SAINT LOUIS

GRANDEUR DE LA FRANCE AU XIIIe SIECLE

Ce qui a fait la puissance de saint Louis et la grandeur de la France sous son règne, ce fut l'éminence de ses vertus chrétiennes. Saint Louis est le roi très chrétien par excellence, et à ce titre celui qui a le mieux accompli en sa personne les promesses du baptême de Clovis. Il plaçait bien au-dessus des droits qu'il tenait de sa naissance l'honneur qu'il avait reçu par le baptême comme enfant de l'Église, et il aurait voulu qu'on le nommât « Louis de Poissy », parce que c'est à Poissy qu'il avait été baptisé. Sa mère, Blanche de Castille, une grande reine et une grande chrétienne aussi, lui avait enseigné, dès l'enfance, les devoirs du chrétien; elle lui avait enseigné aussi les devoirs du roi et l'avait initié à l'exercice de la royauté dans des circonstances difficiles. Si les premiers Capétiens avaient pu se transmettre, sans secousse, au milieu des jalousies des hauts barons, la couronne que le fils de Hugues le Grand, duc de France, avait recueillie de la déchéance des Carolingiens, c'est que le fils avait âge d'homme quand il succédait à son père et que le père avait pris soin de l'associer à la royauté en lui faisant donner, lui-même régnant, l'onction sacrée qui, aux yeux du peuple (Jeanne d'Arc en témoignait encore) conférait seule le caractère royal. Or Louis VIII était mort prématurément, l'aîné de ses fils n'ayant que onze ans. Blanche de Castille conduisit le jeune

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prince à Reims et le fit sacrer sans plus attendre, ce qui tranchait la question de régence; et, tutrice du jeune roi, elle contraignit à l'obéissance les plus indociles des grands vassaux. Saint Louis n'eut qu'à suivre les exemples et les conseils de sa mère pour mettre définitivement hors de cause les droits de la royauté.

Mais par-dessus les intérêts de la royauté il mettait les droits de la justice : Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice... Saint Louis, dès le début, montra qu'il était prêt à lui tout sacrifier.

Les Capétiens avaient vu, dans les premiers temps, grandir singulièrement à côté d'eux les domaines de l'un de leurs principaux feudataires. Le duc de Normandie était devenu roi d'Angleterre; l'héritage de ce duché et de ce royaume était échu à la maison des Plantagenets, et Henri II Plantagenet, duc d'Anjou, avait, par son mariage avec Éléonore d'Aquitaine, ajouté à ces États les grands fiefs du Poitou et de la Guyenne. Qu'était la puissance de Philippe-Auguste auprès de celle de Richard Coeur de Lion, fils de Henri II? Les crimes de Jean sans Terre, frère de Richard, sa condamnation par la cour des pairs et la confiscation qui suivit rétablirent la balance en faveur du roi de France, son suzerain. La Normandie, le Maine, l'Anjou, la Touraine, le Poitou, reconquis par Philippe-Auguste, lui permirent de laisser à Louis VIII une suprématie territoriale incontestée. Mais voici que Louis VIII, par son testament, partageait son héritage entre tous ses fils pour leur être donné en apanages à leur majorité!

Saint Louis n'hésite point à exécuter, le moment venu, les volontés de son père. Il remit successivement à Robert l'Artois, à Alphonse le Poitou, à Charles l'Anjou et le Maine, défaisant ainsi, par esprit d'équité et contre la raison d'État, l'œuvre de Philippe-Auguste. Il gardait pourtant les droits de suzeraineté sur ces fiefs, et le domaine royal, loin d'y perdre, finit par y gagner : car les princes, ainsi pourvus, acquirent, en se mariant, d'autres provinces qu'ils réunirent à leurs apanages : le comte de Poitou, le Languedoc ; le duc d'Anjou, la Provence; et le tout revint par héritage au domaine royal : Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice, et le reste vous sera donné par surcroît.

Cet esprit de justice fut la règle de saint Louis à l'extérieur comme à l'intérieur. Bien des princes ont adopté et pratiqué la

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Sceau du couvent de Saint-Louis de Poissy.

