MÉMOIRE
sur
LES ANNÉES DE JÉSUS-CHRIST.
extrait du tome xxiii, 2e partie,
des mémoires de l'academie des inscriptions et belles-lettre
MÉMOIRE
SUR
LES ANNÉES DE JÉSUS-CHRIST,
PAR M. H. WALLON.
PARIS.
IMPRIMERIE IMPÉRIALE.
m dccc lviIi.
MÉMOIRE
sur
LES ANNÉES DE JÉSUS-CHRIST.
Il y a trois grandes époques dans l'histoire évangélique : la naissance, le baptême et la mort du Sauveur. Elles sont liées entre elles par les textes sacrés et par la tradition, mais non pas au point que l'une étant établie doive entraîner nécessai­rement les deux autres : elles ont seulement des relations d'in­fluence réciproque, en sorte qu'il faut avoir touché à toutes pour conclure sur chacune. Nous les prendrons dans leur ordre, laissant la conclusion en l'état que la marche de la dis­cussion comporte, trop heureux si, après les avoir mises l'une après l'autre en lumière, nous pouvions, en les reprenant dans leur ensemble, parvenir à les fixer1.
Jésus-Christ est né sous Hérode [Malth. n, 1), à la suite
1 Depuis qu'on s'occupe de chronolo­gie, trop de dissertations ont été écrites sur celle matière pour qu'il soit possible d'avancer aucun chiffre nouveau. Pour la naissance de Jésus Christ, par exemple, toutes les années ont été proposées et dé­fendues, jusqu'aux limites les plus invrai­semblables, depuis l'an 22 avant l'ère vul­gaire jusqu'à l'an g de celle môme ère. Mais la multiplicité même de ces conclu­sions veut qu'on les déballe, et, s'il se peut, qu'on les juge. Nous le ferons aussi brièvement que possible, en nous bornant à ce qui sera strictement nécessaire pour Sur les années de Jésus Christ.
justifier notre détermination. — Voyez en particulier Kepler, De anno natal. Christi; Petau, Doctr. Temporum; Huet, Demonstr. Evang. prop. IX, ch. vin; Noris, De numo Herod. Antipœ et Cenotaph. Pisana, II, 6 et 16, op. t. II et III (1729); Fréret, Mémoires de l'Acad. des Inscript, et Belles-Lettres, t. XXI, p. 278 et suiv. Fon tenu , ibid. t. V, p. 270; La Nauze et La Barre, ibid. t. IX, p. 91 et suiv. Magnan , De anno nativ. Christi (Rome, 1772); Sancle-mente, De Vulgatœ œrœ emendatione (Rome, 1793); Ideler, Handbuch der mathem. und techn. Chronologie; Patritius, De Evang.
d'un recensement ordonné par Auguste (Luc, n, i-5) : telles sont les deux données de l'Evangile qui marquent les limites du temps cherché. La limite extrême est l'époque de la mort d'Hérode. Or l'époque de la mort d'Hérode est déterminée, par le commencement et la durée de son règne; par la fin et la durée des règnes de ses trois fils et successeurs, Arché-laüs, Philippe et Hérode-An tipas.
Rappelons d'abord que les Juifs, à l'exemple des Orientaux, et à la différence des Romains en ce qui touche les empereurs, comptaient les années de leurs rois, non du jour vrai de l'avé-nement de chacun d'eux, mais du premier jour de l'année dans laquelle ils étaient arrivés au trône, c'est-à-dire du ier nisan, premier mois de leur année sacrée,, qui comprenait une partie de mars et d'avril1 : en telle sorte qu'un prince parvenu au pou­voir huit jours, par exemple, avant le ier nisan, comptait sa seconde année du neuvième jour de son règne, et que, mou­rant le 8 de ce même mois, ces huit jours de l'année nouvelle lui faisaient une dernière année, l'année commencée étant ré­putée entière2. Ainsi, à moins qu'un prince ne meure exacte­ment le dernier jour de l'année, une même année doit figurer tout à la fois, dans le calcul, comme la dernière du mort et la première de son successeur3.
Cela posé, entrons dans l'examen de la question.
Hérode, selon Josèphe, a régné trente-sept ans, depuis la
«fìrmatus fuerit, dies ille, hebdomas vel « mensis pro integro anno reputati fue-«rint, et secundum regni sui annum ni-« san ille denuo inchoaverit... » (Talmud, trad, de Buxtorf. Synay. Judaic, c. xvii! ap. Fréret, Mémoires de l'Acad. des Inscr. t. XXI, p a95.)
s Sanclemenle, De Vulg. arm cmendat. p. 268, etc.
(i853) : il expose, dans une dissertation particulière (III, xix), les opinions des anciens sur ce sujet, qu'il a discutées lui-même dans les dissertations suivantes.
1 Voir la note 1 à la fin de ce mémoire.
2 « Prima dies mensis nisan est novus « annus regum. . . adeo ut, quamvis uno » lanlum mense, una hebdomade vel uno « die ante nisan in regem eleclus et con-
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déclaration du sénat qui le fit roi, ou trente-quatre ans, de­puis sa rentrée à Jérusalem, marquée par la mort d'Antigonex. Or la déclaration du sénat est, selon Josèphe, du consulat de Gn. Domitius Calvinus et de C. Asinius Pollion, l'an 71/i de Rome (4o av. l'E. V.)2; la reprise de Jérusalem par Hérode et la mort d'Antigone eurent lieu sous le consulat de M. Vipsa-nius Agrippa et de L. Caninius Gallus, l'an 717 de Rome (37 av. l'E. V.)3. La déclaration du sénat paraît être de la fin de l'automne; la prise de Jérusalem, du mois d'octobre, trois ans plus tard" : la première année du roi, selon l'usage des Juifs, datera donc du 1er nisan 714 ou 717 de Rome, selon qu'on aura en vue l'un ou l'autre de ces deux avènements, et la dernière (la trente-septième année dans le premier sys­tème, et la trente-quatrième dans le second) commencera au 1er nisan de l'an de Rome 75o (4 av. l'E. V.). Il est donc mort après le Ier nisan 75o.
Mais il n'a pas vécu l'année entière : car, si nous tenons compte des données analogues de l'histoire sur la durée et sur la fin des règnes de ses trois fils, nous verrons qu'il les avait eus pour successeurs avant le 1er nisan 7 51.
En effet Archélaüs fut accusé et déposé en la dixième année de son règne5, et Quirinius envoyé en même temps pour
1 Jos. Ant. XVIII, vin, 1, et B. Jud. I, xxxviii, 8.
2 Id. Ant. XIV, xiv, 5. Pour la commodité du calcul, dans une période qui comprend des années avant et après 1ère vulgaire, nous emploierons communément l'ère de Rome en admettant que l'an 1™ de Rome répond à l'an 753 avant l'ère vulgaire, et l'an ier de l'ère vulgaire à l'an 754 de Rome, se­lon le mode des chronologistes : Jésus-Christ étant né le 2 5 décembre, les astro­nomes, on le sait, comptent o l'année de
la naissance, — 1 l'année qui précède, et -t- 1 l'année qui suit. Les chronologistes n'ont point l'année o; ils comptent — 1 l'année même vers la fin de laquelle Jésus-Christ est né, et -H 1 l'année qui suit à partir du 1" janvier. Quand nous indi­querons les années avant ou après Jésus-Christ, il s'agira toujours de l'ère vulgaire.
3 Ant. XIV, xvi, à.
4 Voy. la note 2 à la fin de ce mémoire.
5 Jos. Ant. XVII, xiii, 2. Dans la Guerre des Juifs (II, vu, 3), il dit qu'Archélaùs
1.
prendre possession de ses biens et faire le recensement de la Judée. Or ce recensement se lit l'an 37 depuis la bataille d'Ac-tium1, c'est-à-dire du 2 septembre 769 au 2 septembre 760 de Rome (l'ère actiaque datant du jour même de la bataille d'Ac-tium, 2 septembre 723 de Rome). Archélaûs est-il resté sur le trône jusqu'au delà du 1er nisan (seconde moitié de mars) de l'an 760, auquel cas cette année lui sera imputée? Cela est douteux; car il paraît difficile de placer, dans les cinq mois qui restent pour terminer l'année actiaque, et l'accusation du prince, et sa déposition, et l'envoi de Quirinius, et tout le travail du recensement, qui, cette fois, dut triompher d'une révolte. Archélaûs fut donc probablement dépossédé plus tôt, et, par conséquent, sa dixième année n'a dû compter que du ier nisan 759. C'est ce que confirme Dion Cassius, quand il dit qu'il fut envoyé en exil sous le consulat d'iEm. Lépidus et d'Arunlius Népos, consuls de janvier à juillet l'an de Rome 7592. Il a donc dû commencer en 750 et postérieurement au 1e1 nisan, commencement de l'année juive, puisque cette an­née, qui lui est rapportée comme première, compte en même temps pour la dernière d'Hérode.
On arrive aux mêmes conclusions par les textes qui se rap­portent aux règnes d'Hérode-Antipas et de Philippe.
Philippe est mort l'an 20 de Tibère, après trente-sept ans de règne. Or le commencement du règne de Tibère date de la mort d'Auguste, 19 août de l'an de Rome 767 (i4 de l'E. V.)3
3 Ou peut-être seulement de son apo­théose, 17 septembre suivant. (Voyez Ta­cite, Ann. I, 11 et 12.) On peut estimer, en effet, que Tibère voulut dater son règne de ce jour où il parut se rendre malgré lui aux instances du sénat, d'après ce que dit Tacite : «Dahat et famae, ut vocatus
fut envoyé en exil la neuvième année de son règne; mais un passage du livre de sa Vie, § 1, prouve qu'Archélaûs avait com­mencé sa dixième année.
1 Jos. Ant. XVIII, 11, 1.
3 Dion. Cass. LV, 27. Voyez Patril. /. I. S /10.
et, par suite, sa vingtième année commence au 19 août 786 de Rome (33). Philippe est donc mort du 19 août 786 au 19 août 7 8 7 de Rome ; selon qu'il est mort avant ou après le 1er nisan, la trente-septième année de son règne aura compté du ier nisan 786 ou du 1er nisan 787, et, par conséquent, la première, du 1er nisan 75o ou 751. 11 y a ici une année d'incertitude1; mais l'incertitude, déjà levée par ce que nous avons vu d'Archélaûs, ne l'est pas moins par ce que nous allons dire d'Hérode.
Hérode-Antipas, en effet, a été envoyé en exil vers l'été de l'an 792 de Rome (39 de l'E. V.). Gela résulte des circonstances qui amenèrent sa disgrâce. Agrippa avait reçu de Cali gula la tétrarchie de Philippe avec la royauté, dès l'avènement de ce prince à l'empire, en 790 (37)2; mais il n'alla dans son royaume que vers l'automne de l'année suivante3, et ce fut après son retour qu'Hérode, poussé par l'ambition d'Héro-diade à solliciter de Caligula la même faveur, vint le trouver à Baïes, où il reçut de l'empereur, déjà prévenu par les dé­nonciations d'Agrrppa, au lieu de la couronne qu'il convoitait, l'ordre d'aller en exil4. Hérode n'avait pas dû se mettre en mer avant le printemps de 792 (39), et Caligula quitta Baïes en septembre de cette année, pour n'y plus revenir qu'après le
« electusque potius a República viderelur, « quam per uxorium ambitum et senili n adoptione irrepsisse. » [Ann. I, 7.) Néan­moins , pour charger moins le calcul, nous le compterons, selon l'usage ordi­naire, de la mort d'Auguste.
1 Sanclemente a montré de plus que des médailles rapportent la fondation deCé-sarée de Philippe (Panéas) à l'an de Rome 75i; une médaille de Caracalla prouve qu'elle n'est pas antérieure à cette année, et une autre d'Aquila Sévéra qu'elle n'est
pas postérieure à 762 et même qu'elle est de 701. Or la fondation de Césarée est des premières années du gouvernement de Philippe.
2 Jos. Ant.XVlll, vi, 10; Phil. C.Flac-cum, t. I, p. Ô2i (edit. 17A2).
3 Caligula lui conseilla de profiter des vents étésiens, qui ne commencent que le 20juillet, selon Pline [H. Nat. II, xlvii, 2), ou le 10 août, selon Columelle (XI, 2).
1 Jos. Ant. XVIII, vi, 11; vu, 2; B. Jad. II, ix, 6.
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mois d'août 793 (4o), époque où l'on voit qu'Agrippa avait déjà reçu la part d'Hérode Hérode avait donc été envoyé en exil, dans l'été précédent (792 de Rome, 39 de l'E. V.). Or on a plusieurs de ses médailles portant la sigle l mt, c'est-à-dire l'an 43, ce qui ne peut s'entendre que des années de son règne2. La quarante-troisième année de son règne commence donc, au plus tard, au mois de nisan de Tan 792 (39), et, par conséquent, la première au icr nisan de l'an de Rome 760 (4 av. l'E. V.), et l'on ne peut la faire commencer pi us tôt, puis­qu'on toucherait à la trente-sixième année d'Hérode l'Ancien.
Il résulte donc de cet ensemble de preuves que l'an jSo de Rome (4 av. l'E. V.) est tout à la fois la dernière d'Hérode et la première de ses fils, selon la coutume des Juifs de compter l'année commencée, et de l'imputer tout à la fois au roi mort et à son successeur. Les données de Josèphe offrent même le moyen de déterminer d'une manière plus précise comment, dans la réalité, cette année commune se partagea entre eux.
Hérode mourut à une époque rapprochée de la Pâque: Ar-chélaus achevait le septième jour du deuil de son père, quand la fête commença; et ce fut après, seulement, qu'il partit pour Rome, afin de connaître les intentions d'Auguste sur la Pales­tine3. Il ne s'agit donc point de la Pâque de l'an 751 : car alors le règne d'Archélaûs ne daterait que du mois de nisan de cette année, et nous avons vu que cela ne s'accorderait plus avec la durée de ce règne. C'est la Pâque de 75o; et Hérode, qui vi­vait au premier jour de nisan, puisque cette année lui est en­core comptée, était mort sept jours au moins avant la fêle, qui
1 Suet. Calig. 17, 43, 46, 49; Phil. De légat. 1.1, p. 572, et 5g3 ; Jos. Ant. XVIII, vin ; C Jud. II, x, et sur ces passages No-ris, Episl. de numo Herodis Antipœ; Sancle-menle, /. I. c. 1, et Patrit. 1. I. S. 43.
2 Voyez Noris, Sanclemente et le P. Pa­trizzi aux endroits ci-dessus désignés, et la noie 3 à la fin de ce mémoire.
3 Jos. Ant. XVII, vin, 4; ix, 1, 23; B. Jud. II, 1, 1, 2 et 3.
commence le 14 de ce mois. Le ier nisan était le 27 mars : il mourut donc du 28 mars au 2 avril jbo de Rome (4 av. l'E. V.).
Une circonstance rapportée par Josèphe achève de détermi­ner cette date.
Hérode, peu de temps avant sa mort (cela résulte de toute la suite du récit), avait fait brûler vifs Judas et Matthias, cou­pables d'avoir excité le peuple à enlever un aigle d'or qu'il avait placé au-dessus de la porte principale du temple1. C'est pour demander satisfaction de leur supplice que les amis des deux victimes vinrent trouver Archélaùs, au moment où il terminait par un festin solennel le septième jour du deuil de son père; et ils provoquèrent, pendant la fête, un mouvement populaire, dont Archélaùs eut grand'peine à triompher avant son départ. Or Josèphe dit que, la nuit où les deux séditieux furent mis à mort, la lune s'éclipsa2. Les calculs astronomiques montrent qu'il y eut, en effet, une éclipse de lune le 13 mars, à trois heures de la nuit, pour Jérusalem, en ybo de Rome, et il n'y en eut aucune avant Pâques, en 7513. L'année 7Ôo est donc bien l'année cherchée.
Hérode étant mort vers le commencement d'avril 750 de Rome (4 av. l'E. V.), Jésus-Christ, dont la naissance est rap­portée par une tradition fort ancienne au 2 5 décembre4, n'a pu naître plus tard que le 20 décembre 749- —Disons main­tenant qu'il n'a pu naître plus tôt que le 2 5 décembre 747.
En effet, l'édit de recensement général a dû être postérieur à la pacification du monde, marquée par la fermeture du temple de Janus. Or cela n'arriva qu'au milieu de l'été de l'an 746
p. 3g i et la note 4 à la fin de ce mémoire.
4 Petau, Doclr. Temp. XII, 7; Magnan, 1.1, prop, iv, S 4, p- 268; Sanclem. I. l.YV, 7, p. 44g; Patrit. III, xxi, et la note 5 à la fin de ce mémoire.
1 Ant. XVII, vi, 2-4; B. Jud. I, xxxiii, 2-4.
2 Ant. XVII, vi, 4.
3 Voyez Patrit. De Evang. III, xxxv, 48 et Ideler, Handb. der math. Chron. t. II,
de Rome (8 av. l'E. V.)1 Qu'on le rapporte à cette même date : Auguste aura Lien pu encore, en cette année, faire le recen­sement des citoyens et clore le lustre, comme on le voit dans l'inscription d'Ancyre; mais il n'est pas probable que le recen­sement ordonné ait été immédiatement commencé partout en même, temps, et il n'est pas possible qu'il l'ait été en Judée dès la fin de cette même année2. Il faut donc le rapporter au plus tôt à l'année suivante, et ainsi la naissance de Jésus-Christ doit se fixer au 2 5 décembre de l'une de ces trois années 747, 748 ou 749 de Rome (7, 6 ou 5 av. l'E. V.).
