l'écart, et que je me borne à lire pour tout journal « l'Ami de la Religion » je ne suis point resté étranger à la querelle déplorable qui met maintenant le clergé et l'université en présence. J’aurais volontiers lu surtout pour vous l'article des « Débats » que vous m'indiquiez. Mais pour l'avoir aurait fallu le demander au proviseur, et comme je vois qu'il prend très chaudement parti dans cette affaire, je m'en suis abstenu pour ne pas donner occasion à une discussion. Du reste j'ai lu dans « l'Ami de la Religion » quelques uns des passages incriminés par le perfide rédacteur « des Débats » qui avait donné au texte un sens tout différent. Depuis j'ai lu un article du « Globe » reproduit par « l'Ami de la R. », article fort bien fait, et tout-à-fait ca me semble dans le sens que vous désiriez. Je ne sais pas si les « Débats » lui ont répondu mais il n'était pas facile de le faire. J'aurais voulu qu'on indiquât le numéro du « Globe » pour vous le faire connaître. Vous y auriez vu expliqué très bien et très convenablement ce qui a été pour vous un sujet de difficulté légère, je veux dire les subtilités de forme que vous ne voudriez pas voir dans les ouvrages de théologie. J’ai trouvé comme vous, mon ami, plus d'une fois qu'il y avait dans la forme scholastique un peu de subtilité, et j'aurais été tenté peut-être d'en faire la critique. La réflexion m'a ramené à un sentiment que je crois plus vrai, et je suis presque sûr que vous le partagerez. Au fond ces distinctions qui paraissent si subtiles ne sont point des cas en l'air imaginés tout simplement pour exercer l'esprit à répondre des difficultés qui n'existeront peut-être jamais. Ce sont des distinctions très réelles que les pénitents posent eux-mêmes tous les jours dans le tribunal de la Pénitence et qui peuvent être quelques fois très subtiles, dans ceux surtout qui sont portés au scrupule...Le « Globe » faisait encore observer qu'il n'y a point à se rallier dans l'intérêt des mœurs contre cet enseignement qui n'est fait que pour les prêtres... Tout cela était dit beaucoup mieux dans le « Globe » dont l'article m'a paru plein de convenance et de raison.
Vraiment c'est chose déplorable qu'un homme comme M. MICHELET qui n'a pourtant pas besoin de faire du scandale comme vous me le dites pour être applaudi soit entré dans cette voie si peu digne d'un homme de talent. Je suis bien loin vous le savez de justifier des attaques brutales et d'odieuses personnalités, je les condamne de quelque part qu'elles viennent. Mais de bonne foi, où est la justice de ces M.M. qui crient si fort après les jésuites ; l'évêque de Chartres qui a été plus loin peut être que les autres on a-t-il dit contre M. COUSIN la moitié de ce qu'a dit P. LEROUX, lorsqu'il a rendu compte de la publication des mémoires de JOUFFROY ? Au moins l'évêque en attaquant la doctrine et en tirant des conférences, que les auteurs peut-être n'avaient pas dans l'esprit, a épargné l'homme. P.LEROUX l'a-t-il fait ? MICHELET le sait mieux que moi. Mais P. LEROUX crie aussi contre les jésuites et les loups ne se mangent pas. Je suis fâché que quelque journal modéré pour défendre le clergé n'envisage la question sous le point de vue piquant (?) mettant en parallèle les attaques portées par LEROUX et celles des membres du clergé. On verrait de quel côté il y a plus de modération. »
« Je crois que la vie de N. S. écrite simplement, où vous vous attacherez à reproduire le plus fidèlement qu'il vous sera possible le texte original, sera la meilleure régulation de cette vie mensongère où ce texte a été si indignement tronqué, altéré, faussement interprété, ce sera là, à mon avis, la principale partie de votre travail, celle qui sera du moins la plus utile au plus grand nombre et la portée de tous. Laissez-moi vous donner le canevas de ce travail tel que je le conçois et m'exprimer comme si je vous communiquais le plan de mon propre travail. Vous verrez que j'entre dans vos vues pour le fond et vous saisirez mieux dans mon exposé ce qu'il me semble convenable de faire dans la partie de votre travail où vous êtes incertain sur la méthode que vous devez suivre... »
Et l'abbé RARA définit la « Vie de Jésus" de RENAN.