Fin du XIVe siècle. Archives nationales de France.

maxime : « Diviser pour régner ». Saint Louis n'eut jamais qu'une pensée : réconcilier ses adversaires, établir partout la paix; et le renom qu'il mérita par ce désintéressement fit rechercher son arbitrage par les plus grandes puissances du monde : le Pape et l'Empereur. La lutte du sacerdoce et de l'Empire était alors dans sa troisième période, la plus longue et la plus redoutable pour la papauté. Frédéric II, fils de Henri VI, pupille d'Innocent III et soutenu par ce grand Pape contre l'empereur Othon IV, s'était affranchi, après la mort du pontife, de toutes les obligations qu'il avait contractées envers le Saint-Siège. Roi de Naples et empereur d'Allemagne, il enveloppait la papauté de sa puissance et prétendait

avoir un droit de souveraineté sur Rome, comme héritier des Césars. Les villes libres d'Italie n'étaient pas moins menacées que la papauté. Honorius III avait eu grand'peine à prévenir la lutte qui les aurait accablées. On eût pu espérer que l'ambition de Frédéric II trouverait quelque diversion dans la croisade qu'il entreprit, comme roi de Jérusalem, au titre de sa nouvelle épouse, fille de Jean de Brienne, et qui lui valut, en effet, la restitution de Jérusalem par le sultan d'Egypte; il n'en fut rien, et cette expédition ne fit qu'ac-croitre sa mésintelligence avec Grégoire IX, successeur d'Honorius. Après une réconciliation éphémère, la lutte recommença, provoquée par les dangers de la ligue lombarde. Frédéric II, excommunié, fit appel à un concile. Grégoire IX accepta le débat sur ce terrain; mais Frédéric mit obstacle au concile, en faisant prisonniers les prélats qui s'y rendaient. Saint Louis, qui avait fait preuve d'une impartialité attristée dans cette querelle, faillit y intervenir néanmoins pour faire remettre les évêques français en liberté, et il fallut bien que Frédéric II lui fit raison. Il n'était plus du reste question du concile. Grégoire IX était mort, presque centenaire, ayant bravé dans

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Rome les menaces de l'empereur, et après le pontificat, de dix-huit jours, de Célestin IV, l'empereur sut, pendant dix-huit mois, rendre impossible toute autre élection : interrègne scandaleux auquel il crut mettre fin, à son profit, en faisant élire un candidat ami, Sinibald de Fiesque. Mais Sinibald lui déclara que, s'il était élu, il serait son ennemi; il fut élu et il tint parole : ce fut Innocent IV (1243).

Saint Louis venait de traverser une crise d'où son pouvoir sortit plus affermi. En exécution du testament de son père, il avait, à leur majorité, établi successivement dans leurs apanages ses deux frères, Robert en Artois, Alphonse en Poitou. A cette dernière occasion, la « reine » Isabelle, comme on l'appelait toujours, veuve du roi Jean et remariée au comte de la Marche, fit honte à son mari de l'hommage qu'il avait à rendre au comte de Poitiers dont la Marche relevait, lui promettant, s'il s'y refusait, l'appui de son fils Henri III. Le comte de la Marche vint en effet défier Alphonse dans Poitiers, et Henri III passa en France, apportant plus de sterlings qu'il n'amenait d'hommes; on lui avait dit qu'avec de l'argent il en trouverait dans le pays. D'autre part le Midi, toujours remuant, était prêt à seconder le comte de Toulouse mal résigné aux stipulations du traité de 1229 qui assurait, avec la main de sa fille, l'héritage de son comté au jeune Alphonse. Mais saint Louis, par sa rapidité, prévint cette conflagration. Il vainquit les Anglais, faiblement soutenus par le comte de la Marche, sur la Charente, au pont de Taillebourg, les poursuivit jusque dans Saintes, d'où Henri III se retira, non sans péril, dans Bordeaux. Le comte de la Marche fit sa soumission, s'engageant à combattre les seigneurs du Midi qui avaient pris les armes à son exemple. Quant au roi d'Angleterre, la maladie ayant forcé saint Louis de s'arrêter à Blaye, il dut se trouver heureux de conclure avec lui une trêve de cinq ans (12 mars 1243). Le comte de Toulouse, abandonné de plusieurs de ses alliés, avait même devancé l'accord de cette trêve, et il était venu à Lorris (janvier 1243) renouveler les engagements qu'il avait pris en 1229. « A partir de cette époque, dit Guillaume de Nangis, les barons de France cessèrent de rien entreprendre contre leur roi, le Christ du Seigneur, voyant manifestement que la main du Seigneur était avec lui. »

Saint Louis voulut user de cette force au profit de la chrétienté. La lutte prévue recommençait entre le Pape et l'empereur. Innocent IV,