Pour exclure l'an 749, on avance que la date serait trop rap­prochée de la mort d'Hérod,e. Entre la naissance du Sauveur et la mort du roi se rangent l'adoration des Mages, la fuite en Egypte, le massacre dés Innocents. Or on allègue le temps qu'il a fallu aux Mages pour se rendre en Judée; on allègue l'ordre d'Hérode qui fit massacrer tous les enfants au-dessous de deux ans, « d'après le temps de l'apparition de l'étoile, dont il s'était enquis aux Mages3. » Mais, quant au premier point, on argumente de l'inconnu. Qui sait d'où sont venus les Mages? Qu'ils soient venus de près, ou que, venant de loin, ils aient été prévenus à l'avance, rien n'empêche de croire qu'ils soient arrivés treize jours après la naissance de Jésus-Christ4, ou tout au moins un peu avant la présentation au temple; car le jour de l'Epiphanie n'est pas nécessairement l'anniversaire de leur adoration. La fête de l'Epiphanie célèbre tout à la fois la triple manifestation du Sauveur dans l'adoration des Mages, à son
1 Voyez, pour lout ce qui regarde l'édit d'Auguste et son exécution en Judée, les preuves que nous en avons réunies dans l'ouvrage auquel ce mémoire se rattache : De la croyance due à l'Evangile, part. II, ch. m (Paris, i858).
2 Voy. la note 6 à la fin de ce mémoire.
3 Magnan, /. /. prop. il et m; Sanck-mente, l. I. IV, 5, p. 442.
4 C'est l'opinion de saint Augustin; De Cons. Evang. II, S 23, t. III, p. i3o5 (Paris, i836).
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baptême et aux noces de Cana : et de ces trois faits, deux au moins, le Baptême et le miracle de Cana, ne sont pas du même jour, puisqu'ils sont de la même année -, Quant aux saints In­nocents, ce serait mal connaître Hérode, et faire plus hon­neur à la modération, si je puis le dire, qu'à l'habileté de sa cruauté, que de regarder les limites d'âge marquées au mas­sacre comme indiquant les limites exactes du temps de la naissance de Jésus-Christ. Tant de précision eût offert trop de chances de salut à l'objet de ses craintes. Un homme ca­pable d'un pareil ordre ne se faisait pas, sans doute, scrupule de doubler le nombre de ses victimes, pour donner plus de sécurité à son ambition menacée2.
Il n'y a donc pas, à vrai dire, de raison spéciale contre l'an 7^9 (5 av. l'E. V.); y en a-t-il pour l'une des deux autres an­nées? Sanclemente et plusieurs autres chronologistes se sont prononcés pour l'an 747 (7 av. l'E. V.), en se fondant sur un passage de Tertullien, qui l'apporte à Saturninus le recensement pendant lequel Jésus-Christ est né à Bethléem. Or Saturninus, investi du gouvernement de la Syrie en 744 (10 av. l'E. V.), en a dû sortir avant l'automne de l'an 748; car on a une mé­daille d'Antioche portant le nom de Varus son successeur, avec la sigle l ek, c'est-à-dire l'an 2 5 de 1ère actiaque3; et cette année, pour les habitants d'Antioche, finit au mois d'octobre 748\ Si Jésus-Christ est né le 2 5 décembre, pendant le re-
1 Sanclem. c. vu, p. 454. et la note 7 à la fin de ce mémoire.
2 Tillemon t, toul en reconnaissant qu'Hé-rode est mort au printemps de l'an 750 de Rome (4 av. l'E. V.), adopte le a5 dé­cembre 749 (5 av. l'E. V.) pour l'année de la naissance de Jésus-Christ. (Mém. pour servir à l'hist. Eccl. t. I, note 4 sur Jésus-Christ, p. 420. )
Sur les années de Jtsus-Christ.
3 ANTIOXEQN Eni OYAPOY EK.
Voyez Magnan, /. I. prop. 1, s 3, p. 44; Sanclemente, l. LUI, 3, p. 346; Lardner, Credib. of the Gospel, II, in, 1; 1.1, p. 35g.
4 Les habitants d'Antioche comptaient l'ère actiaque non de la bataille d'Actium, mais de la soumission de l'Egypte, qui sui­vit de quelques mois. C'est ainsi que cette ère, rapportée au commencement de leur
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censément, ce recensement, exécuté sous la direction supé­rieure de Saturninus, se doit donc rapporter à l'an 747. Ce témoignage a paru d'autant plus concluant, que Tertullien n'a pas pu citer Saturninus pour le besoin de son système chro­nologique. Selon lui, au contraire, Jésus-Christ est né l'an de Rome 751. De plus, en le nommant, il renvoie aux archives de l'empire, et il les invoque dans un ouvrage où il accuse Mar-cion d'altérer les Ecritures, et où il devait, par conséquent, prendre garde d'être trouvé lui-même en défaut1. On a fait re­marquer encore que l'ange, dans saint Matthieu, lorsqu'il rap­pelle d'Egypte la sainte famille, dit à Joseph : «Ceux-là sont morts qui en voulaient à la vie de l'enfant. » Ce pluriel (s'il n'est emphatique) doit désigner, avec Hérode, Antipater, qu'Hé-rode lit mettre à mort cinq jours avant de mourir lui-même. Il impliquerait donc qu'Antipater avait été complice du mas­sacre des Innocents, et en reporterait le temps à une époque antérieure à son voyage à Rome, quand il avait encore toute influence sur l'esprit du roi, avant l'été de l'an 748 de Rome. Ajoutez que si le recensement dont il s'agit doit se chercher dans le serinent prêté par toute la nation, dont a parlé Josèphe, c'est ce même temps qu'il désigne : il eut lieu pendant le gouver­nement de Saturninus et avant le départ d'Antipater pour l'Ita­lie, c'est-à-dire, selon toute apparence, vers la fin de l'an de Rome 7472- Enfin ceux qui rattachent l'étoile des Mages à la conjonction de Jupiter et de Saturne dans le signe des Poissons sont ramenés aussi à l'an 747. Kepler, qui eut la première idée
1 Magnan, î. I. prop. iv, § 2, p. 263; Sancl. I.1. IV, 5, p. 435; 6, p. 443, et 7, p. 448; Patrit. De Evang. III, xvm, n° 23, p. 168, et notre livre De la croyance due à TEvangile, p. 317.
2 Sancl. 1.1.5, p. 437-44o, et 7, p. 456.
année civile, datait pour eux, non de la fin d'octobre 722 de Rome (selon l'usage de remonter au premier jour de l'année cou­rante) , mais de la fin d'octobre 723. ( Voy. Sanclemente, De Vulg. œrœ emendat. II, vu, p. 229.)
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de ce calcul, avait fixé l'année de la naissance de Jésus-Christ à l'an 7^8, tant à cause des tables imparfaites dont il faisait usage, que parce qu'il voulait joindre au phénomène dont les Mages durent être frappés la présence de Mars dans la même région du ciel, vers les premiers mois de cette année1. Ideler, reprenant l'opération avec les tables de Delambre, est parvenu à des résultats plus exacts. D'après ses calculs, il y eut une première conjonction de Saturne et de Jupiter le 20 mai au 2 0° des Poissons, les deux planètes se montrant alors avant le lever du soleil à l'orient du ciel. Au mois de septembre elles furent en opposition avec le soleil, Saturne le 13 et Jupiter le 15 ; elles étaient alors éloignées de ~ et se trouvaient sur le retour, tendant à se rapprocher. Elles se rencontrèrent de nouveau le 27 octobre dans le i des Poissons, et une troi­sième fois quand Jupiter reprit son mouvement vers l'est, le 12 novembre, dans le i5° du même signe. C'est alors, dit Ide­ler, que les Mages se mirent en route, et, arrivant en Pales­tine, ils trouvèrent Jésus né à Bethléem au mois de décembre qui avait suivi la dernière conjonction2. Ce calcul trancherait la question en faveur de l'année 747 de Rome (7 av. l'E. V.), si le fondement qu'on lui cherche en saint Matthieu, c'est-à-dire ce rapport de coïncidence ou d'identité de l'étoile des Mages avec la conjonction des deux planètes se trouvait incontesta­blement établi. Les autres raisons ont par elles-mêmes de la valeur; mais, avant de les accepter comme décisives, il faut voir en quel rapport la date, ainsi déterminée, se trouve avec les autres données chronologiques de l'Evangile.
Saint Luc (m, 1) dit que la mission de Jean-Baptiste com­mença en la quinzième année de Tibère; et quand, le peuple venant en foule à son baptême, Jésus-Christ voulut lui-même
1 Kepler, De anno nat. Chr. xn, p. i35. —2 Ideler, Handb. der math. Chron. p. 4o6.
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s'y soumettre, l'évangéliste ajoute (m, 2 3) qu'il avait « environ trente ans. »
Ces nombres, rapprochés des précédents, ont donné lieu à divers systèmes. Le règne de Tibère datant de la mort d'Au­guste, 19 août 767 de Piome (14 de l'E. V.), sa quinzième année court du 19 août 781 au 19 août 782 (28-29). Le baptême de Jésus-Christ ne paraît pas avoir eu lieu plus d'un an après le commencement de saint Jean-Baptiste. Qu'on prenne les choses au sens le plus favorable, qu'on place la prédication de saint Jean-Baptiste dans le commencement de la quinzième année de Tibère, et le baptême de Jésus-Christ dans les pre­miers mois de la prédication de saint Jean, soit au 6 janvier (fête de l'Epiphanie) de l'an 782, et qu'on lui donne environ trente ans alors, dans le sens le plus étroit du mot, il sera né le 2 5 décembre 761 ; mais Hérode était mort dès le mois d'avril 7 5o. Quelque chose est donc à modifier dans cette interprétation.
Plusieurs clironologistes, et après eux le P. Patrizzi, ont soutenu que la quinzième année de Tibère ne se doit point compter de la mort d'Auguste, mais de son association à la puissance tribunicienne, ce qui arriva dans le temps qui suivit ses victoires sur les Germains et son triomphe à Rome, au commencement du consulat de Germanicus et de Fontéius Capiton, l'an 765 de Rome (12 de l'E. V.); et le P. Patrizzi re­porte même la première année de l'empire de Tibère ainsi comptée au 1er tisri (octobre) 764, prétendant que les Juifs, qui dataient du 1er nisan, commencement de l'année sacrée, les an­nées de leurs rois, dataient du 1" tisri, commencement de leur année civile, les années des rois étrangers : ce qu'il ne justifie d'ailleurs par aucun exemple. Dans ce système, la quin­zième année de Tibère commence donc en octobre 778 (25 de l'E. V.) ; et si l'on place le baptême de Jésus-Christ au commen-
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cernent de la mission de Jean-Baptiste, il n'aurait encore, en le supposant né le 2 5 décembre 747, qu'environ trente et un ans1.
Disons-le pourtant : ce système, qui semble avoir pour objet de concilier le texte de saint Luc avec le temps de la naissance de Jésus-Christ, a bien plus encore en vue l'époque de sa mort, rapportée par une ancienne tradition au consulat des deux Géminus (C. Fufius Géminus et L. Rubellius Géminus), en l'an de Rome 782 (2odei'E. V.). Mais Sanclemente, qui adopte pour­tant cette tradition sur le temps de la Passion du Sauveur, n'hésite pas à repousser une interprétation aussi forcée du texte de saint Luc. En considérant l'usage universel et les circons­tances de l'avènement de Tibère, il lui paraît impossible d'en­tendre l'empire de ce prince autrement que de son avènement au pouvoir après la mort d'Auguste. Qu'on en juge par les textes mêmes.
Tacite, il est vrai, dit que Tibère fut le collègue d'Auguste dans Yimperium et dans la puissance tribunicienne, collega im-perii, consors tribunitiœpotestalis^; mais ce dernier titre n'exprime qu'un des pouvoirs d'Auguste dans la ville, et l'autre, son pouvoir hors de la ville; ce que Velléius explique en disant « qu'il reçut les mêmes droits qu'Auguste et dans les provinces et dans les armées3;» et Suétone, «le droit d'administrer les
1 Patrit. De Evang. III, xxxix. — Cf. Hervvaert, Nova et vera chronol. c. xxiv, 8 ; Usser. Ann. A. M. 4oi5; Leclerc, Diss, de ann. vitœ Chrisli; Prideaux, Hist, des Juifs, 1. XVII, ad A. D. 12; Pagi, Critic, in Ba­ron. A. Chr. 11, 71, 117, 1^7, et Lardner, qui cite et résume particulièrement les ar-arguments de Pagi [Credib. II, m, 12, p. 372 et suiv.). Voyez encore La Nauze et La Barre, Hist, de l'Acad. des Inscr. t. IX, p. 96 et io4; et Gibert, Mém. de l'Acad. t. XXVII, p. 106.
2 «Drusoque pridem etstincto, Nero «solus e privignis erat; illuc cuneta ver­il gere : filius, collega imperii, consors 11 tribuniciae potestatis adsumitur, om-11 nesque per exercitus ostentatur. » [Ann. I, 3.)
1 « Senalus populusque Romanus (pos-«tulante paire ejus) ul aequum ei jus in « omnibus provineiis exercilibusque esset, « quam eral ipsi, decreto complexus...» (Vellei. II, 121.)
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provinces en commun avec Auguste1. » Or ces pouvoirs, par­faitement définis, ne lui conféraient point encore cette chose que la prudente politique du fondateur de l'empire avait laissée vague à dessein, et qui n'en était pas moins le rang suprême; chose nouvelle, ou si l'on veut renouvelée, qui, ne pouvant se définir que par un nom odieux, se cacha d'abord, et se per­pétua depuis sous ce nom de respect, accepté par l'ancien triumvir, quand il abandonna son nom d'Octave pour se laisser appeler Auguste. Tacite a-t-il jamais pu entendre que Tibère ait, dès ce moment, commencé de régner? Mais alors pourquoi voit-on dans son récit le peuple romain, pendant les derniers jours d'Auguste, partagé entre les espérances du changement et la crainte des nouveaux maîtres dont on était menacé2? Pourquoi voit-on Livie, redoutant pour son fils le jeune Agrippa, relégué dans l'exil; « la même renommée apprenant qu'Auguste est mort et Tibère maître du pouvoir3; » Agrippa mis à mort, « premier crime du nouveau principatk; » les sénateurs se ruant dans la ser­vitude, et composant leur visage « de peur de paraître joyeux de la mort du dernier prince, ou trop tristes en ce commencement, » ne lœli excessu principis, neu tristiores primordio5 ; Tibère écrivant aux armées comme s'il avait reçu le principat, mais se con­duisant tout autrement à l'égard du sénat, «parce qu'il vou­lait qu'on dît qu'il avait été appelé au pouvoir par le choix de la république, et non qu'il s'y était glissé parles intrigues d'une femme auprès de son mari, et par l'adoption d'un vieillard6? »
1 «A Germania in Urbem, post bien-«nium regressus, triumphum, quem dis-«tuìerat, egit... Ac non multo post, lege « per cónsules lata, ut provincias cum Au-« gustocommuniter administraret simulque « ensum ageret, condilo lustro, in Illyri-» cum profectus est, » (Suet. Tib. xx, xxr.)
2 Tac. Ann. I, k-
3 Id. ibid. 5.
1 o Primum facinus novi principatus.» {Id. ibid. 6.)
5 Id. ibid. 7.
6 «Tanquam adepto principatu, etc.» {Id. ibid.)
Et la scène qui se passe dans le sénat entre Tibère et les membres de cet ordre prouve bien que personne, pas plus que lui, ne se croyait en l'an 3 de son règne. On le presse, il refuse; il dit que le génie seul du divin Auguste a pu suffire à un tel fardeau; que lui-même, appelé à partager ses soins, a pu ap­prendre par expérience combien difficile et soumise à la for­tune était la charge de tout régir; que dans un Etat soutenu de tant de noms illustres, ils feraient bien de ne pas tout re­mettre à un seul. Alors gémissements, larmes et prières des sé­nateurs, qui n'ont qu'une peur, c'est de paraître le comprendre. L'un s'écrie : « Si vous ne voulez de la république tout entière, dites quelle part vous en voulez, » et il s'empresse de couvrir cette hardiesse par des paroles serviles ; un autre : « Jusques à quand souffrirez-vous que la république demeure sans tête? » Enfin, las de ces cris et de ces prières, il cède peu à peu, sans déclarer qu'il accepte l'empire, cessant plutôt de le refuser2. Quoi de plus expressif que ce tableau, si ce n'est peut-être la manière dont Velléius Paterculus et Suétone le résument : « Il y eut pourtant, dit Velléius, un combat dans la ville, le sénat et le peuple luttant contre César pour le contraindre à succéder au rang de son père3. » — « Enfin, dit Suétone, il reçut l'em­pire comme cédant à la force, et gémissant d'une si pénible et si pesante servitude 4. »
Pour clore par des preuves décisives toute cette argumen­tation, Sanclemente invoque l'autorité des médailles. Tibère avait la puissance tribunicienne pour la seizième fois quand mourut Auguste: sur toutes les médailles qui précèdent, il
1 Tac. Ann, I, 7.
2 Idt ibid. 1 i-i3.
3 « Una tamen veluti luctatio civila-« lis fuit, pugnanti» cum Caesare sena-« lus populique romani, ut stationi pa-
ci ternse succederei » (Veli. Pat. II, ia4-) 4 «Tandem quasi coactus et querens « miserai» et onerosam injungi sibi servi-« tutem, recepit imperium. » (Suet. Tib.
xiv.)