« Un recueil de conjonctures, de vraisemblances, de probabilités, de « on-dit, on croit », de symboles, d'allégories présentées sous la forme de faits... Le tout tiré non pas d'ouvrages authentiques et contemporains ou d'histoires véritables, mais de légendes plus ou moins anciennes, de contes, de mythes... et interprétés suivant les règles nouvelles d'une fine et haute critique inconnue jusqu'à présent. »
« Je suis avec un bien grand et bien légitime intérêt, les affaires de Rome, autant du moins qu'on les peut suivre au milieu des ténèbres où il plaît au gouvernement de nous laisser. A l'instant même je viens de voir un extrait du Moniteur qui m'apprend que le corps expéditionnaire qui devait partir, ne part pas sur la parole de VICTOR-EMMANUEL! Humainement parlant ce n'est pas bien rassurant. Mais à vrai dire, ne me tourmente pas de cet état d'anxiété. Je ne sais comment tout cela se terminera ; les habiles (ceux du moins qui croit l'être), et qui ont en mains les rênes des affaires ne la savent pas eux-mêmes. L'horizon est sombre un coup de tonnerre qui éclaterait sur l'édifice social, et qui en briserait plusieurs parties ne me surprendrait pas : je dirais presque que je m'y attends. Mais la confiance ne m'abandonne pas. Le saint et vénéré Pontife qui gouverne l'Eglise n'a pas en vain convoqué son grand Concile il la tiendra à Rome ou ailleurs, il le présidera. Et ce concile, on ne peut m'ôter cette espérance, sera peut-être après une catastrophe miséricordieuse, un remède préparé de Dieu pour guérir les misères morales de la société. Il y a tant de questions que la corruption et la mauvaise foi ont obscurcies et sur lesquelles les âmes droites attendent une solution claire pour marcher avec assurance dans la voie de la vérité ! C'est un nouveau bienfait due la miséricorde de Dieu, j'en ai la ferme confiance, nous prépare dans cette grande assemblée des chefs de son Eglise. »
BIBLIOGRAPHIE
I - SOURCES.
A - Manuscrits
B - Imprimés
1 - Sur l'abbé RARA
2 - Sur Henri WALLON
II - OUVRAGES
A - Sur Henri WALLON
B - Sur le XIXe siècle
C - Sur l'Enseignement et les problèmes de l'Eglise
D - Sur l'Abolition de l'Esclavage 1848 :
E - Publication da certaines correspondances privées
III - PRINCIPAUX TRAVAUX d'H. A. WALLON
Thèses
- Ne figurent, dans cette liste non exhaustive, que les livres d’H. WALLON dont il est question dans la correspondance de l'abbé RARA et qui sont abordés dans ce mémoire.
Georges PERROT donne dans sa notice consacrée à Henri WALLON une liste à peu près complète de ses communications à l'Académie et à la Chambre des députés, et de ses articles de journaux.
IV- DOCUMENTS FIGURES et ICONOGRAPHIE.
[1] G. PERROT : Notice historique sur la vie et les travaux de Mr Henri-A. WALLON (Paris, Firmin Didot & Cie, 1905)
[2] Parisiis 1837 - thèse de Doctorat.
[3] Pierre-Joseph WALLON (1750-1814) exerçait cette profession de maître libre à Valenciennes. En avri1 1794, il adresse aux Echevins de la ville une suppléance en vue d'obtenir l'autorisation d'enseigner chez lui en ville.
[4] LATREILLE, PALANQUE, DELARUELLE et REMOND : « Histoire du catholicisme en France » (Spes 1962).
[5] Cf. Les projets de loi sur l'enseignement de GUIZOT (1836) VILLEMAIN (1841).
[6] Mgr BAUNARD : « Frédéric OZANAM » d'après sa correspondance (J. de Gigord. 1912.)
[7] Cité par Mgr BAUNARD.
[8] J. PALANQUE « Catholiques libéraux et gallicans en France, face ou concile du Vatican (l867-1870) « (Ophrys 1962).
[9] H. WALLON : « Histoire de l'Esclavage dans l'Antiquité » (Hachette 1847) - 3 volumes in 8°. Une seconde édition est sortie, chez Hachette, revue et corrigée en 1879.
[10] François ARAGO (1786-1853)
[11] V. SCHOELCHER (1804-1893)
[12] Opus cit.
[13] Cité par LATREILLE ct REMOND.
[14] GUIGNIAUT : ancien directeur de l’Ecole Normale, ancien Ministre de l’Instruction Publique.
[15]A.THIERRY (1795-1856) : historien dont la méthode repose sur une recherche consciencieuse des faits et des documents originaux.
[16] Cités par Mgr BAUNARD in « Frédéric OZANAM » (1912).
[17] Beau-frère d'H. WALLON, proviseur du Lycée de Versailles.
[18] Futur ministre de l’Intérieur ; WALLON aura l’Instruction Publique et les Cultes.