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ne se trouvant plus en sûreté dans Rome, s'était réfugié à Lyon, ville libre alors, où il convoqua un concile général. Il n'était plus aussi facile à Frédéric de l'empêcher; et ce fut lui qui, pour en éviter les suites, sollicita l'intervention de saint Louis. Le concile avait fait deux choses : il avait excommunié Frédéric II, qui avait refusé de comparaître, et décrété la croisade provoquée par la chute de Jérusalem qui avait été successivement prise et saccagée naguère par les Karismiens et reconquise par les Egyptiens. Ces deux décisions, quelque motivées qu'elles pussent être, devaient nécessairement se nuire l'une à l'autre. Saint Louis avait pris la croix : c'était lui seul, et non plus Frédéric II, qui allait diriger la croisade; mais comment pouvait-il réunir contre les musulmans les forces de la chrétienté, si elle restait troublée par la lutte du Pape et de l'empereur? Le pieux roi eut une entrevue avec le Pape à Cluny, cherchant à réconcilier les deux puissances, et Mathieu Paris dit qu'avant de se séparer le roi et le Pape convinrent d'une nouvelle entrevue à laquelle on inviterait Frédéric. Frédéric serait bien venu seul, et sans invitation, trouver le Pape à Lyon, mais le roi, suspectant ses intentions, lui fit porter un message assez ferme pour le détourner d'aller plus loin que Milan.

Médiateur entre le Pape et l'empereur, il fut sollicité de rendre aussi ce bon office dans un différend, où, à des titres divers, auraient pu intervenir plus naturellement l'empereur et le Pape : l'objet du litige était la succession de la Flandre et du Hainaut que se disputaient, du vivant de leur mère Marguerite, les deux branches issues de son double mariage avec Bouchard d'Avesnes et Guillaume de Dampierre ; car son mariage avec Bouchard d'Avesnes, qui avait été plus ou moins engagé dans les ordres, avait été jugé illégitime, et le Hainaut était terre d'Empire. Saint Louis trancha la question par un compromis, attribuant aux Dampierre la Flandre, et aux d'Avesnes le Hainaut. Avant de partir pour la croisade, il eut aussi à régler une grave affaire, où il montra autant de désintéressement personnel que de souci pour la grandeur de la France. Des quatre filles du comte de Provence, trois avaient épousé, l'aînée saint Louis lui-même, la seconde Henri III et la troisième Richard, comte de Cornouailles et prétendant à l'Empire d'Allemagne. Le comte de Toulouse, beau-père du jeune comte de Poitiers, eût volontiers épousé la quatrième : c'eût été, en acquérant la succession de Provence, sous-

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traire peut-être sa propre succession à son gendre pour la laisser à un fils; et le comte de Provence, Raymond Beranger, n'eût pas répugné à cette union, car il souhaitait maintenir après soi l'intégrité de son comté. Mais il mourut et saint Louis sut, par une autre voie, entrer dans ses vues. Il n'aurait pu revendiquer une part de la succession pour sa femme Marguerite sans en faire une pour chacune des deux soeurs qui avaient épousé le roi d'Angleterre et Richard de Cornouailles ; et ainsi la France n'eût pris pied en Provence qu'en y introduisant aussi les Anglais. Il trouva plus sage de laisser la Provence tout entière à la quatrième sœur, en lui faisant épouser son plus jeune frère, Charles d'Anjou, et en cela il fut secondé par Romée de Villeneuve, le principal conseiller de Raymond Beranger. La Provence passait ainsi à un prince français et par lui elle devait revenir à la France.

En 1248, les préparatifs de la croisade étant achevés, saint Louis pouvait laisser en toute sécurité son royaume. La trêve avec l'Angleterre venait d'expirer, et elle n'était pas renouvelée; mais personne en Angleterre ne pouvait avoir la pensée de s'en prévaloir contre saint Louis, et sa mère, Blanche de Castille, était là. Il n'avait donc à craindre aucune attaque du dehors. Il voulut de plus être en paix avec lui-même; c'est pourquoi il avait institué ces enquêteurs, pris parmi les Ordres mendiants, Jacobins ou Cordeliers, pour recueillir les plaintes qui pouvaient s'élever contre son administration, et faire à chacun justice; et en effet, chacune de ses stations, dans son voyage à travers la France jusqu'à Aigues-Mortes où il s'embarqua, est signalée par quelque acte de réparation.