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porte le titre de César et de fils d'Auguste; sur celles qui suivent seulement il prend pour lui-même le nom d'Auguste, qui est, nous l'avons vu, le signe de l'empire1. De plus, dit encore Sanclemente, de toutes les médailles latines ou syriennes du règne de Tibère, il n'y en a pas une qui lui donne un autre commencement que la mort d'Auguste, et plusieurs établissent expressément celui-là. Ainsi des médailles frappées à Antioche et à Séleucie, sous le gouvernement de Silanus, portent les nombres a em, r zm, c'est-à-dire 1 et 45; 3 et 47 : le premier chiffre est l'année de Tibère; le second, celle de 1ère actiaque. Or, la bataille d'Actium datant de l'an 723 de Rome, la 45e année, liée sur la médaille à la première de Tibère, com­mencera en l'année 7 6 7 de Rome ou 14 de l'E. V. qui est l'année où mourut Auguste. C'est donc bien de la mort d'Auguste que datent les années de Tibère pour les provinces comme pour Rome, et notamment pour la Syrie, d'où était saint Luc2.
L'an 15 de Tibère doit donc être entendu, au sens vulgaire, de sa quinzième année depuis la mort d'Auguste, du 19 août 781 au 19 août 782 de Rome (28-29 de l'E. V.3) ; et l'interpré­tation doit porter sur ce que dit saint Luc, à savoir que Jésus-Christ avait, quand il fut baptisé, « environ trente ans. »
Cette expression se doit prendre au sens le plus large : c'est
pend. p. 515 et la note 8 à la fin de ce mémoire.
3 Le P. Patrizzi, qui, en datant la ren­trée triomphale de Tibère à Rome et le commencement de son association du com­mencement de l'an de Rome 765, prétend que l'on compta ses années de la neomenie de tisri 764 chez les Juifs, ou de la neome­nie de dius 764 à Antioche (De Evang. III, xxxix, n° 4), avait pourtant reconnu que postérieurement à Auguste, jusqu'à la
1 Comparez, par exemple, ces deux mé­dailles, l'une de l'année qui précéda la mort d'Auguste, portant, tj. c^esar aug. f. tr. pot. xv, et de l'autre côté, ctesarau-
GUSTDS DIVI f. PATER PATRICE; l'autre de
l'année suivante, Auguste étant mort, ti. césar Divi aug. f. AUGUSTOs; et au revers, 1MP. vu tr. pot. xvi, et toutes les médailles antérieures ou postérieures à celte époque, ap. Eckhel, D. Num. t. VI, p. 18Д-198. * Sanclemente, Deanno Dom. pass. ap-
de droit pour les nombres décimaux, selon Kepler1, et, à son avis, les mots « environ trente ans » peuvent se dire d'un homme qui a plus de vingt-cinq ans et moins de trente-cinq. Ajoutons que, selon quelques interprètes, le véritable objet de saint Luc, en ce passage, est non de fixer une époque dans la ri­gueur des termes, mais d'établir que Jésus-Christ, en com­mençant son ministère, avait passé l'âge sacerdotal, qui était de trente ans2. En l'an 15 de Tibère, c'est-à-dire l'an de Rome 781-782, Jésus-Christ aurait donc eu de trente-quatre à trente-cinq ans, si on le suppose né le 2 5 décembre 7 A 7, et de trente-deux à trente-trois ans, s'il est né seulement en l'an de Rome 7^9. Nous inclinerions de préférence vers le terme qui s'é­loigne le moins du nombre rond donné par l'évangéliste; mais, puisque le témoignage de Tertullien, puisque le passage de Josèphe sur le serinent prêté par toute la nation, passage où l'on s'accorde à voir une allusion au recensement, nous re­porte au gouvernement de Saturninus, il convient peut-être, saint Luc n'étant pas un obstacle, de se déterminer, avec San­clemente et la plupart des chronologistes les plus modernes, pour le 2 5 décembre 7^7- Nous ne parlons pas du système de Kepler et d'Ideler, dont les calculs, si la base historique en était bien prouvée, placeraient cette date hors de toute dis­cussion.
Cette manière d'entendre la quinzième année de Tibère, qui
mort d'Adrien, on comptait tes années des empereurs du jour de leur avènement, et que c'était notamment la coutume d'An­tioche. (De Evang. III, xix, n" 28.)
1 De anno nat. Chr. xn, p. i<io-i/ii. Il en serait tout autrement s'il avait dit « en­viron vingt-neuf ans : » ici l'approximation ne comporterait que des mois. (Cf. Ma-Sur les années de Jésus-Christ.
gnan, De anno nat. Chr. prop. iv, cor. 17, p. 358.)
2 Huschke, Vêler den Census, etc. II, p. 98. Casaubon rappelle aussi que l'âge sacerdotal était de trente ans et que saint Luc, par son terme d'approximation (àxjei), semble marquer plus de trente ans. (Exerc. in Baron, xiii, 9, p. 25o.)
3
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est la plus naturelle à coup sûr, est celle aussi dont l'enten­daient généralement les anciens. Lorsque, dans les quatre pre­miers siècles, la naissance de Jésus-Christ était invariablement rapportée, quels que fussent les termes de la supputation, par les uns (saint Irénée, Tertullien, saint Jérôme, saint Jean Chrysostome) à l'an 751 de Rome (3 av. l'E. V.); par les autres (saint Hippolyte, Clément d'Alexandrie, saint Epiphane, Eu-sèbe), àl'an 762 (2 av. l'E. V.1), c'estquetous comptaient, dans les trente ans dont parle saint Luc, quinze années d'Auguste et quinze années de Tibère, sans confusion des unes avec les autres; c'est-à-dire que tous fixaient la quinzième année de Tibère en l'an 781-782 de Rome (la quinzième depuis la mort d'Auguste), d'où ils arrivaient, par le retranchement pur et simple des trente ans, en nombre rond, donnés au Sauveur pour l'époque de son baptême, à l'unedes deux années énoncées (751 ou 7 5 2 de Rome) : ils obtenaient l'une ou l'autre selon qu'ils plaçaient sa naissance avant ou après le 1" janvier (2 5 dé­cembre ou 6 janvier), ou bien encore selon qu'ils rapportaient son baptême à la première ou à la seconde partie de l'an 15 de Tibère. Ce concert, qui est sans valeur quant à la vraie date de la naissance de Jésus-Christ, puisqu'il n'est que le résultat d'une soustraction dont un terme est notoirement trop faible (781 ou 782 moins 3o), prouve au moins qu'on n'entendait pas de deux manières ce qui était la base même du calcul, je veux dire l'an 15 de l'empire de Tibère.
Cette seconde date, une fois établie, doit entraîner la déter­mination de la troisième, celle de la mort de Jésus-Christ.
à la suite d'une dissertation très-étendue, où il a recueilli tous les textes (xix), offre le tableau de ces différentes opinions, p. 276.
1 Voy. Kepler, De anno nat. Chr. c. xiv; Sanclemente, De anno Chr. natali, IV, 9, p. ¿72; Ideler, Handb. der math. Chron. t. II, p. 385-386; et le P. Patrizzi, qui,
On a en effet, par saint Jean, une série de faits chronologi­quement liés entre le baptême et la mort de Jésus-Christ. Saint Jean nomme expressément trois Pâques dans le cours de la mission du Sauveur : l'une après le Baptême (n, 13), une autre au temps de la Multiplication des pains (vi, 4), et une dernière au temps de la Passion (xm, 1). Mais de plus, entre la première et la deuxième, il nomme une fête des Juifs, qui doit être une des grandes fêtes; car l'évangéliste dit qu'à cette occasion Jésus alla de Galilée à Jérusalem l. Or ce ne peut être ni la Pen­tecôte , ni la fête des Tabernacles qui suivirent la première Pâque mentionnée; car la fête de la Pentecôte tombe en mai ou juin (6 sivan), celle des Tabernacles en octobre (î 5 tisri) ; et en ce temps le Sauveur n'était pas même encore revenu en Galilée. Quand il y revint, traversant la Samarie, on était en décembre, à quatre mois du temps de la moisson, comme on le voit par ces paroles de Jésus à ses disciples : « Ne dites-vous pas : quatre mois encore et la moisson arrive?»2 Mais après le mois de décembre on ne trouve plus, avant la Pâque de l'année suivante, que la fête des Pnrim ou des Sorts; et, quoi qu'en dise le docteur Hug, cette fête ne paraît avoir ni une im­portance suffisante pour motiver un voyage de Jésus-Christ à Jérusalem, ni un tel caractère qu'elle ait été assez clairement désignée par le terme général de « fête des Juifs ». Une pareille expression ne convient qu'à la fête des Juifs par excellence, c'est-à-dire à la Pâque3. Il y eut donc une Pâque entre celle qui
ne se trouve pas dans les imprimés, parce qu'il manque dans la plupart des manus­crits ; mais on le trouve dans quelques-uns des plus anciens, et notamment dans notre fameux manuscrit palimpseste de saint Éplirem, f° 208 v°, 1. 10; dans les manus­crits 62 (P209)etZ18(P2i5)deParis. Et
1 MeTà raSra r/v eoprr; rùv IouSaiW, xai àvéSrj b irjaovs eîsïspoaôXvna. (Joann.w, i). * Joann. iv, 35.
s Voy. Hug, II, 6i.— Pour se refuser à trouver la fête de Pâque dans la fête des Juifs dont il est ici question, on objecte que le mot n'est pas précédé de l'article. L'article
3.
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suivit le baptême du Sauveur (n, i3) et celle qui fut célébrée au temps du miracle de la Multiplication des pains (vi, 4)1- La première Pâque est au plus tôt celle de l'an 2 9 de l'ère vulgaire (782 de Rome) ; mais si Jean-Baptiste n'a pas commencé sa pré­dication au commencement de cette année, si plusieurs mois se sont écoulés avant que Jésus vînt à son baptême, le baptême du Sauveur pourra n'avoir eu lieu qu'après la Pâque, et alors la première Pâque célébrée par Jésus-Christ dans l'Evangile ne sera que celle de l'an 3o (783). La dernière Pâque, celle de la Passion, sera donc celle de l'an 32 ou de l'an 33 (785 ou 786 de Rome). Laquelle choisir?
Cette année doit remplir deux conditions : l'une historique, l'autre astronomique. Il faut qu'elle tombe sous le gouverne­ment de Pilate; il faut qu'elle soit telle, que le jour de la mort du Sauveur, comme il est défini dans l'Evangile, se trouve être un vendredi.
La première de ces deux conditions est malheureusement beaucoup trop aisée à remplir. Pilate, en effet, gouverna pen­dant dix ans la Judée2; et, son départ n'ayant eu lieu qu'en l'an 35 au plus tôt (788 de Rome) et plus probablement en l'an 36, il y a place, on le voit, pour tous les systèmes. Il n'y a de gêne que pour ceux qui, rapportant la mort de Jésus-Christ au consulat des deux Géminus en l'an 29, donnent, comme il pa­raît naturel de le faire selon le texte de saint Jean, une durée de trois ans et demi à sa mission : car alors ils ne peuvent plus admettre l'an 26 pour le commencement de Pilate sans faire paraître Jean-Baptiste avant lui, contrairement au texte de saint Luc. Il est donc intéressant, à cet "égard, d'examiner la­quelle des deux années 2 5 ou 26 est la première de Pilate.
d'ailleurs il n'est pas absolument néces­saire pour justifier notre interprétation.
1 Voy. la note 9 à la fin de ce mémoire.
2 Jos. Ant. XVIII, iv, 2.
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On a, pour arriver à ce but, deux points de dépari différents : la destitution de Pilate, ou l'envoi de son prédécesseur; car on sait combien de temps l'un et l'autre sont restés en charge. « Tibère, dit Josèphe, ayant succédé à Auguste, envoya Valé-rius Gratus comme procurateur en Judée, et il y demeura onze ans l. » Tibère, nous l'avons vu, prit possession du pouvoir au mois d'août de l'an (767 de Rome). Si l'on suppose Valérius Gratus envoyé immédiatement en Judée, sa onzième année finira vers la fin de l'an 2 5 ; s'il n'est envoyé que dans le com­mencement de l'année suivante, elle finira l'an 26 : l'an 26 ou l'an 26 peut donc, d'après cette donnée, être admis in­différemment comme première année de Pilate, d'autant plus qu'avec la manière de compter de Josèphe lui-même il n'est pas facile de dire s'il entend que ces onze années de Valérius Gratus sont pleines ou seulement commencées.
Mais prenons l'autre point de départ, je veux dire la desti­tution de Pilate. Ici encore deux années sont possibles : ce sont celles qui précisément correspondent (Pilate ayant gouverné dix ans) aux deux années entre lesquelles la première déter­mination flotte incertaine, les années 35 et 36.
Il y a, d'après les textes qui ont trait à cette affaire, des faits sûrement établis et d'autres qui peuvent être débattus. Nous sa­vons par Tacite que Vitellius fut envoyé comme gouverneur en Syrie sous le consulat de C. Cestius et de M. Servilius l'an 788 de Rome (35 del'E. V.), et qu'il fit pendant deux étés la guerre chez les Parthes; nous savons par Josèphe qu'avant et après cette guerre il vint à Jérusalem au temps de Pâque : à la der­nière fois, il y était depuis quatre jours quand il reçut la nou­velle delà mort de Tibère, arrivée le 17 des calendes d'avril 7 902
1 Jos. Ant. XVIII, 11, 2. 2 Tac. Ann. VI, 3i, 32 et 38.
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(i6 mars 37). Voilà les faits certains. Voici maintenant ceux qui prêtent à la controverse. Avant de parler du premier voyage de Vitellius à Jérusalem, Josèphe raconte comment ce gouver­neur, ayant reçu les plaintes des Samaritains, destitua Pilate et lui ordonna d'aller se justifier devant Tibère; or il ajoute que, quand Pilate vint à Rome, Tibère était mort1. Josèphe a-t-il raconté la chose au temps qui lui est propre dans l'ordre de son récit? Alors Pilate, renvoyé en l'an 35 (788 de Rome) avait commencé de gouverner la Judée en l'an 2 5; et ce n'est plus lui qui fera obstacle à ce que l'on fasse commencer la prédica­tion de Jean-Baptiste en ce temps-là. Mais si Pilate a été ren­voyé de Judée avec l'ordre d'aller se justifier à Rome avant la Pâque de l'an 35 (788), comment n'y est-il pas encore arrivé avant le 16 mars de l'an 37 (790)? Est-ce là ce que Josèphe appelle sa soumission aux ordres de Vilellius, auquel il n'ose résister2? En vérité, si peu pressé qu'on le suppose d'af­fronter cette épreuve, on peut se demander s'il ne devait pas craindre de se compromettre davantage par des retards dont ses ennemis pouvaient si facilement abuser. Il faut donc choi­sir entre ces deux partis : ou Josèphe s'est trompé en disant que Pilate n'arriva qu'après la mort de Tibère, et l'erreur est capitale dans le récit; ou il a raconté son renvoi de Judée par une sorte d'anticipation, afin de le rattacher à l'événement qui le provoqua, et le P. Patrizzi reconnaît qu'on n'a rien à dire contre cette conjecture en elle-même3. C'est celle qui nous paraît la meilleure. Vitellius, saisi de la plainte des Samari­tains, non avant, mais immédiatement après son expédition
1 Jos. Ant. XVIII, iv, 3, et v, 3. La fêle de Pàque dut tomber celte année le 18 avril par l'intercalation d'un mois com­plémentaire.
3 Kai TliXâTOs, héxa êreaiv Siarpiif'as
STrilouSa/as, sis Vû(irjv ijiveîysTO, taisOU-TeXXioviseidô^evos èvToXaTs, ovx 6v àvTSt-tcsXv. [Ant. XVIII, iv, 2.) 3 De Evang. III, xl, là.
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chez les Parthes, donna ordre à Pilate de se rendre à Rome vers l'automne de l'an 36 (789 de Rome); et Pilate, qui, nous l'ac­cordons, ne se pressait pas trop d'arriver, y sera venu au printemps de l'an 37 (790 de Rome), après la mort de Tibère. Destitué en 36, après dix ans de séjour en Judée, il était en­tré en charge l'an 261.
Toutes nos dates s'établissent donc sans nul obstacle dans les limites du gouvernement de Pilate : Pilate était depuis quel­ques années gouverneur quand commença la mission de saint Jean-Baptiste; il fut quelques années encore gouverneur après avoir condamné Jésus-Christ. — Passons à la deuxième con­dition, et voyons si l'année où nous sommes conduits est telle, que le jour de la Passion, comme il est marqué dans les Evan­giles, tombe un vendredi.
Tous les évangélistes s'accordent sur un des caractères du fait qui est le point de départ de notre discussion, à savoir que Jésus-Christ fut crucifié et mis au tombeau le vendredi : « C'était, dit saint Marc, le jour de la préparation qui est avant le sabbat (ispoo,d€€a,Tov) ; » «et le sabbat allait commencer,» dit saint Luc (on sait que la journée commençait au coucher du soleil); et l'on voit que saint Matthieu et saint Jean ne l'en­tendent pas autrement2. Ils s'accordent donc sur le jour de la
« erat parasceves, et sabbatum illucescc-« bat. » (Luc. xxni, 54.)— « Alteraautemdie, « quae est post parasceven. » (Matth, xxvn, 62 ) Cet autre jour est le sabbat comme on le voit au ch. xxvin, v. 1.— « Vespere « aulem sabbati, quae lucescit in prima sab-abati. — Judeei ergo, quoniam parasceve « erat, ut non remanerent in cruce corpora « sabbalo : erat enim magnus dies ille sab-«bati. » (Joann. xix, 3i.)
1 Voyez, pour toute cette discussion, Sanclemente (De Ann. Dom. pass. p. 5a 1), qui se prononce pour l'an 26, et le P. Pa­trizzi, qui défend l'an a5 dans une disser­tation spéciale (De Evany. Ill, xl). Il me paraît avoir raison contre quelques argu­ments trop absolus de Sanclemente, mais avoir tort sur le fond même de la ques­tion.