La croisade de saint Louis, qui nous est si bien connue par Joinville, n'eut pas l'issue qu'on en pouvait espérer. Mais s'il commit des fautes dans la conduite de cette expédition, comme il sut les effacer par l'éclat de ses vertus, et qu'il fut grand dans sa défaite !

Première faute : il perdit en Chypre un temps précieux, et toutefois il le sut mettre à profit pour cette œuvre de paix qu'il poursuivait même dans la guerre, rapprochant, dans ce petit royaume divisé, les Grecs et les Latins, réconciliant les Templiers et les Hospitaliers, le prince d'Antioche et le roi de la petite Arménie, recevant même une députation des Tartares et leur adressant ses envoyés avec des pré-

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sents, point de départ de nos relations avec l'Orient au delà des frontières de l'Islam.

Pour reprendre et pour garder Jérusalem, il fallait être assuré de l'Egypte. On alla donc en Egypte. Mais en Egypte où aller? à Damiette ou à Alexandrie? A Alexandrie, on était plus à portée des renforts de l'Occident. A Damiette, on était plus rapproché de la Terre Sainte. On se décida pour Damiette. Joinville a dit avec quelle vigueur le débarquement fut accompli et la ville emportée. On avait eu le tort de passer l'hiver de 1248 en Chypre ; on fut contraint de passer l'été de 1249 à Damiette, car l'inondation allait commencer; il était donc trop tard pour marcher sur le Caire. Autre faute : on aurait pu, pendant cet ajournement, se porter sur Alexandrie, et même quand, en octobre, le comte de Poitiers, que l'on avait attendu, arriva, on mit en délibération si on ne commencerait peint par cette conquête. Mais on pouvait maintenant aller au Caire et le comte d'Artois fit résoudre la question en ce sens, disant que « qui veut tuer le serpent lui doit écraser le chef ».

Le Caire pouvait sembler ouvert à l'invasion. Le sultan SalehAyoub était mort, et son fils Touran-Chah qu'il avait, se sentant près de sa fin, rappelé d'Edesse, n'était pas encore arrivé; mais une de ses femmes, Chedjer-Eddor, turque ou arménienne de naissance, avait veillé à l'accomplissement de ses vues. Elle s'était concertée avec le principal émir, Fakhr-Eddin, pour maintenir les troupes dans l'obéissance. L'approche des Français leur en faisait, d'ailleurs, une loi. Fakhr-Eddin avait pris position à Mansourah, derrière le canal d'Aschmoun, et l'armée de saint Louis fut longtemps arrêtée par cet obstacle. Lorsqu'après de vains efforts pour couper les communications du canal avec le Nil, d'où il tirait ses eaux, on eut enfin trouvé un gué, la précipitation du comte d'Artois qui, en poursuivant un groupe de Sarrasins, alla se faire tuer clans Mansourah, mit en péril les résultats de la journée. Les Chrétiens restèrent sur le campement des Sarrasins au delà du canal, et ils purent encore le lendemain résister à leur choc; mais ils n'étaient pas en mesure d'aller en avant sans renforts, et la flotte que l'ennemi avait réunie dans le Nil, entre Damiette et le camp des Chrétiens, leur ôtait toute espérance d'en recevoir. Il fallut repasser le canal pour s'en couvrir contre des attaques journalières : bientôt même les maladies, qui se mirent dans l'armée,

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firent une nécessité de la retraite : or la flotte qui interceptait tout convoi venant de Damiette ne rendait pas moins difficile d'y retourner. On l'eût risqué volontiers pour le roi; et le légat, qui rentra par cette voie à Damiette, prouva qu'une tentative isolée n'était pas impossible; mais on ne pouvait l'entreprendre pour le gros de l'armée. Saint Louis déclara « qu'il ne laisserait pas son peuple et ferait telle fin comme ils feraient ». Et il voulut être à l'arrière-garde. A l'arrière-garde, il devait tomber un des premiers au pouvoir de l'ennemi : nul du reste, ni par le fleuve, ni par la rive, qui ne fût tué ou noyé, n'évita le même sort.

Voilà les fautes de saint Louis, et la dernière fut un acte de dévouement sans égal dans l'histoire. Napoléon fut plus glorieux dans sa campagne d'Egypte. Il le fut moins dans la retraite de Moscou.

La captivité de saint Louis excita dans la chrétienté l'émotion la plus profonde. D'abord on ne voulait pas y croire, et quand la chose devint certaine, ce fut un deuil universel. Nul dans le royaume ou au dehors n'eut la pensée de s'en prévaloir au détriment de la puissance royale ou de la France; le Pape et l'empereur se trouvèrent, pour la première fois peut-être, unis dans le même sentiment. Et le mal aurait pu être plus grand qu'il ne l'était. A Damiette, où l'on en devait éprouver le premier contre-coup, la terreur fut un affolement. Les Génois et les Pisans, qui composaient la flotte, voulaient fuir, et le petit peuple aurait suivi : ce qui aurait amené la perte de la place. Ce fut la reine, tout récemment accouchée, qui les retint par son énergie et garda ainsi le seul gage qui pût sauver la vie du roi et des autres captifs.

Le roi fut ramené à Mansourah avec les autres prisonniers.

Ce fut dans cette captivité que la grandeur morale de saint Louis se manifesta tout entière, et lui conquit l'ascendant le plus fort, comme pour justifier cette parole de l'Apôtre : Quum infirmor, tunc potens sum, « Quand je suis faible, alors je suis puissant ».

Le jeune sultan était arrivé en Egypte, trop enivré d'un triomphe qui n'était pourtant pas son œuvre. Ayant le roi de France, il comptait bien ravoir Damiette et même tout ce que les chrétiens occupaient encore en Palestine. Sur ce dernier point, ses conseillers avaient déjà pu décompter, après la conversation qu'ils avaient eue avec Pierre Mauclerc, l'ancien comte de Bretagne. La réponse était nette : les

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châteaux d'outre-mer étaient tenus en fief de l'empereur d'Allemagne, roi de Jérusalem : on ne dispose pas du bien d'autrui. Les châteaux des Templiers et des Hospitaliers avaient des capitaines qui avaient juré, sur reliques, de ne les rendre jamais, eux vivants. Le roi ne tint pas un autre langage. Il ne fut plus question des villes de Palestine, mais de Damiette. Mais Damiette était sous la garde de la reine, et le roi, prisonnier, subordonna tout à son assentiment. Toutefois, quand il sut les conditions auxquelles le sultan s'engageait, Damiette et un million de besants d'or, valant 500.000 livres, il dit : Je vous donnerai 500.000 livres pour mes gens et Damiette pour ma personne, car je ne suis pas tel que je me dusse racheter à prix d'argent ; fier langage qui frappa le jeune prince : pour ne point paraître moins large lui-même, il fit remise de 100.000 livres sur la rançon. Ce traité faillit ne point aboutir. Gomme le roi et le reste des prisonniers à délivrer étaient ramenés de Mansourah à Farescour, les émirs se révoltèrent contre le jeune sultan qui les avait peu ménagés. Le meurtre du prince rompait tous ses engagements et la vie du roi fut de nouveau mise en péril. Mais il imposa aux meurtriers par son sang-froid, et il les tint en respect en ne se pliant à aucune de leurs exigences : soit lorsque le chef de la révolte, Actaï, lui demandait de le faire chevalier, — oui, s'il se fait chrétien ! — soit lorsqu'on lui proposa une formule de serment qui faisait ombrage à sa foi. Par contre, lorsqu'en garantie de l'accomplissement des conventions les ennemis réclamèrent des otages et parurent vouloir le garder lui-même à ce titre, il n'eût pas refusé de se livrer pour tous ; mais ses barons protestèrent qu'ils n'accepteraient pas une telle honte, préférant la captivité, et la mort même, à l'abandon de leur seigneur.

Saint Louis, rendu à la liberté, aurait pu songer à revenir en France sans retard. Plusieurs des hauts barons prirent ce parti, entre autres le comte de Bretagne, mais il voulait tenir la main lui-même à l'exécution du traité, recouvrer les otages, s'assurer de l'entière libération des captifs. Il fit donc voile, non pour la France, mais pour Saint-Jean d'Acre où tout cela réclamait sa présence. Il avait une autre raison pour y rester. L'expédition qu'il avait entreprise en vue de la délivrance des saints Lieux allait, par son échec, compromettre davantage les chrétiens de Palestine. Il crut de son devoir d'être là pour veiller à leurs intérêts. Il laissa donc partir ceux qui voulurent. Il recomposa

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sa maison militaire (Joinville en fut, et c'est ce qui nous a valu le récit de cette seconde partie, non la moins intéressante, de la croisade).