3 «Quia erat parasceve, quod est ante « sabbalum. » (Marc, xv, 42.) — «Et dies
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semaine; mais ils paraissent différer sur le jour du mois. Les trois premiers évangélistes rapportent au premier jour des Azymes l'ordre de préparer la Pâque, ou plus exactement la dernière cène, qui est le commencement de la Passion1. Le quatrième, saint Jean, place la dernière cène «avant la fête de Pâque» (ante diemfestum Paschœ), et toute la Passion, «le jour de la préparation de la Pâque (erat autem parasceve Pas­chœ) ; c'est « afin de ne se point souiller et de pouvoir manger la Pâque » que les Juifs, qui amènent Jésus à Pilate, « n'entrent pas dans le prétoire » (et ipsi non introierunt in prœtorium, ut non contaminarentur, sed ut manducareni Pascha)2. Or on sait quelles étaient les cérémonies de la fête. L'agneau pascal était immolé le i/i nisan, sur le soir (ad vesperam)3 : et c'est pourquoi ce jour s'appelait la préparation de la Pâque. On le mangeait avec les pains sans levain, dans les premières heures de la nuit (nocte), quand commençait la journée du i5 : et c'était pro­prement le grand jour de la fête, le premier jour des Azymes, ou des sept jours pendant lesquels on ne devait faire usage que de pain sans levain. Le jour de la Passion paraît donc être, selon saint Jean, le i4, et, selon les autres, le i5 nisan. Le­quel est-il?
Les clironologistes et les commentateurs se partagent en
1 « Prima autem die Azymorum, acees-» serunt discipuli ad Jesum, dicehtes : Ubi « vis paremus tibi comedere Pascha ? » (Matth, xxvi, 17.) — « Et primo die Azy-« morum, quando Pascha immolabant, di-« cunt ei discipuli, etc.» (Marc, xiv, 12.) — « Venit autem dies Azymorum, in qua « necesse erat occidi Pascha, etc.« (Luc. xxii, 7.)
2 Joann. xiii, 1; xix, i4; xvm, 28.
s Exod. XII, 6. Le mot hébreu veut
dire entre les deux soirs. Les Pharisiens, dit Ideler, suivis par les Juifs d'aujourd'hui, entendaient par là l'espace compris entre la 9e et la 1 ie heure du jour, c'est-à-dire de 3 à 5 heures après midi. Les Samari­tains etles Raraïtes l'entendaient du temps qui s'écoule entre le coucher du soleil et la nuit close. (Ideler, Handb. der math. Chron. 1.1, p. 483. Voyez aussi Reland, Ant. sacrœ vet.Hebr. III, vi, 16.)
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deux camps sur ce point; et depuis si longtemps qu'ils dis­sertent, il ne reste plus guère qu'à se prononcer sur les argu­ments produits de part et d'autre.
Bochart, Reland, et, pour n'en point nommer beaucoup d'autres, en dernier lieu le P. Patrizzi, ont défendu la date du i5 nisan contre Paul de Burgos et le P. Petau, qui sou­tiennent celle du Us s'attachent à la donnée des trois pre­miers évangélisles : le premier jour des Azymes; et ils veulent y accorder les divers textes de saint Jean. Si saint Jean place la dernière cène « avant la fête de Pâque, » c'est, à leur sens, qu'il fixait le commencement de la fête au milieu de la nuit; soit qu'il la prît du moment où l'ange passa, frappant les premiers-nés des Égyptiens (ce qui était l'origine de l'institution)2; soit que, tout simplement, il comptât les jours à la manière des Piomains, rapportant à la veille ce qui, pour les Juifs, était le commencement du jour de la fête3. — Le mot de prépara­tion (z50Lç>0L<7KZ\)r)) désignait communément la préparation ou la veille du sabbat, le vendredi: qu'on le prenne ainsi dans saint Jean, et «la préparation de la Pâque,» à l'endroit qu'on a vu, ne voudra pas dire autre chose que le vendredi de la Pâque4. — Enfin le mot de Pâque s'appliquait non pas seu­lement à l'agneau pascal, mais encore à d'autres victimes que l'on immolait pendant les jours de la fête 5 : si donc il est
1 Bochart, Hierozoion, I, n, 5o; Re­land, Anliq. sacrœ veterum Hebrœorum,W, m, g-i 1 ; Patrit. De Evang. III, l; Petau, Doctr. temp. XII, l5 et 16, t. II, p. 242 et suiv.
2 «Factum est autem in noctis medio, « percussil Dominus omne primogenitum « in terra yEgypli. » (Exod. xn , 29.)
" Reland, IV, m, 11; Patrit. III, L, 23. * Reland, ibid. Patrit. ibid. 3o-42. Sur les années de Jésus-Clirist.
s Reland, ibid. Patrit. ibid. 27. lis citenl Dent, xvi, 2 : « Immolabisque Phase Do-« mino Deo tuo de ovibus et de bobus, » etc. et Chron. II, xxx, 22-24, et xxxv, 8 et 9 : « ...Dederunt sacerdotibus ad faciendum « Phase pecora commixtim duo millia sex-
0 centa et boves trecentos.....Dederunt
« caeleris levilis ad celebrandum Phase « quinque millia pecorum et boves quin-« genlos. »
&
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dit que les Juifs n'entrèrent point dans le prétoire, « de peur de se souiller et de ne pouvoir plus manger la Pâque, » il faut l'entendre de ces autres victimes. L'agneau pascal était mangé dès la nuit précédente par les Juifs comme par Jésus-Christ1.
Tel est le système qui fixe la Passion au 15 nisan. Il prend pour hase le témoignage des trois premiers évangélistes en­tendu à la lettre, et n'a d'autre souci que de le défendre contre les inductions tirées de saint Jean. Mais, sur ce point, peut-on dire qu'il donne toute satisfaction? Quand saint Jean place la dernière cène «avant la fête de Pâque, » peut-on entendre qu'elle eut lieu le jour de la fête de Pâque? Dans toutes les manières de compter la journée, le grand jour de la fête, c'est le jour où l'on mangeait l'agneau pascal. Qu'on appelle le ven­dredi jour de la préparation; qu'on appelle Pâque les victimes, autres que l'agneau pascal, immolées clans le cours de la fête, nous le voulons : mais lorsque l'Evangéliste parle ici de la «préparation de la Pâque,» lorsqu'il rappelle la crainte des Juifs «de ne pouvoir manger la Pâque,» le sens naturel des mots ne veut-il pas qu'on l'entende de la préparation, c'est-à-dire de la veille de la Pâque et de la victime sacramentelle de la Pâque? et n'est-ce pas faire trop de violence à son texte que de détourner de leur acception première tous les termes par lesquels il a voulu fixer ainsi le temps de la Passion? Tout se tient, en effet, dans le récit de saint Jean. Jésus fait la cène «avant la fête de Pâque» (xm, 1); les Juifs qui l'amènent à Pilate évitent d'entrer au prétoire, « afin de pouvoir encore manger la Pâque» (xvin, 28); et ce jour est la préparation de la Pâque (xix, C'est le jour de la préparation ou la veille
1 Patrit. De Evang. III, l, 28 et 29.
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du sabbat; mais c'est aussi la veille de la Pâque: « car ce jour de sabbat était grand, » dit l'évangéliste\ grand par la coïn­cidence du jour de la Pâque et du jour du Seigneur. Ce sont autant de traits qui vont droit au 14 nisan.
A ces raisons en faveur du i4 s'en joint une autre qui, au jugement d'Ideler, pourrait suffire à l'exclusion du i5 : c'est que le jour de la Passion étant, au témoignage des quatre évan-gélistes, un vendredi, il n'est pas probable qu'il ait répondu au 15 nisan. Aujourd'hui encore, le grand jour de la fête pour les Juifs ne doit jamais tomber ni un lundi, ni un mercredi, ni un vendredi : quand la suite des années amène une ren­contre de cette sorte, on l'évite en retardant d'un jour le icr du mois. Et si cette règle du calendrier ne remonte pas aux temps du second temple, nul doute pourtant, continue Ideler, qu'elle ne consacre un ancien usage; car le calendrier ayant surtout pour objet de régler la succession des fêtes, on peut difficile­ment admettre que les premiers auteurs du cycle juif se soient écartés, sur un point aussi grave, des coutumes établies2.
Mais si l'on place le jour de la Passion au jour de la prépa­ration de la Pâque, i4 nisan, avec saint Jean ainsi entendu, comment y rapportera-t-on en même temps le premier jour des Azymes dont parlent saint Matthieu et les deux autres évangé-listes? Cette expression n'a peut-être pas chez eux toute la ri­gueur qu'on lui veut donner : saint Marc dit « le premier jour
1 ... rjv yàp fisyâXn r) r)ixépa sxsivr) tou tTaëëâTOU. [Joann. xix, 3i). QuelqueE-uns des plus anciens manuscrits substituent sxel-vov kèxeivr); c'est même la leçon que Gries­bach a fait entrer clans son texte, tout en approuvant l'autre; et le P. Patrizzi y veut trouver un palliatif à l'objection que l'on tire de ce passage contre son système (§§ 45-5o) ; mais qu'on lise «le jour de ce sabbat
était grand,» ou bien, avec l'ancien texte et la Vulgate, « ce jour de sabbat était grand , » la remarque n'en témoigne pas moins de la solennité particulière de ce jour de sabbat, et l'explication la plus na­turelle est qu'il la devait à la coïncidence de la Pâque.
2 Ideler, Handb. der mathem. Chroji. 1.1, p. 5i9.
4.
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des Azymes, quand ils immolaient la Pâque; » et saint Luc, « le jour des Azymes, dans lequel il fallait immoler la Pâque1. » Or l'agneau pascal ne s'immolait pas le premier jour des Azymes, mais la veille des Azymes, le jour de la Préparation; et ainsi on peut croire que les évangélistes ont moins en vue un jour pré­cis, que le temps de la fête, déterminé par son double carac­tère : l'immolation de l'agneau et les pains sans levain. Que si l'on veut prendre leur expression dans un sens plus étroit, on se trouve amené, par cela même, à lui donner une autre valeur; et il y en a des raisons d'une autre sorte que Hug a pré­sentées. L'agneau pascal, immolé le i4 nisan vers le soir, se mangeait, nous l'avons dit, aux premières heures de la nuit suivante, quand commençait la journée du i5; et c'était le premier jour des Azymes, selon la loi de Moïse2: mais il faut tenir compte des usages postérieurs à Moïse. Depuis le retour deBabylone, les Juifs étaient devenus plus scrupuleux obser­vateurs de la loi; ils restreignaient les libertés qu'elle laissait, jusqu'à se refuser le droit de prendre les armes le jour du sab­bat, même pour se défendre, et en même temps ils étendaient le cercle de ses obligations. Ainsi à Tibériade et aux environs de la mer de Galilée, les pêcheurs célébraient la veille des fêtes comme les fêtes elles-mêmes; en Judée, on travaillait en­core jusqu'au milieu de la journée, mais, en Galilée, on chô­mait tout le jour3. Avec de semblables dispositions, il n'est pas étonnant qu'il y ait eu un changement analogue en ce qui touchait les Azymes. Pour être plus sûr de n'avoir plus de pain levé à l'heure prescrite, on s'abstint d'en user dès la veille : par le fait, la veille de la Pâque se trouve donc être le premier jour des pains sans levain, et put même en prendre le nom 4.
3 Mischna, De Paschale, 1, 5.
1 Hug, II, 60, t. II, p. 198-200. Ideler
1 Marc, xiv, 12; Lac. xxn, 7. 8 Exod. xii, 16, elc.
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C'est ce que confirment les passages de saint Marc et de saint Luc pris à la lettre : «le premier jour des Azymes, quand ils immolaient la Pâque; ■— quand il fallait immoler la Pâque; » car on ne peut pas dire que saint Marc et saint Luc, l'un Juif, l'autre élevé parmi les Juifs, et écrivant en un temps où l'on immolait toujours l'agneau pascal, n'aient pas su quel jour, selon les coutumes nationales, ce sacrifice était accompli.
Le premier jour des Azymes, tel qu'il est défini par saint Marc et par saint Luc, ne diffère donc pas, au fond, du jour de la Préparation dans saint Jean : c'est le jour où l'on immolait l'agneau pascal, le \k nisan, la veille de la grande fête. Et vraiment, quand on considère l'ensemble de leurs récits, on a bien de la peine à y soupçonner le grand jour de la fête. Comment concilier en effet, avec le repos qu'elle commandait, cette arrestation tumultuaire, ce procès, ce supplice, et tout le mouvement qui remplit et agite cette journée? On cite les rabbins, il est vrai, et l'on établit, d'après eux, que ce qui était défendu les jours de sabbat ne l'était pas de même les jours de fête; que notamment les arrestations, les jugements, quelques genres de supplices étaient autorisés; que l'exécution même de certains criminels, de ceux, par exemple, qui avaient péché contre les docteurs, était réservée pour ces jours-là 1 : et
n barum quam contra verba legis. Si quis « dicat: Pliylacteria nihil sunt, ita ul trans-(( grediatur verba legis, liber est. Sin dicat: <i Quinque sunt capsular in Phylacterio, ita « ut addat verbis scribaium, reus est. Non «occiditur a judicibus civitatis suae, non «a synedrio quod Iabnae est, sed ad sum-«mum senatum Hierosolymam deducitur, «alque istic in custodia asservalur usque o ad diem feslum, cl in die festo interfici-n tur, quia dictum est: Et omnis populus au-
(t. I, p. 516) pense aussi que ce jour, en raison de cet usage, pouvait être pris pour un jour des Azymes , quoique cela, dit-il, ne fût pas ordinaire. Reland (IV, m, 3) propose d'entendre -Epûrr) dans le sens de 'apoTspa, comme pour le recensement de Quirinius, de manière à traduire, non plus le premier jour des Azymes, mais le jour avant les Azymes. Mais saint Luc dit tout simplement lejourdes Azymes.
' « Gravius peccatur contra verba scri-
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alors quel jour plus convenable pour le supplice de Jésus-Christ? Mais si les rabbins font des différences entre le pre­mier jour de la Pâque et les jours de sabbat, il faut convenir que la loi en faisait peu, en ce qui touche les œuvres serviles 1 ; et, en admettant que les gardes qui ont arrêté Jésus (ce n'é­taient pas des soldats romains) aient pu, le i5 nisan, con­trairement aux usages toujours en vigueur pour le sabbat, faire du feu, comme ils en firent, jusque dans la cour du grand prêtre2, on peut au moins affirmer une chose : c'est que les saintes femmes, qui, au retour du Calvaire, achetèrent des parfums, et, selon saint Luc, s'abstinrent d'en user, à cause du sabbat, auraient dû s'abstenir aussi de les acheter, si l'on eût été au 15 nisan, à moins d'éluder la défense en s'abstenant de les payer ce jour-là3. Pour ce qui regarde le jugement et l'exécu­tion des criminels, aux inductions tirées de la Mischna on peut opposer des exemples pris dans nos livres sacrés. Quand Hérode-Agrippa, voulant plaire aux Juifs, fit arrêter saint Pierre pen­dant les jours des Azymes, il attendait, pour donner au peuple le spectacle de sa mort, que le temps de la Pâque fût passé4; et, dans le cas présent, lorsque les Juifs résolurent de prendre Jésus par ruse et de le faire mourir, ils se disaient : « Que ce
2 Lue. xxii, 55; cf. Marc, xiv, 54, et Joann. xviii, 25.
3 « Et revertentes paraverunt aromata « et unguenta : et sabbato quidem silue-« runt secundum mandatum. » (Lue. xxm, 56.) Voy. Mischna, De sabbato, xxm, 1.
4 « Occidit Jacobum... Videns autem « quia piacerei Judaeis, apposuit ut appre-«henderet et Petrum. Erant autem dies «Azymorum. Quem cum apprehendisset, «misil in carcererò... volens post Pascha «producere populo.» (Act. xii, 2-4.)
« diens tiinebit, neque altra prarfracle aget. » (Deaf, xvii, i3.) (Verba rabbi Akiba ; Mischila, De synedr. x, 3 et 4, el Patrit. 1. 1. s 55.)
1 « Dies prima erit sancta atque solem-« iiis, et dies septima eadem festiviiate ve­li nerabilis : nihil operis facielis in eis, ex-" ceptis his qua? ad vescendum pertinent. » (Eccod. xii, 6.) «Dies primus erit vobis « celeberrimus sanctusque : omne opus «servile non facielis in eo. » (Levit. xxm, 7; cf. 3.)
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ne soit pas au jour de la fêle 1. » Ils n'alléguèrent point, il est vrai, le respect de la loi, mais la crainte du peuple; et l'on en conclut que cela n'était pas défendu. Nous en concluons, nous, que cela n'est pas arrivé. Et, en effet, quand ils prirent cette résolution, deux jours avant la Pâque, peut-on croire qu'ils eussent l'intention de laisser passer la fête et d'abandonner le peuple aux prédications de Jésus en ce jour? Ne voulaient-ils pas se hâter, au contraire, sentant le péril d'attendre davan­tage? Et s'ils montrèrent tant de joie quand Judas vint s'en­gager à leur livrer son maître, n'était-ce point parce qu'il leur offrait le moyen de faire sûrement ce qu'ils ne voulaient plus différer? Saint Matthieu et saint Marc, tout aussi bien que saint Jean, paraissent donc entendre que la fête n'est pas com­mencée: ils n'auraient pas remarqué ou ils auraient remarqué tout autrement la résolution prise d'arrêter Jésus un autre jour que le jour de la fête [non in diefeslo). si son arrestation avait eu lieu, tout au contraire, le jour même de la fête.
Cette manière d'accorder les quatre évangélistes fait naître, il est vrai, une difficulté d'une autre sorte. Si le premier jour des Azymes, dans leur récit, n'est que le jour de la Préparation; si, au moment de la Passion, les Juifs n'ont pas encore mangé la Pâque, Jésus-Christ a donc fait la Pâque un jour avant les autres; car saint Matthieu, saint Marc et saint Luc racontent le festin pascal, et il n'est pas douteux que saint Jean ne l'ait en vue lui-même dans la cène qu'il décrit2. On oppose la loi,
1 « Non in die festo, ne forte tumultus a fierel in populo. » [Matth. xxvi, 5.)
3 Liglitfoot l'a contesté, prétendant que saint Jean parle ici d'un repas qui eut lieu, dit-il, deux jours avant la Pâque, à Bé-thanie; et il veut le retrouver en saint Matthieu (xxvi, 6) et en saint Marc(xiv, 3),
contrairement à l'opinion générale, qui voit dans ces passages une allusion au repas célébré six jours avant la Pâque selon saint Jean (xn, î et suiv.). Celte conjecture est justement réfutée par le P. Patrizzi, 1. I. §§ 5 et suiv.
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on invoque la déclaration du Sauveur, qu'il n'est pas venu la violer, mais l'accomplir, et l'on prétend qu'il n'a pu manger la Pâque, s'il n'est allé, au jour même et à l'heure où nous disons qu'il fut immolé lui-même, faire immoler l'agneau pascal par la main des prêtres, pour le manger, à l'heure où, selon nous, il était dans le tombeau1. Mais, si l'agneau pascal n'était que la figure du Sauveur, le Sauveur n'a-t-il pas pu vouloir accomplir son propre sacrifice au jour que cet agneau devait être immolé selon la loi? et, dans ce cas, s'il désirait d'un si grand désir de célébrer avec ses disciples la Pâque, où il leur donnait en nourriture et en breuvage son corps rompu pour eux, son sang versé pour eux2, ne fallait-il pas qu'il avançât d'un jour cette dernière cène, dût-il manquer à quelque point du rituel de la fête? Le rituel légal, c'est préci­sément ce qui devait cesser quand il venait accomplir la loi. La Pâque ancienne allait finir; il instituait une Pâque nouvelle; et le docteur Hug prétend même, avec quelque apparence de raison, que cette manière de célébrer la Pâque, bien qu'elle ne fût pas ordinaire, n'était pas absolument contraire à la loi. La fête s'étendant à la veille, avec l'usage des pains sans levain, on se trouvait dès lors dans les conditions voulues pour célébrer le festin pascal. « Si l'usage, dit-il, continuait de le fixer au 15 ni­san, la nécessité autorisait qu'on s'y prît un jour plus tôt. » Or la nécessité le commandait ici : « Jésus savait que son heure était proche3: » c'est la raison qu'il fait porter à son hôte, en lui disant de tout préparer pour le soir même, Tempus meum prope estk; et, quoi qu'il en soit du droit et de l'usage, la question de fait semble tranchée par saint Jean5, qui, on l'a vu, place la dernière
4 Mattli. xxvi, 18.
5 Joann. xiii, 1.
1 Patrit. I. I. S 2.
s Luc. xxii, i5; cf. 19 et 20, etc. 3 Joann. xiii, 1.
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cène « avant la fête de Pâque. » Ce jour donc Jésus célèbre encore la Pâque avec ses disciples; le lendemain le symbole disparaît, les ombres s'effacent; le véritable agneau pascal, l'a­gneau de Dieu est immolé1.
En résumé il y a, sur le jour de la Passion, deux systèmes, qui ont leur base, l'un dans les trois premiers évangélistes, l'autre dans saint Jean. Le point de départ pris dans les pre­miers, quoiqu'il paraisse bien défini en saint Matthieu, est rendu incertain par la manière dont saint Marc et saint Luc le déterminent; et, en outre, de toute leur histoire de la Passion il semble résulter que le jour de la Préparation, auquel ils la rattachent, n'est pas le grand jour de la fête, 1 5 nisan, mais plutôt la veille de la fête. Or c'est à ce jour que se rapportent tous les traits du récit de saint Jean. C'est pourquoi, sans mé­connaître la gravité des raisons alléguées en faveur du premier système (et nul ne les a fait A^aloir avec plus de science et de force que le P. Patrizzi), nous inclinons à chercher en saint Jean le terrain où l'accord des textes doit s'établir.
Jésus-Christ est donc mort le jour de la Préparation de la Pâque, i/4 nisan, et ce jour était un vendredi. Quelle est l'an­née, dans les limites du temps marqué parle récit de l'Evan­gile, qui répond à ces deux conditions?
Cette question demande qu'on rappelle en peu de mots la nature de l'année des Juifs et les dispositions relatives à leurs fêtes.
L'année des Juifs était lunaire; et l'on sait qu'une année lunaire ayant onze jours de moins que l'année solaire, son commencement doit rétrograder de onze jours sur notre ca­lendrier, pour ne revenir vers le même point qu'au bout de trente-trois révolutions de cette sorte, répondant à peu près à
1 Voyez la noie 10, à la fin de ce mémoire.
Sur les années de Jésus-Christ. 5
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trente-deux années solaires; car, par cette marche rétrograde, le cercle étant accompli, on gagne une année sur les révolutions solaires, comme un homme qui a fait le tour du globe en mar­chant contre le soleil (d'ouest en est) est en avance d'un jour sur ceux qui ont subi les révolutions diurnes sans changer de lieu. Les Turcs ont encore aujourd'hui cette forme d'année; et leurs fêtes vont en rétrogradant sur les saisons avec les jours auxquels elles sont fixées; mais il n'en était pas ainsi chez les Juifs. Tout en gardant la forme lunaire par l'accord des lunaisons et des mois, Moïse avait donné à leur année un point d'attache dans le cercle de la révolution annuelle du soleil. Le mois sacré de ni­san devait arriver au « temps des nouveaux fruits, » et la fête de Pâque, qui se célébrait le ou pour mieux dire le i5 de ce mois, suivait le plus près possible le moment ou le printemps commençait, c'est-à-dire, selon toute apparence, l'équinoxe, autant qu'il était donné aux Juifs d'en marquer l'époque. « Ob­serve, disait la loi, le mois des nouveaux fruits et le commen­cement du printemps pour faire la Pâque en l'honneur de ton Dieu; car c'est en ce mois que le Seigneur ton Dieu t'a fait sortir d'Egypte pendant la nuit » Lorsque le quinzième jour de la lune qui suivait le dernier mois de l'année juive, nommé adar, tombait en deçà du terme marqué par Moïse, cette lu­naison était imputée, comme treizième mois, sous le nom de ve-adar ou second adar, à l'année précédente, et l'on reportait le commencement de l'année et le mois sacré à la lune qui ve­nait après. On le voit donc, le règlement de Moïse touchant le temps de la Pâque commandait un système dintercalation qui retenait l'année dans les conditions générales de l'année solaire, sans souffrir qu'elle s'en écartât jamais de plus d'un mois. Et les rites prescrits pour la célébration des fêtes faisaient
1 Dent, xvi, 1.
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que, tout en se rattachant à des jours fixes des mois lunaires, elles demeuraient forcément liées a l'ordre des saisons. Ainsi à la fête de Pâque on devait offrir une gerbe comme prémices de la moisson des orges; à la Pentecôte, cinquante jours après la Pâque, deux gâteaux de blé nouveau, comme prémices de la moisson du froment; et la fête des Tabernacles (six mois après la Pâque, le 15 tisri) devait se célébrer après la récolte des olives et la vendangeï.
Le rapport de l'année juive à notre année étant connu, nous pouvons maintenant, à l'aide des tables astronomiques dres­sées à l'avance, trouver à quel quantième de nos mois et à quel jour de la semaine répondait, en telle année donnée, le quatorzième jour de la lune de nisan.
Si nous appliquons aux deux années 32 et 33 de l'ère vul­gaire, entre lesquelles les, textes permettent d'hésiter, les for­mules que M. Largeteau a données pour le calcul des nouvelles lunes2, nous trouvons que, l'an 32, la première lune dont le quinzième jour ait suivi l'équinoxe est celle qui fut nouvelle au méridien de Paris le 29 mars à 711 48m après midi, ou à 91' ôg"1 au méridien de Jérusalem, en tenant compte de la diffé­rence de 211 il"1 pour une différence de 32° 5i' entre les deux méridiens. C'est le temps vrai de la nouvelle lune : mais les Juifs ne la comptaient que du moment de son apparition (àno tïjs (pderews), et ce n'est guère avant le second jour que l'on peut voir le bord de son croissant blanchir dans les lueurs du
1 Art de vérifier les dates (De l'année des anciens Hébreux), 1.1, p. 82 et suiv. Voyez aussi, sur l'année juive et sur le mode des intercalations, Palrit. De Evany. Ill, lu; De die mortuali Christi, §§ 5-g.
* Connaiss. des temps pour 18à6, Addil. et Mém. de VAcad. des sciences, t. XXII
(nouv. série, i85o), à la suite du Résumé de chronologie astronomique de M. Biot. On trouvera ce calcul de nouvelles lunes, effectué pour les années 27 à 35 de notre ère, dans l'ouvrageduP. Patrizzi,DeEvanq. p. 546 et suiv.
5.
— 36 -*
crépuscule1. Le premier jour du mois de nisan en cette année fut donc, non le 29 mars, qui est un samedi, mais le 3o, di­manche, à six heures du soir, ce qui reporte le quatorzième jour au 1 2 avril, samedi au soir, c'est-à-dire à un jour qui ne convient pas au texte de l'Evangile. L'an 32 doit donc être re­jeté. En l'an 33, il y eut nouvelle lune le 19 mars à ioh iom, avant midi au méridien de Paris, ou à midi 2im au méridien de Jérusalem. Si l'on ajoute un jour pour que la lune puisse être vue et que le mois commence, le icr nisan sera le 20 mars, au soir, vendredi; et par conséquent le ] 4, à la manière des Juifs, ira du jeudi 2 avril à 6h du soir, au vendredi 3, à la même heure : ce qui répond exactement aux conditions de­mandées. Ainsi la mission de Jean-Baptiste ayant eu lieu dans le cours de l'an i5 de Tibère, du 19 août 28 au 19 août 29 de l'ère vulgaire, Jésus-Christ se présenta à son baptême pos­térieurement à la Pâque de l'an 29 : la première Pâque après le Baptême est celle de l'an 3o, et la quatrième, celle où il mourut, fut célébrée le 3 avril de l'an 33 2.
Pour trouver une autre année qui remplît à peu près les mêmes conditions, il faudrait descendre jusqu'à l'an 36, où la lune fut nouvelle le vendredi, 16 mars, à 5h 2 6m du soir au mé­ridien de Jérusalem : encore faudrait-il supposer que le 1er nisan commença le jour même de la syzygie, avant que la lune nou­velle ait pu être observée; ou bien il faudrait remonter jusqu'à l'an 29, qui, pour la plus grande partie, répond à l'an i5 de Tibère pris dans son sens naturel. En cette année, il y eut nouvelle lune le vendredi, 4 mars, à 3h 2m, avant midi, au mé­ridien de Jérusalem. Mais ici encore, pour que le i4 répondît à la journée du jeudi au vendredi, il faudrait supposer que le
1 Voyez la note 11, à la fin de ce mé­moire.
2 Voyez la note 12, à la fin de ce mé­moire.
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jour de la conjonction fat le premier jour du mois, quoique la lune n'ait pu être observée sitôt. En outre, le i4 tombant le 17 mars, il est douteux que cette lune ait été prise comme lune pascale, bien que le P. Patrizzi ait déployé une grande érudition pour établir que le terme en deçà duquel la pleine lune de nisan ne devait jamais tomber était non le moment précis de l'équinoxe marqué par J. César au 2 5 mars, et qui était réellement le 22, mais l'entrée du soleil dans le signe du Bélier, que l'on supposait être sept ou huit jours auparavant1. Admettons que le mois de nisan ait été rejeté à la lunaison suivante: alors le ier nisan sera le dimanche 3 avril, et le 14 répondra à la journée du samedi au dimanche, c'est-à-dire qu'il sera en dehors des conditions demandées2.
Quand saint Luc est si net sur l'époque de la mission de Jean-Baptiste, quand saint Jean marque avec tant de précision la suite des Pâques depuis le baptême de Jésus jusqu'à sa mort, on peut s'étonner qu'il y ait sur cette dernière époque une divergence de plus d'une année, selon qu'on réduit ou qu'on étend l'intervalle de la prédication de Jean-Baptiste au bap­tême de Jésus, ou que l'on compte, dans la succession des fêtes marquée par saint Jean, une Pâque de plus ou de moins. Et pourtant les différences sont bien plus considérables : l'année même que saint Luc désigne pour la mission de Jean-Baptiste est celle qu'un grand nombre d'anciens et quelques-uns des chronologistes modernes adoptent pour celle de la Passion. C'était, en effet, comme une tradition parmi les anciens, que Jésus-Christ était mort sous le consulat des deux Géminus (L.Rubellius Géminus et C. Fufius Géminus), l'an 782 de Rome (29 de l'E. V.). Tertullien, Lactance, un catalogue des pontifes
' De Evang. III, lu, SS i5 et 16. Voyez la noie 13, à la fin de ce mémoire.
* Voyez la note 14, à la fin de ce mé­moire.
romains qui finit au pape Libère, sous Constantin; une liste des consuls qui se termine au septième consulat de Constance, en 354, et paraît avoir été composée sous ce prince; saint Au­gustin, Sulpice Sévère, et trois chronologistes du même siècle., Prosper d'Aquitaine, Idace et Victorius d'Aquitaine, dans son canon pascal, ont adopté cette tradition; et Sanclemente, qui allègue leurs témoignages, y joint ceux qui, sans nommer les deux Géminus, semblent fixer la Passion à leur date, par la ma­nière dont ils parlent, soit de l'âge du Sauveur, soit de la durée de sa mission (Clément d'Alexandrie, saint Hippolyte, mar­tyr, Jules l'Africain, Origène)1. Mais comment concilier cette tradition avec l'opinion non moins constante, que l'an i5 de Tibère était la quinzième année depuis la mort d'Auguste, ré­pondant, pour la plus grande partie, à l'année du consulat des deux Géminus: opinion prouvée, on l'a vu, par le calcul qui, pendant les quatre premiers siècles et fort généralement encore dans les siècles suivants, rapportait la naissance de Jésus-Christ à l'an 751 ou 752 de Rome (3 ou 2 av. l'E. V.), c'est-à-dire trente ans auparavant? A mon avis, les deux opinions, si contradictoires qu'elles nous paraissent aujourd'hui, doivent dériver de la même source, je veux parler du texte de saint Luc. Il n'y a qu'une date, à vrai dire, dans les trois premiers
1 Terlull. Adv. lui. 8 ; Laclant. Inst. IV, 10, et De mort, persecut. 2; Catal. pontif. rom. ap. Bûcher. Doctr. temp. p. 26g et seq. Fast, consul, an. 354, ad. an. U. C. 782; ap. Noris. t. Il, p. 5g5 et seq. Aug. De civ. Dei, XVIII, c. ult. Sulp. Sev. Histor. sacr. I, 11 et 27; Prosp. Aquit. Ckron. ap. Bûcher. Doctr. temp. p. 212; Idat. Chron. et Victor. Aquit. Canon pasck. Praef. § 10; Clem. Alex. Strom. I, 21, p. 147 (Sylb.); Hippo'. Canonpasch. et les
dissertations que Fabricius y a jointes, no­tamment celle de Bianchini, p. io5 et 106; Afric. ap. Hieron. In Dan. IX, 24, t. III, p. no;Orig. In Jerem. hom. xiv, i3, t. III, p. 217. Voy. Sanclem. De anno Domin. Passion, p. 4o,4-5io; Patrit. De Evang. III, xix, Veteram sententiœ de tem­pore quo Christus vixit. La question y est traitée dans toute son étendue, et les résul­tats mis en tableau. Voyez aussi Ideler, Handb. etc. t. II, p. 4i5.
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évangélisles, celle que saint Luc a donnée, l'an i5 de Tibère (du 19 août 781 au 19 août 782 de Rome), année qui se rap­porte, pour la plus grande partie, au consulat des deux Gémi­nus (782 de Rome 29 de ГЕ. V.). De cette date, en prenant au sens le plus étroit les trente ans environ que le Seigneur avait quand il fut baptisé, on arrivait à l'an 751 ou 762 pour l'é­poque de sa naissance; et avant l'Evangile de saint Jean on put avoir l'idée d'y rapporter sa mort; car aucun temps précis n'était indiqué, ni par saint Luc, ni par les deux premiers évangélistes dans le cours de la mission de Jésus-Christ. Une seule Pâque était nommée, celle de la Passion; et, plus tard encore, il semblait à plusieurs que Jésus-Christ avait marqué au temps de sa mission les limites d'une année, quand il s'ap­pliquait ces paroles d'Isaïe : « L'esprit du Seigneur est sur moi; c'est pourquoi il m'a consacré par son onction, il m'a envoyé pour évangéliser les pauvres..., publier Y an de pardon da Seigneur et le jour de sa justice1. Admettez que cette idée ait prévalu, et que la date se soit traduite par les noms des consuls : ces noms passent dans la tradition; et l'Evangile de saint Jean, tout en redressant l'erreur commune en ce qui touche les années (c'est peut-être pour cela qu'il en marque la suite avec tant de précision), ne fera rien contre les deux Géminus; car leurs noms, introduits dans la tradition par un faux calcul, subsistent désormais indépendamment de leur date, et ils jetteront le trouble parmi ceux qui, les rapportant à leur véritable époque, voudront les maintenir en accord avec les temps de l'Evangile comme saint Jean les a fixés.
Telle me paraît être l'origine de cette étrange erreur. Elle a dû naître d'une fausse interprétation de l'Evangile de saint Luc avant l'Evangile de saint Jean; et elle avait pris tant de
1 Luc. iv, 18, 19.
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force que plusieurs qui, après saint Jean, examinant les fon­dements de cette date, étaient mis, par le rapprochement des deux évangélistes, en demeure de la rejeter, persistèrent à la retenir. Ils bornaient à trente ou trente et un ans la vie du Sauveur, à un an la durée de sa mission, bien qu'une semblable opinion, réfutable même avec l'Evangile de saint Luc, fût con­damnée sans appel par saint Jean1. La plupart ne mentionnent pas saint Jean; Prosper fait plus : il constate la contradiction et passe outre, retenant les deux Géminus, sans préjudice de l'autre opinion : «Quelques-uns, dit-il, rapportent que Jésus-Christ a souffert l'an 18 de Tibère, et ils en tirent une preuve de l'Evangile de saint Jean, où l'on voit que le Seigneur a prê­ché pendant trois ans après l'an 15 de Tibère. Mais comme une tradition plus répandue porte que Notre-Seigneur a été crucifié l'an i5 de Tibère, sous le consulat des deux Géminus, nous, sans préjudice de l'autre opinion, nous donnerons la suc­cession des consuls qui suivent, etc.2»
Jusque dans la chronologie moderne les deux Géminus ont gardé leur empire. Les modernes ne font pas aussi bon mar­ché de l'autorité de saint Jean dans ce débat; mais ils ne sa­crifient pas pour cela les deux consuls. Ils les maintiennent avec la durée de la mission de Jésus, prolongée pendant trois
1 Voyez Tertullien, Clément d'Alexan­drie, Jules l'Africain, dans les passages cités plus haut. Cf. Sanclem. et surtout le P. Patrizzi dans les ouvrages déjà cités.
2 « Quidam ferunl anno xvin" Tiberii a Jesum Christum passum, et argumentum a huic rei ex Evangelio assumunt Joannis, « in quo post xvum annuii) Tiberii Caesaris « triennio Dominus predicasse intelligilur. « Sed quia usitatior traditio habet Domi-unum nostrum xv° anno Tiberii Cassaris,
« duobus Geminis consulibus, crucilixum, «nos sine prsejudicic alterius opinionis « successiones sequenlium consulum a suis « [supradictis] consulatibus ordiemur, ma-« nente adnotalione temporum quae cujus-«que imperium habuit. Incipit adnotatio « consulum a passione Domini nostri J. C. « cumhistoria. Suffigio Gemino elRubellio « Gemino... » (Paint, l.l.n'uo; Sanclem. Ì. I. P. /I98.)
ans et demi; et leurs efforts tendent en conséquence à inter­préter autrement le texte de saint Luc sur l'an 15 de Tibère. L'an 15 de Tibère est pour eux, on l'a vu, la quinzième année depuis son association à la puissance tribunicienne : et nous avons montré avec quelle force Sanclemente réfute cette opi­nion. Sanclemente lui-même a pris un parti bien plus extra­ordinaire. Il entend le passage comme on le dut faire primiti­vement, quand on en fit sortir le consulat des deux Géminus : selon lui saint Luc, comme saint Matthieu et saint Marc, a raconté surtout les événements de la dernière année de Jésus-Christ1. Mais la mission de Jean-Baptiste dont parle saint Luc dans la même phrase, au verset suivant, et le Baptême, et la Tentation, et la Vocation des apôtres, et tous les faits des pre­miers temps de la mission du Sauveur, qui précèdent de trois ans sa mort, comme Sanclemente le reconnaît avec saint Jean, qu'en fait-il? L'auteur en dégage sa date par un procédé des plus simples. Il coupe la phrase à la suite du synchronisme donné par le premier verset du chapitre ni; il met un point après Anna et Caïpha, et il suppose que les faits évidemment antérieurs à la dernière année sont racontés par une sorte de rappel. Devant de telles extrémités, on comprend que le P. Pa-trizzi et les autres partisans des deux Géminus aient mieux aimé retourner à l'interprétation de l'an 15 de Tibère. Il en coûte moins de fermer l'oreille aux raisons de Sanclemente sur ce sujet, que de suivre ici son exemple. Quant à nous, il nous pa­raît préférable de ne pas suivre son exemple en ce point, et de goûter sur l'autre ses raisons. Les traditions sont bonnes à suivre quand elles guident dans l'interprétation des Ecritures;
1 C'est ce qu'on disait déjà, dans l'an­tiquité chrétienne, pour expliquer les dif­férences de saint Jean et des trois autres Sur les années de Jésus-Christ.
évangélisles. (Eus. Hist, eccles. Ill, 24; Hieron. Catal. scr. eccl. 9, t. IV, part. 11, p. io5.)
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elles doivent être laissées quand elles ne mènent qu'à leur faire violence : ce sont les textes des Evangiles qu'il faut con­sulter avant tout, et à quoi tout le reste se doit accommoder. Or qui empêche de prendre dans son sens droit et naturel la date de la quinzième année de Tibère? Rien absolument, car les mots environ trente ans, dont saint Luc se sert en parlant de l'âge de Jésus-Christ à son baptême, comportent une approxi­mation de plusieurs années, et permettent de rapporter sa nais­sance au règne d'Hérode : soit au 2 5 décembre 749 de Rome (ni l'arrivée des Mages, ni le massacre des Innocents, ni aucun des laits des derniers temps de la vie d'Hérode n'y faisant obstacle); soit même au 25 décembre 747, pour prendre en considération le témoignage de Tertullien sur Saturninus, et celui de Josèphe sur le serment prêté par le peuple juif. L'an­née de la mission de saint Jean-Baptiste, la seule date expres­sément marquée par l'Evangile, est donc bien celle qui va du 19 août 781 au 19 août 782 de Rome (28 à 29 de l'È. V.); et si l'on veut faire une part à la tradition dans ces calculs, c'est bien le lieu de s'en appuyer ici; car la supputation qui, en prenant sans l'approximation permise les trente ans marqués par saint Luc, rapportait la naissance de Jésus-Christ à l'an 751 ou 762 de Rome, prouve qu'on ne l'entendait pas autrement dans les quatre premiers siècles de l'Eglise, dans un temps où l'on devait bien savoir, sans doute, comment se comptaient les années des empereurs çomains. Cette date étant fixée pour la mission de Jean-Baptiste et pour le baptême du Sauveur, rattaché à 3a même année, qui empêche de compter sa pre­mière Pâque l'an 782 (3o), et la dernière, l'an 786 (33)? Rien encore, car les évangélistes ne parlent point des deux Géminus; ils se bornent à nommer Piiate comme procura­teur, et à l'époque de la Passion et au temps de la mission de
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saint Jean-Baptiste. Or notre système répond à celte double donnée, et celui qui rapporte l'an 15 à l'association de Tibère est fort en peine de comprendre la mission de Jean-Baptiste sous ce même gouvernement. Ajoutons que cette année est la seule qui satisfasse pleinement à cette autre condition posée aussi par l'Évangile, que le jour de la Passion, fixé au jour de l'immolation de l'agneau pascal, i4 du mois de nisan, tombe un vendredi.
En résumé, il y a un point fixe qui doit servir de fonde­ment à toute cette chronologie, c'est l'an 15 de Tibère, donné pour l'époque de la mission de saint Jean-Baptiste; et la tra­dition constante des premiers siècles, on pourrait dire de tous les siècles, jusqu'au commencement du xvne, comme le sens naturel des mots, veut qu'on l'entende de la quinzième année depuis la mort d'Auguste (du 19 août 781 au 19 août 782 de Rome, 28-29 de l'E. V.). Le baptême du Sauveur, qui com­mence sa mission, paraît avoir eu lieu dans cette année; et il se rattache, d'une part à sa naissance, et de l'autre à sa mort, par d'autres indications de l'Evangile : à sa naissance, par l'âge de trente ans environ que saint Luc lui donne au temps de son baptême; à sa mort, par les trois ou quatre Pâques successives que saint Jean a comptées dans le cours de sa prédication. Ces données sont donc un peu flottantes encore : elles sont rame­nées à des limites plus précises, la première par deux faits d'his­toire, la seconde par un fait astronomique. La première, en effet, a pour limites, d'une part la mort d'Hérode, qui est du commencement d'avril 760 (4 av. l'E. V.), d'où il suit que le nombre de saint Luc, qui, pris seul, porte à l'année 751 (3 av. l'E. V.), doit, en vertu de l'ajDproximation marquée par l'auteur lui-même, être étendu au moins jusqu'à l'année 749 (5 av. l'E. V.) ; d'autre part, l'édit de recensement, qui n'a pas dû être
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publié avant la pacification générale de l'empire, en 746 (8 av. l'E. V.), et qui n'a pas pu être appliqué en Judée avant 7^7 (7 av. l'E. V.). C'est donc entre les années 747 et 749 de Rome (7 et 5 av. l'E. V.) qu'on doit fixer l'époque de la naissance de Jésus-Christ; et nous avons dit les raisons qui peuvent faire pencher pour l'an 747 (7 av. l'E. V.). La seconde époque, celle de la mort du Sauveur, rapportée, par les données de saint Jean, aux années 32 ou 33 de l'ère vulgaire, est fixée par cette circonstance, que le jour de cette mort, qui est le jour même de l'immolation de la Pâque, le i4 nisan, était un vendredi. Or l'année 33 est la seule, non pas seulement de ces deux années, mais des dix placées en deçà ou au delà, dans les limites de l'an 27 a l'an 38, qui satisfasse à cette condition. C'est donc à l'an 33 qu'il faut s'arrêter.
Par là se trouve déterminée la durée de la vie de Jésus-Christ. Elle a dû être d'un peu plus de trente-huit ans, s'il est né, selon l'opinion la plus vraisemblable, l'an 7 avant l'ère vulgaire, ou d'un peu plus de trente-six ans s'il est né l'an 5. Dans l'un et dans l'autre cas, elle excède notablement les li­mites que lui marque l'opinion commune en la réduisant à trente-trois ans; mais, même ainsi étendue, elle est encore loin d'atteindre celles que lui assignait la plus ancienne des tradi­tions connues, tradition rapportée et suivie par saint Irénée. Après avoir dit que Jésus-Christ avait, d'après saint Luc, « en­viron trente ans » (et il entend qu'il ne les avait pas encore) lorsqu'il fut baptisé, il ajoute que, quand il vint à Jérusalem, « il avait l'âge parfait du docteur, » ayant voulu servir de mo­dèle et aux plus jeunes et aux plus âgés, et sanctifier par lui-même ces deux âges1; et il explique ce qu'il entend par là.
1 « Triginta quidem annorum existens, «cum veniret ad baptismum, deinde ma-
«gistri aelatem perfectam habens, venit « Hierusalem, ila ut ab omnibus juste au-
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Le jeune âge s'étend de trente à quarante ans; à partir de qua­rante ans, on incline vers la vieillesse; «et c'est l'âge, conti-nue-t-il, que Jésus avait, lorsqu'il enseignait, comme l'atteste l'Evangile et comme l'avait rapporté saint Jean, au témoignage de tous les vieillards qui ont été ses disciples en Asie1, » et il allègue la parole des Juifs à Jésus en saint Jean (vin, 57) : «Vous n'avez pas encore cinquante ans, et vous avez vu Abra­ham?» — «Cela, dit-il, se peut dire à un homme qui a plus de quarante ans et n'a pas encore atteint sa cinquantième an­née. A un homme de trente ans, on dirait : Vous n'avez pas encore quarante ans. » Mais cet argument, dont il croit fortifier la tradition qu'il a suivie, nous révèle le secret de l'interpré­tation qu'il lui donne. Or la parole des Juifs ne demande point qu'on se tienne dans les limites d'approximation que veut saint Irénée. Les Juifs, voulant répondre à Jésus-Christ péremptoi­rement, prennent un nombre qui ait pour soi l'évidence et ne souffre pas de réplique. Ce n'eût pas été assez que de dire à un homme de trente-cinq ans : « Vous n'avez pas encore qua­rante ans. » Tout ce qu'on peut voir dans la tradition recueil-
li diret magister... Magister ergo existens, « magistri quoque habebat ajlatem, non « rcprobans nec supergrediens hominem, « in juvenibus juvenis, exemplum juveni-«bus fiens et sanctificans Domino, sic et « senior in senioribus, ut sit perfectus ma­il gister in omnibus, non solum secundum « expositionem veritatis, sed et secundum «setatem, sanctificans simul et seniores, 0 exemplum ipsis quoque fiens. » ( C. Ha­res. II, xxii, 4-)
1 «.....Quia autem triginta annorum
« aetas prima indolis est juvenis, et exten-udilur usque ad quadragesimum annum, «omnis quilibet confitebitur; a quadrage-
« simo autem anno déclinât jam in aela-« tem seniorem : quam habens Dominus « nosterdocebat, sicut Evangelium et om-« nés seniores teslantur, qui, in Asia, apud « Joannem discipulum Domini convene-orunt, idipsum tradidisse eis Joannem. » (Ibid. II, xxii, 5.) Il n'y a pas contra­diction dans saint Irénée entre ce passage et celui où il dit que Jésus-Christ vint trois fois à Jérusalem au temps de la Pâque [ibid. 3); car saint Irénée ne parle que de voyages constatés par l'Evangile : cr Jésus-Christ a fait bien plus de choses que les évangélistes n'en ont raconté. (Voy. Patrit. De Evang. III, xix, 4o.)
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lie par saint Irénée, c'est que Jésus-Christ, quand il ensei­gnait, avait l'âge mûr du docteur, qu'il touchait à l'âge des plus âgés; car le mot senior, ou le grec correspondant, implique moins l'idée de vieillesse que celui d'un âge plus avancé, com­parativement aux plus jeunes : à Rome, dans les usages ci­vils, la limite, on le sait, était quarante-cinq ans. Saint Irénée, en étendant l'âge du Sauveur jusqu'à près de cinquante ans, ne fait donc qu'interpréter à sa manière le passage connu de l'Evangile; il n'y ajoute aucune donnée nouvelle; et l'on en peut dire autant de l'opinion commune, qui le réduit à trente-trois ans : elle ne fait que réunir «n somme les « trente ans environ, » pris au sens le plus étroit, que Jésus-Christ avait au baptême, et les trois ans ou trois ans et demi que dura sa mis­sion. Or, en tant qu'interprétation des textes, les deux opi­nions doivent, l'une comme l'autre, le céder aux conséquences qui dérivent de ces mêmes textes, examinés plus à fond en eux-mêmes et dans leurs rapports avec l'histoire. 11 faut donc, quoi qu'il en doive être de la durée de la vie de Jésus-Christ, fixer l'époque de sa naissance à l'an 7 av. l'E. V. (pour prendre l'époque la plus probable), et celle de sa mort à l'an 33.
Cette date répond encore à une donnée de l'Ancien Testa­ment, qu'on fait bien de ne pas introduire tout d'abord parmi les éléments de la chronologie des Evangiles, mais qu'il est bon d'en rapprocher quand, par des raisons entièrement in­dépendantes, les temps en sont fixés. Je veux parler du texte de Daniel sur les soixante et dix semaines d'années 1 :
« Depuis l'ordre qui sera donné pour rebâtir Jérusalem jus­qu'au Christ, chef du peuple, il y aura sept semaines et soixante-deux semaines. Les murs et les édifices publics se relèveront malgré bien des traverses; et après les soixante-deux semaines
1 Ban. ix, 25-27.
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le Christ sera mis à mort, et le peuple qui l'aura renié ne sera plus son peuple. Un peuple viendra avec son chef, qui détruira la ville et le temple : cette ruine sera sa fin; la fin de la guerre consommera la désolation annoncée. Dans une semaine (celle qui reste), il scellera son alliance avec plusieurs. Au milieu de la semaine, les victimes seront abolies avec le sacrifice; l'abo­mination de la désolation régnera dans le temple, et la déso­lation n'aura plus de fin. »
L'ordre de rebâtir la ville date, comme nous l'avons établi ailleurs1, de la vingtième année d'Artaxerce depuis son asso­ciation à l'empire, association qui n'est pas une hypothèse pu­rement gratuite. On a, en effet, pour l'appuyer, un passage de Thucydide rapproché de différents passages de Diodore, de Plutarque et d'Eusèbe : Thucydide place au commence­ment du règne d'Artaxerce la fuite de Thémistocle en Asie, que Diodore et les autres après lui rapportent à la deuxième année de la lxxvii6 olympiade (471 av. l'E. V.), et au temps de Xercès, qui, en effet, régnait encore2; pour en détermi­ner l'époque d'une manière plus précise, un passage de Dio­dore rapproché d'un autre d'Eusèbe : Diodore place en la troisième année de cette même olympiade (470 av. l'E. V.) la bataille de l'Eurymédon, rapportée par Eusèbe à la quatrième année de la lxxix6 olympiade (461 av. l'E. V.), qui est, selon lui, la quatrième d'Artaxerce3. La date d'Eusèbe est erronée
1 La sainte Bible résumée dans son his­toire et dans ses enseignements, I, p. bob. Le-pellelier, dans une dissertation sur l'arche de Noé (Rouen, 1700), a le premier pro­posé celte interprétation du prophète, qui le mène à la même date de la mort du Sauveur, par un calcul un peu différent du nôtre. (Ch. xl , p, 45o-473.) C'est l'in­terprétation que D. Calmet préfère. [Diss.
sur les soixante et dix semaines de Daniel, t. И, p. З69 et З76.)
2 Thuc. I, 1З7 ; Diod. XI, 56; Plut. Themist. 27 : il cite, pour la première opinion, Thucydide et Cliaron de Lamp-saque; pour la seconde, Éphore et la plu­part des autres. (Eus. Chron. p. 338, ed. Ang. Mai.)
3 Diod. XI, 60; Eus. Chron. ibid. Ar-
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quant à l'olympiade; mais ne peut-on pas croire qu'il y a été conduit par une fausse application d'une donnée vraie; qu'il a trouvé la bataille de l'Eurymédon rapportée à la quatrième année d'Artaxerce, et qu'il a été amené par là à la placer en cette olympiade que rien ne justifie, parce qu'il comptait les années d'Artaxerce, avec le canon de Ptolémée, du temps qu'il régna seul, c'est-à-dire de l'an 284 de Nabonassar (464 avant l'E. V.) ? La supposition n'est pas improbable, puisqu'elle rend compte d'une erreur inexplicable sans elle, et qu'elle se trouve en accord avec le témoignage de Thucydide cité plus haut. La quatrième année d'Artaxerce étant fixée, par la date de la bataille de l'Eurymédon, à l'an 470 av. l'E. V. sa première année tombera en 47З, et sa vingtième en 454, qui répond à l'an З00 de Rome. Conrptons de là les soixante et dix semaines de Daniel : les soixante-neuf premières (483 ans) mènent à l'an 783 de Rome (3o de ГЕ. V.); c'est l'année qui suit l'an 15 de Tibère, celle où Jésus, ayant été baptisé par saint Jean, commence à prêcher à son tour et célèbre sa première Pâque. Alors s'ouvre la dernière semaine, au milieu de laquelle les victimes doivent être abolies avec le sacrifice. Ces trois ans et demi répondent exactement au temps marqué par saint Jean et nous mènent à la Pâque de l'an 3 3, au temps où fut immolée la victime qui met fin à tous les sacrifices, accomplissant la prophétie de Daniel avec les autres prophéties. — L'an 33 est donc l'année marquée pour la mort de Jésus-Christ par l'ac­cord des deux Testaments.
taxerce avait commencé à régner, selon Eusèbe, en la première année de la lxxix" olympiade. C'est donc bien sa qua­trième année qui correspond à la qua-
trième de cette olympiade, quoique l'on trouve le chiffre 3 dans la supputation de l'édition d'Angelo Mai.
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NOTES ADDITIONNELLES.
note i, p. 2.
Josèphe dit que le mois de nisan des Juifs répondait au mois de xanthi-cus des Macédoniens [Ant. I, m, 3, et XI, iv, 8), et il entendait le xanthi­cus, non à l'ancienne manière des Macédoniens, qui commençaient l'année avec le mois de dius à l'équinoxe d'automne, ce qui faisait tomber le xan-thicus en février, mais à la manière des habitants d'Antioche, qui le com­mençaient avec le même mois, à la fin d'octobre, et comptaient ainsi le xanthicus de la fin de mars. Car il dit ailleurs que le mois de nisan répon­dait en même temps au xanthicus des Macédoniens et au pharmuthi des Égyptiens [Ant. II, xiv, 6). Or, au temps où il écrivait, Auguste avait fixé l'année des Egyptiens, etle ier de pharmuthi répondait au 27 mars.
note ii, p. 3.
Nous adoptons pour la date de la nomination d'Hérode, comme roi, l'o­pinion du cardinal Noris et du P. Magnan; et pour celle de son installation dans la royauté par la prise de Jérusalem, l'opinion du P. Patrizzi.
La première nous paraît fort clairement établie par la suite des faits. La bataille de Philippes avait été livrée vers la fin de l'automne, l'an 42 avant l'ère vulgaire, et l'année suivante, 4l, avait été employée, d'un côté, par Octave, à cette distribution de terres en Italie qui provoqua la guerre de Pérouse-, de l'autre, par Antoine, au voyage d'Asie qui se termina par son fatal séjour en Egypte. Quand s'ouvrit l'an ko, Octave était retenu par les embarras du siège de Pérouse, et Antoine par les plaisirs de la cour de Cléopâtre. Labiénus, réfugié à la cour des Parthes après la bataille de Phi­lippes, résolut d'en profiter. A son instigation, les Parthes envahirent la Syrie. Pacorus, appelé par Antigone, occupa Jérusalem au printemps de l'an 4o; à la fête de la Pentecôte, Hérode et Hircan se défendaient encore dans le temple; mais peu après, Hircan ayant été fait prisonnier dans une
Sur les années de Jésus-Christ. 7
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entrevue, Hérode s'enfuit, mit garnison a Massada, puis, après avoir vaine­ment cherché un refuge chez le roi des Nabatéens, il vint en Egypte.
Antoine en était parti. Surpris au milieu de ses plaisirs par la double nouvelle de la prise de Pérouse et de l'invasion des Parthes, il s'était di­rigé d'abord vers l'Asie; mais ensuite il s'était tourné contre son rival, dont il comptait bien triompher avec l'alliance de Sextus Pompée (ào). Vers l'été, il vint assiéger Brindes ; et il l'aurait prise, malgré Octave, si les sol­dats de part et d'autre n'avaient contraint les deux triumvirs à se réconci­lier : événement qui ne peut être antérieur au mois de septembre, ni pos­térieur au ier janvier de l'année suivante; car l'ovation que le sénat leur décerna à cette occasion figure dans les fastes Capitolins avant le triomphe de Censorinus, qui eut lieu le jour même de son entrée au consulat, le ier janvier 39 avant l'ère vulgaire.
C'est dans cet intervalle qu'Hérode était venu en Italie. Accueilli en Egypte par Cléopâtre, il en était parti malgré ses instances, bravant le mau­vais temps (%si(xcov, comme hiems en latin, veut dire tempête, aussi bien qu'hiver), et après une navigation périlleuse il était arrivé en Italie', alors qu'Antoine et Octave, réconciliés, se trouvaient à Rome. C'est de lui qu'An­toine reçut les premières nouvelles des événements de Palestine; et c'est alors qu'indigné il se concerta avec Octave pour le faire nommer roi par le sénat. Ce ne peut donc être avant le mois de septembre; car alors le siège de Brindes durait encore; et ce n'est pas après le ier janvier de l'an 3g ; car Josèphe le rapporte au consulat de Domitius Calvinus et d'Asinius Pol-lion; au moins n'est-ce pas après le icrnisan de cette année; car, dès le commencement de l'an 39, Antoine partit pour Athènes, où il passa l'hi­ver avec Octavie, et il ne revint plus à Rome1.
L'époque de la prise de Jérusalem par Hérode est encore plus nette­ment définie. Josèphe (Ant. XIV, vu, 1 Zi) la rapporte au consulat de M.Vips. Agrippa et de L. Caninius Gallus, qui est de l'an de Rome 717 (ij av.
la clxxxiv" olympiade, qui finit le 15 juillet de cette année. Mais celte raison ne peut prévaloir contre la suite des faits, qui re­jette nécessairement à la deuxième partie de cette même année la réconciliation des deux triumvirs et leur accord pour faire nommer roi Hérode.
1 Fréret (Mém. de l'Acad. des inscript. t. XXI, p. 278) pense que la nomination d'Hérode comme roi est de la première partie de l'an 4o avant l'E. V. parce que Josèphe la rapporte tout à la fois au con­sulat de Cn. Domitius Calvinus et de C.Asinius Polliou(i'an 714 de Rome), et à
l'È. V.) ; et le P. Magnan a prouvé, par la suite des événements de la guerre des Romains et des Parthes, qu'elle eut lieu en effet l'an 37 avant l'ère vulgaire et non l'an 38, comme on le pouvait conclure des consuls Claudius et Norbanus nommés par Dion (XLIX, 22). Mais Josèphe donne de plus le moyen d'en connaître le jour véritable. Ce fut, dit-il, le même jour que la ville avait été prise par Pompée, 27 ans auparavant. Or il avait dit que Pompée prit Jérusalem sous le consulat de C. Antoine et de M. T. Cicé-ron (63 av. l'E. V.) «le jour du jeûne et le troisième mois.» [Ant. XIV, iv, 3.) Il faut l'entendre de la prise du temple, comme Josèphe le dit lui-même dans la Guerre des Juifs (I, vn, 4), et du troisième mois, non de l'an­née, mais du siège, qui avait commencé dans l'été : d'où l'on est amené au jour de la fête des Expiations, le 10 du mois de tisri (octobre), l'an 37 avant l'ère vulgaire. — Ce passage de Josèphe, quant à l'année, demande pourtant une explication. La plupart des chronologistes modernes ont sup­posé que l'année romaine, au temps du consulat de Cicéron, avançait déjà, comme 17 ans plus tard, sur le calendrier tel que Jules César le ré­forma. Dans cette hypothèse, le ier janvier, ou le jour de l'entrée en charge de Cicéron, remonte au i3, ou au 23 octobre, selon Scaliger; et Gibert, qui le fixe au 20 octobre, suppose que c'est au commencement et non à ia fin de cette année consulaire, en 64 et non en 63 avant 1ère vulgaire que Pompée a pris Jérusalem : ce qui lui donne plus de latitude pour entendre les 27 ans comptés par Josèphe jusqu'à la seconde prise de la ville. (Remar­ques sur l'ancienne année des Juifs. Mém. de l'Acad. des inscr. t. XXVII, p. 97-98.) Mais La Nauze a établi, au contraire, que l'année romaine, loin d'avan­cer, retardait de deux mois et demi sur le calendrier tel que Jules César le fixa; et Ideler a prouvé la justesse de ses observations, en rapprochant des dates marquées dans les discours de Cicéron, les circonstances des saisons in­diquées dans les mêmes passages : avec le système de Gibert et des autres, on aurait de la neige en été (Ideler, Handb. der math. Chron. t. II, p. 109 et suiv.) — Il faut donc entendre avec le P. Patrizzi (de Evang. III, xxxv, 7-17) les 27 ans dont parle Josèphe de la vingt-septième année qui commence.
note iii, p. 6.
Deux médailles de la quarante-troisième année d'Hérode se trouvent au Cabinet des Médailles de la Bibliothèque impériale et ont été décrites par Mionnet (Descript. des méd. ant. Princes et rois de Judée, n° 76, et suppl.
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y3), et par M. Ch. Lenormant (Trésor de numism. et de glyptique; Nu-mism. des rois grecs, pl. LIX, n05 19 et 20). Elles portent HPQAHZ TE-TPAPXHZ, avec une palme et l'indication de l'année 43, l Ml"; et au revers, TAIQ KAIZAPI TEPMANIKQ, en quatre lignes, dans une couronne de lau­rier. L'abbé Cavedoni les a citées, en rappelant le parti qu'ont tiré de l'une d'elles (la seule connue alors) Noris et Sanclemente, sur la question qui nous occupe. (Numism. Bill. Modène, i85o, p. 5i et 58.) Vaillant parle, il est vrai, et d'une médaille de l'an /|3, et d'une autre de l'an Ixk. «Elles ont, dit-il, d'un côté HPQAHZ TETPAPXHZ avec une branche de £>almier; et du même côté, la première a au milieu l Ml", c'est-à-dire anno 43, et l'autre l MA, anno 44 , et toutes deux ont au revers, dans une couronne de laurier, TAIQ KAIZA TEPMANIKQ ZEB.qui est le nom de Caligula. (Mém. sur l'ann. de la naiss. de J. C. Mém. de l'Acad. des inscr. t. II, p. 5o6.) Fré-ret, qui allègue ce témoignage, cite encore cette mention de Galland dans un journal manuscrit du voyage de M. de Nointel en Palestine (167/i) sur « une médaille d'Hérode qui avait d'un côté un palmier cantonné de cea deux caractères MA, avec cette inscription à l'entour, HPQAOY TETPAP-XOY; il n'y avait de l'autre côté, ajoutait-il, qu'une couronne de laurier, avec quelque chose clans le milieu que je ne pus pas distinguer. » Fréret y ajoute une troisième médaille, portant l MA, l'an 44, mais où il recon­naît qu'on peut lire l AA. l'an 34. (Mém. de l'Acad. des inscr. t. XXI, p. 292 et suiv.) C'est celle dont le P. Magnan s'est servi et qui l'a conduit à reculer d'un an l'époque de l'exil d'Hérode. (Prop. 1, p. 5g.) Mais cette médaille est d'un tout autre type que celles de l'an 43, citées plus haut. Elle porte au revers le mot TIBEPIAZ, en deux lignes, dans une couronne de laurier, et de l'autre côté HPQAOY TETPAPXOY, avec une palme, et l'année 34 et non 44. C'est un fait que Sanclemente a établi et dont on peut se con­vaincre au Cabinet des Médailles, où elle se trouve : la liaison des deux lettres AA les a fait prendre à tort pour un M dans lequel on aurait comme enchâssé un A. Si l'on en veut une contre-épreuve, on peut voir, à côté, une médaille de l'an 33 du même type et évidemment de la même fa-brqiue, ou le r (3) se trouve lié de la même sorte au A (3o). (Voyez Mion-net, l. I. nos 73 et 74 et le Trésor de numism. ibid. nos 16 et 17.) Quant à la médaille citée par Galland, Eckhel conjecture que c'est une médaille sem­blable où il aura fait la même confusion de lettres; car sa description y ré­pond assez bien : ce qu'il n'a pas pu distinguer au revers est probablement
le motTIBEPIAE. Pour ce qui est de celle de Vaillant, comme il ne dit pas où il l'a vue, Eckhel pense qu'il n'en aura parlé que par ouï-dire et l'aura crue semblable à celle de l'an 43. Il refuse de la discuter avant qu'on en ait mieux prouvé l'existence. (Doctr. nam. vet. t. III, p. 488.)
note iv, p. 7.
L'éclipsé qui précéda la mort d'Hérode commença pour Jérusalem à ih /i8m du matin et finit à tih nm; à son milieu, vers trois heures, elle at­teignit 7 pouces yj. Fréret, dans son mémoire cité plus haut (Mém. de l'Acad. des inscriptions, t. XXI, p. 278), adopte aussi l'an 780 de Rome pour la dernière année de ce prince, et il croit également que l'époque doit en être fixée entre l'éclipsé du i3 mars et la célébration de la Pâque; mais il pense que la fête de Pâque et le mois de nisan furent retardés d'un mois cette année par une intercalation. Il a pour cela deux motifs : d'abord le temps compris entre l'éclipsé du i3 mars et la fête de Pâque, qui réguliè­rement aurait dû avoir lieu à la pleine lune suivante, 2 9 ou 3o jours après, ne lui paraît pas suffisant pour renfermer tous les faits dont parle Josèphe; puis en rejetant le ier nisan après la mort d'Hérode l'Ancien, il trouve le moyen de rapporter l'année à ses successeurs et de compter ainsi en l'an 792, non plus la quarante-troisième, niais la quarante-quatrième année d'Hé-rode-Antipas, conformément à la médaille dont il a été parlé. Nous nous sommes expliqué sur cette médaille; de plus, on ne peut rapporter le icr ni­san 750 à Hérode-Antipas, sans l'ôter à Hérode l'Ancien : or c'est lui ôter la trente-septième année de son règne, puisque ce règne, qui commence après nisan de l'an 71/1 (4o av. l'E. V.), ne compte sa trente-septième année que du 1er nisan 750. Ajoutons qu'Archélaùs, commençant son règne comme son frère Antipas un an plus tôt, se trouverait être, non plus dans sa dixième, mais dans sa onzième année au temps de son exil (voyez ci-des­sus) : ce qui est encore contraire à Josèphe. Hérode l'Ancien est donc mort entre le 1er nisan et la fête de Pâque; le mois de nisan fût-il reculé d'une lunaison, Hérode-Antipas n'y peut rien gagner. Mais la suite des événements ne réclame pas impérieusement ce retard. Les faits se pressent dans ces dernières pages de la vie d'Hérode l'Ancien, et toutefois ils se peuvent ren­fermer dans ces étroites limites, comme l'a montré le P. Patrizzi (de Evang. III, xxxv, 6), et comme l'avaient aussi pensé Kepler (de Anno nat. Chr. c. ix) et Ideler (l. I. p. 3g2>).
note v, p. 7.
La tradition qui fixe la naissance de Jésus-Christ au 2 5 décembre, tra­dition qui a toujours été suivie en Occident, a fini par prévaloir aussi, à partir du ive siècle, en Orient, où la fête se célébrait le 6 janvier, jour de l'Epiphanie. Kepler croit qu'on aura pu y confondre le 8 des Calendes de janvier (26 décembre) avec le 8 des Ides de janvier (6 janvier). Le mois de décembre était le neuvième de l'année ecclésiastique : il est ainsi désigné dans les Constitutions apostoliques (v, i3) pour le mois de la naissance de Jésus-Christ. C'est peut-être par une autre sorte de confusion, que les Égyp­tiens, selon la conjecture d'Herwaert, plaçaient la naissance de Jésus-Christ dans le mois de pachón (avril-mai), le neuvième de leur année. (Voyez Ke­pler, de Anno nat. Christi, c. xv, p. i56-i5y.)
note vi. p. 8.
Le P. Magnan n'admet aucun délai dans l'exécution du recensement : il veut qu'il ait été fait en Judée l'année même qu'il fut ordonné par Auguste, en y46 de Rome; et, La Nauze (Mém. de l'Acad. des inscr. t. IX, p. g 1) s'é-tant permis de croire qu'on n'avait pu le commencer qu'en 7/18, le savant Père ne contient pas son indignation et s'écrie : « Ce La Nauze donnerait des nausées à un historien.» Is enim in stomacho histórico nauseam moveret (l. I. prop. iv, cor. i,p. 278). La Nauze est moins facile à défendre contre les moqueries de son impitoyable adversaire, quand il préfère, pour le jour de la naissance de Jésus-Christ, le 2 5 mai au 2 5 décembre, à cause des ber­gers qui gardaient les troupeaux pendant la nuit. (Voy. Magnan, prop. iv, cor. 8, p. 333.)
note vii, p. 9.
Les différences qu'on trouve dans les Pères, sur l'époque de l'adoration des Mages, semblent l'expression de leur manière d'entendre ce qu'on lit dans l'Evangile. Saint Augustin (de Consensu Evang. § 2I1, t. III, p. i3o5, Paris, i836) fixe l'arrivée des Mages au treizième jour après la naissance de Jésus-Christ, parce que cette époque rapprochée paraît mieux répondre à la suite du récit; ceux qui la reculaient de deux ans, comme Epiphane (C. Hœres. li, 9), prenaient plutôt en considération ce qui est dit de l'âge des enfants massacrés.
note viii, p. 16.
Les médailles prouvent que les années des empereurs, non-seulement à Rome, mais en plusieurs endroits de l'Orient et notamment à Antioche, d'où ces exemples sont tirés (et saint Luc était originaire d'Antioche), sont comptées du jour vrai de leur avènement. Sanclemente en a cité deux de la dixième année de Néron, l'une avec le chiffre CXI, et l'autre avec le chiffre CXII, répondant aux années CXI et CXII de l'ère Césaréenne : ce qui prouve, avant tout examen, que les deux systèmes d'années n'ont pas le même commencement. Et, en effet, l'ère Césaréenne, établie en mé­moire de la bataille de Pharsale (août 706 de Rome), était reportée par les habitants d'Antioche au commencement de leur année civile, c'est-à-dire à la fin d'octobre 705 : la cent onzième année commençait donc à la fin d'oc­tobre 81 6 de Rome, et la cent douzième, à la fin d'octobre 817. Or Claude étant mort le 3 des Ides d'octobre 807, la dixième année de Néron, comptée de cette époque, commencera au 3 des Ides d'octobre 816 : elle répondra donc aux derniers jours de l'an CXI et à la plus grande partie de l'an CXII de l'ère Césaréenne, comptée à la manière d'Antioche. (Voy. Sanclem. de Valcj. œrœ emend. II, 1, p. 182-184.)
note ix, p. 20.
Le petit nombre de faits placés par saint Jean entre la fête des Juifs dont il parle au commencement du chapitre v, et la Pâque mentionnée au chapitre vi, n'empêchent pas qu'une année ait pu s'écouler de l'une à l'autre ; car saint Jean, qui marque les époques avec tant de précision, ne s'attache point à en remplir les intervalles, surtout quand les autres en ont donné le récit.— Plusieurs Pères, comme, par exemple, Clément d'Alexandrie (Strom. I, 21), et très-probablement Tertullien [Adv. Jad. 8), ne comptent qu'une année pour la mission de Jésus-Christ, donnant faussement une va­leur chronologique à une citation d'Isaïe en saint Luc. Eusèbe, qui cherche la chronologie où elle est, dans saint Jean, lui assigne une durée de trois ans et demi, soit dans la Démonstration Evangélique, où il commente le texte de Daniel sur les soixante et dix semaines (Dém. Ev. VIII, p. Aoo; Paris, 1628), soit dans son Histoire ecclésiastique (I, 10), où il la dit de près de quatre ans : Ovxovv b av(/.ivas ovS' &\os TSTpasTnis tys tov lùcoTnpos rjfxuv SiSa-GKoéklas xpévos, soit enfin dans sa Chronique, où, datant de l'an i5 de Ti-
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bère le commencement de la prédication, il rapporte la Passion à l'an 19 du même prince. (Chron. II, ad 01. 202 , 2 ; Tib. 1 9, p. 370, Ed. Ang. Mai.) Dans la traduction latine de saint Jérôme, on lit « l'an 18 ; » mais la ver­sion arménienne est d'accord avec le texte grec du Syncelle, qui lit « l'an 19.» La donnée de Tertullien ( C. Marc. 1, 15 ) que Jésus-Christ s'est manifesté l'an 12 de Tibère est constante, mais parfaitement isolée. L'accord des manuscrits sur ce passage note pas le droit de suspecter une faute dans l'auteur.
note x, p. 33.
Nous avons dû réduire cette question de la dernière Pâque aux propor­tions que voulait sa place dans un chapitre sur toute la chronologie des Evangiles; mais il n'en est pas qui ait été plus agitée, qui ait enrichi d'un plus grand nombre de dissertations le Trésor des antiquités sacrées de Bl. Ugolin. L'opinion la plus générale, dès le temps des Pères, est celle qui vient tout d'abord aux premiers mots du récit de saint Matthieu : « Le pre­mier jour des Azymes, ils préparèrent la Pâque; et le soir venu il était à table avec ses disciples. » Mais plusieurs néanmoins furent dès lors frappés des circonstances si nettement définies que saint Jean ajoute à cette his­toire; et tandis que les uns pensaient que les Juifs avaient déjà fait la Pâque, comme Jésus-Christ, au temps de la Passion, les autres dirent que Jésus-Christ, pas plus que les Juifs, ne l'avait faite encore ce jour-là.
Cette dernière opinion fut principalement soutenue en opposition aux Quarto-décimans, qui voulaient célébrer la fête le 1 k de la lune, quelque jour de la semaine qu'il tombât; on les accusait de juddiser. Pierre d'Alexan­drie, dans la préface de la Chronique Pascale, soutient que « Jésus-Christ, dans le cours de sa mission, avait célébré la Pâque selon la Loi; mais que, sa prédication étant accomplie, il ne mangea point l'agneau pascal, s'offrant lui-même en sacrifice comme le véritable agneau, le jour de l'immolation de l'agneau, qui en était la figure; » et il prouve, par les textes de saint Jean, que Jésus-Christ souffrit le jour à la fin duquel les Juifs devaient manger la Pâque, le jour de la Préparation, quatorzième de la lune. (Chron. Pasch. prœf. p. 5, dans la Collection byzantine, éd. du Louvre.) Plusieurs témoi­gnages rapportés dans cette même préface à saint Hippolyte, à Apollinaire d'Hiérapolis, à Clément d'Alexandrie, venaient à l'appui de cette opinion. «Jésus-Christ, disait saint Hippolyte, dans le temps qu'il a souffert, n'a pas
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mangé la Pâque selon la Loi; car il était lui-même la Pâque prédite, qui fut immolée au temps marqué. » (Chron. Pasch. p. 6, AB.) C'était à tort, selon le fragment d'Apollinaire, que l'on disait que Jésus-Christ avait mangé la Pâque le î k, et souffert le grand jour des Azymes, et que l'on voulait appuyer cette Opinion de saint Matthieu (ibid. p. 6, CD); et Clément d'Alexandrie rappor­tait expressément au i3 (tjj iy, et non au î k comme dit la version latine) la demande des disciples à Jésus-Christ : a Où voulez-vous que nous vous préparions la Pâque?» (Ibid. p. 7, B.) Quelques-uns, sans se prononcer sur la question de la Pâque célébrée par Jésus-Christ, se bornaient à dire, d'a­près saint Jean, que Jésus-Christ avait été mis à mort la veille du jour où les Juifs devaient la faire eux-mêmes. C'est ce que dit Lactance : Suspende-rant (eum) palibulo atqae adfixerunt, quum postridie Pascha, id est, festam suam celebraturi essent. (Epist. adPeniad. c. xlv); c'est ce que dit aussi l'auteur des questions de l'Ancien et du Nouveau Testament, attribuées autrefois à saint Augustin (Qaœst. lv) : Qaid causée fait ut illo tempore crucifigi se permit-teret Dominus, quo octavo Kal. Apr. Pascha acturi erant Judœi? D'autres enfin admettent que Jésus-Christ a fait la Pâque la veille, et les Juifs le lende­main : tel est Eusèbe dans son traité de la Pâque. (Ang. Mai, Script, vet. nova coll. t. I, p. 255-267.) Il croit, il est vrai, que Jésus-Christ l'a célébrée le i5 nisan, selon la Loi, et que les autres l'ont faite plus tard, ayant négligé l'observation du temps légal pour arrêter le Sauveur. Saint Jean Chrysos-tome adopte la même opinion par les mêmes motifs dans une homélie sur saint Matthieu. (Нот. lxxxiii, al. lxxxiv, § 2, t. VII, p. 79З B.) Mais dans une autre, où il commente saint Jean, il admet que Jésus-Christ a pu célé­brer la Pâque avant les Juifs, et qu'il a été immolé lui-même le jour où la Pâque était jadis célébrée : « Que veulent dire ces mots : Afin de pouvoir manger la Pâque? Mais Jésus avait fait la Pâque le premier jour des Azymes. — Ou il appelle Pâque la fête tout entière, ou les Juifs firent la Pâque alors, tandis que lui-même l'avait faite la veille, réservant son propre sa­crifice pour le jour de la Préparation, jour où jadis la Pâque était immolée. » (In Joann. Нот. lxxxiii, 3, t. VIII, p. Д9Д G.)
De ces passages et de tous ceux qu'on peut réunir dans ce débat, il ré­sulte que le point que les Pères établissent est, non de tradition ni de foi, mais de simple interprétation : ils inclinent vers l'un ou l'autre sens selon qu'ils ont eu plus particulièrement en vue saint Jean ou saint Matthieu. — Les modernes, devant les mêmes textes, se sont partagés de la même sorte;
Sur les années de Jésus-Christ. 8
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et le P. Petau citait déjà Paul de Burgos et Alphonse Tostat comme ayant épuisé tous les arguments dans les deux camps opposés. Son opinion à lui est que Jésus-Christ a célébré la Pâque le vrai jour de la Pâque, et les Juifs un jour trop tard, par quelque fausse indication de leurs pontifes. (Doctr. lemp. xn, ¡5 et 16, t. II, p. 242-244.) Si l'on tenait absolument, en effet, à justifier Jésus-Christ d'avoir célébré la Pâque un jour plus tôt que les Juifs, on le pourrait par cette considération. La loi voulait que l'agneau pascal fût immolé le quatorzième jour de la lune; mais le premier jour de la lune, bien que le mois fût lunaire, répondait fort rarement au premier jour du mois. Le mois, en effet, quand le ciel était pur, commençait à la première apparition de la lune nouvelle, c'est-à-dire le plus communément au deuxième jour de la lune. De plus, quand il eût été possible de le commen­cer le premier, si le premier jour des Azymes, le grand jour de la fête de­vait par là tomber un lundi, un mercredi ou un vendredi (à partir de la veille au soir, selon notre manière de compter), on le retardait d'un jour pour éviter cette coïncidence. Or par l'une comme par l'autre de ces deux raisons, il en dut être ainsi l'année que Jésus-Christ mourut (voy. p. 27 et suiv.). On peut donc dire que Jésus-Christ a célébré la Pâque en son vrai jour, le quatorzième de la lune, et que le jour suivant, devenu par ce retard, ou naturel ou de convention, le 14 nisan, se trouva être en même temps le jour de l'immolation de l'agneau pour les Juifs et le jour de sa mort. — Mais il n'est pas besoin de tant raffiner, et nous croyons que les évangélistes peuvent se concilier dans les termes proposés ci-dessus.
NOTE XI, P. 36.
Ideler est de l'opinion qu'aucun cycle n'était en usage pour déterminer l'époque des fêtes ou le commencement des mois dans la période du se­cond temple. Lorsque deux hommes dignes de foi venaient dire devant le sanhédrin : «Nous avons vu la nouvelle lune,» si ce jour était le tren­tième du mois courant, on déclarait le mois défectueux, et l'on annonçait le mois nouveau; si, le trentième jour, rien n'était observé, ce jour restait attaché au dernier mois, qu'on déclarait plein; et le mois nouveau com­mençait, sans autre déclaration, le jour suivant. Comme de cette manière l'état du ciel pouvait faire que les mois de trente jours se succédassent au nombre de deux ou davantage, on avait établi pour règle que l'année n'au-
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rait pas moins de quatre ni plus de huit mois pleins. (Ideler, Handb. der math. Chron. t. I, p. 5 1 2-5 1 3.)
note xif, p. 36.
Pour l'année de la mort, comme pour l'année de la naissance, et par con­séquent pour la durée de la vie de Jésus-Christ, nous sommes d'accord avec les savants et pieux auteurs de Y Art de vérifier les dates, qui adoptent l'une et l'autre sans discussion. Cette époque du 3 avril 33 de l'ère vulgaire compte d'ailleurs de très-anciens défenseurs : par exemple, dès le xm" siècle, Roger Bacon; au xive, Jean de Mûris; au xve, AlphonseTostat, Paul, évêque de Burgos, Jean Muller (Regiomontanus); et aux siècles suivants, Joseph Scaliger, Casaubon (Exerc. in Baron.xm, î, p. lxk&), Seth Calvisius, Usher (Usserius), Guillaume Lange, les PP. Grandami et Riccioli, jésuites, Tille-mont (Mém. pour servir à l'Hist. ecclés. p. 29), Bernard Lami, de l'Ora­toire, etc. Alphonse Tostat eut à se défendre contre l'inquisition pour avoir rejeté le jour traditionnel, 25 mars. (Voyez Petau, Doctr. temp. xiv, 9, t. II, p. 233.) Mais cette opinion, si respectable qu'elle soit, puisqu'on la trouve déjà dans Terlullien [Adv. Jud. 8), doit céder à l'autorité des con­séquences qui dérivent directement de l'Evangile; d'autant plus qu'on ne peut pas dire si elle n'est point l'effet de quelque idée systématique, comme celle de rapporter le jour de la Passion au même jour que l'Annonciation. — Nous sommes heureux de nous trouver aussi d'accord sur cette année avec M. de Saulcy, qui l'adopte dans sa Numismatique hébraïque, p. i46, et qui l'a justifiée dans i'Athenœum, avec tous les défenseurs de cette date, par la coïncidence du 1 k nisan et du vendredi, le 3 avril de l'an 33. Nous re­grettons de ne pouvoir adopter de même son opinion que Jésus-Christ est né, non pas sous Hérode le Grand, comme on l'a toujours cru, mais sous Archélaûs, l'an 1 avant l'ère vulgaire. Cette opinion, qu'il veut appuyer du texte de saint Luc (III, 2 3), est trop directement contraire à saint Matthieu (11, 10 et suiv.) : Et secessit in JEgyptum. Et erat ïbi usque ad obitum Herodis. Defuncto Hérode... audiens quod Archélaûs regnaret in Judœa pro Hérode pâtre suo, timuit Mo ire, etc.
note xiii, p. 37.
Il y a un fait qui, indépendamment de toute autre raison, rend bien peu
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vraisemblable la détermination de la Pàque au 18 mars de l'an 29, et peut servir à prouver que, quand la pleine lune arrivait à une époque aussi hâ­tive, le mois sacré de nisan était reculé d'un mois par l'intercalation en usage. Josèphe raconte que Vitellius, étant venu à Jérusalem pour sacrifier à l'occasion de la Pâque (Svacov tS> $sœ, êopriis tsarpîov rots ïovSaiots svsaly-xvfas), il y demeura trois jours, et que, le quatrième jour, il reçut la nou­velle de la mort de Tibère. (Ant. XVIII, v, 3.) Tibère est mort le i 7 des calendes d'avril de l'an 790 de Rome (16 mars 37 de l'È. V.). Quel jour a dû être la Pâque en cette année-là? Le calcul prouve qu'il y eut nouvelle lune le 5 mars à 8h 1 gm du soir au méridien de Paris, ou à ioh 3om du soir au méridien de Jérusalem. Supposons que le mois ait commencé le lende­main, 6 mars, à 6 heures du soir : le grand jour de la fête, 1 5 nisan, aura dû tomber le 20 mars à la même heure. Mais Tibère est mort le 17; ce n'est ni en trois jours, ni en huit jours que la nouvelle en est arrivée d'I­talie à Jérusalem. Il est donc certain qu'en raison de l'époque trop hâtive de la pleine lune, un mois intercalaire fut ajouté, et que la Pâque fut, non le 20 mars, mais le jour de la pleine lune suivante, vers le 18 avril. Si, le quinzième jour de la lune tombant au 20 mars, il y eut intercalation pour retarder d'un mois le mois de nisan en l'an 37, on peut croire, sans témé­rité, qu'il en fut de même, le 7 5 de la lune de mars tombant le 18, en l'an 29.
note xiv, p. 37.
Ideler (Handb. der math. Chron. t. II, p. /122) parait assez disposé à fixer la Passion en cette année, 29, avec tous les défenseurs des deux Gé-minus. Toutefois il repousse la date du 17 mars, jour de la pleine lune, non pas précisément comme antérieure à l'équinoxe, mais comme anté­rieure à l'époque où l'orge mûrit en Palestine : condition nécessaire pour que l'offrande des prémices fût possible au temps marqué; et il repousse en même temps le jour traditionnel du 2 5 mars, parce que jamais on n'a pu célébrer la Pâque lorsque la lune était dans son dernier quar­tier. Il croit que le mois de nisan aura été rejeté à la lunaison suivante; et comme la nouvelle lune, commençant le dimanche 3 avril, a dû avoir son quatorzième jour, selon la manière de compter des Juifs, du sa­medi soir au dimanche soir, il suppose qu'en cette année le mois se sera trouvé avancé de deux jours; et, de cette façon, il ramène la Pâque au
vendredi. Mais à la manière dont il a expliqué lui-même la détermina­tion du 1er du mois chez les Juifs, on comprend que le mois soit retardé d'un jour, la nouvelle lune n'ayant pas été observée; on ne comprend pas qu'il soit avancé, et encore de deux jours. Cette interprétation doit donc être rejetée.
FIN.