Cette résolution et l'impression qu'il avait faite sur les esprits des Sarrasins par sa ferme attitude dans la captivité faillirent amener des résultats que la victoire même lui aurait difficilement assurés.

Les princes musulmans de Syrie et les maîtres de l'Égypte se trouvaient divisés depuis la mort de Touran-Chah. Ils avaient pris volontiers le saint roi pour arbitre de leurs querelles. Dégagé des obligations du traité par la mauvaise foi des Egyptiens qui avaient massacré les chrétiens dans Damiette et n'avaient pas encore rendu les captifs, saint Louis aurait pu faire mieux que de les accommoder avec leurs rivaux, si, maintenant qu'il était en Palestine, la chrétienté avait su répondre à son appel; mais la lutte avait recommencé entre Innocent IV et Frédéric II et, après la mort de Frédéric, entre le Pape et sa maison qui, établie dans le nord et dans le sud de l'Italie, mettait trop en péril les villes libres italiennes aussi bien que le Saint-Siège. Au milieu de cet abandon où les puissances chrétiennes laissaient le saint roi, il y eut pourtant un mouvement dans le peuple pour le secourir, mais on sait ce qu'il devint et à quoi il aboutit : c'est la croisade des Pastoureaux.

Laissé seul, saint Louis eut néanmoins un moment l'espoir de réussir. Les Egyptiens, menacés par les Syriens, lui offrirent un traité nouveau qui, non seulement lui rendait tous les captifs injustement retenus, mais restituait aux chrétiens Jérusalem. Rendez-vous avait été pris pour sceller ce traité; mais avant qu'on se fût rencontré, les deux puissances rivales s'étaient réconciliées sous la médiation du calife de Bagdad. Saint Louis se vit donc contraint de renoncer à la délivrance de la Ville sainte. Il aurait pu s'y rendre en pèlerin; il se refusa cette pieuse satisfaction, de peur que les princes chrétiens qui, par la suite, prendraient la croix se crussent autorisés à s'acquitter ainsi de leur vœu.

Les trois ans qu'il passa en Palestine ne furent point perdus pour nos colons de Terre sainte. Il prit à tâche de mettre en défense les villes qui leur restaient : Jaffa, Saint-Jean d'Acre, Tyr ou Sour, Sidon; son prestige ne baissait point au milieu de ces occupations d'un ordre secondaire. Ce n'étaient pas seulement les chrétiens du voisinage, comme ces pèlerins de la petite Arménie, dont parle Joinville, qui

SAINT LOUIS RENDANT LA JUSTICE SOUS LE CHÊNE DE VINCENNES. D'après Rouyer. Musée de Versailles.

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venaient rendre hommage au saint roi, le vieux de la Montagne que les Hospitaliers et les Templiers, du reste, par leur mépris de la mort, savaient tenir en respect, s'inclinait devant lui et lui envoyait des présents.

Un événement pourtant devait hâter son retour. Sa mère mourut, douleur profonde pour un fils qui avait toujours eu pour elle une tendresse d'enfant et n'avait jamais cessé de lui vouer une confiance si légitime. Dès ce moment, son absence pouvait finir par mettre le royaume en danger. Il se résolut donc au retour, et les barons de Palestine ne le laissèrent point partir sans lui rendre ce témoignage qu'il avait fait pour eux tout ce qu'ils pouvaient désirer. Il partit avec la reine et les enfants qu'elle lui avait donnés dans le cours de la croisade, et, pendant la traversée, il eut encore l'occasion de montrer que la vie de ses moindres sujets ne lui était pas moins chère que sa vie propre et la vie de la reine et de ses enfants : à l'arrivée en Chypre, comme un accident avait compromis la solidité de son vaisseau, il ne voulut point le quitter, de peur d'abandonner dans l'île tant de malheureux qui n'auraient pas su comment regagner la France.

Saint Louis, après de si grands revers, fut reçu en France comme en triomphe. On vénérait en lui un confesseur de la foi, presque l'égal d'un martyr. L'ascendant qu'avant la croisade il avait exercé dans ses Etats et au dehors ne pouvait dès lors que s'accroître. Ceux qui l'avaient suivi dans la croisade, témoins de son héroïsme et sauvés par son dévouement, l'entouraient de leur vénération, et ceux qui ne l'avaient pas accompagné, de quel droit auraient-ils pu s'élever devant sa face ? Aussi voyait-il s'étendre autour de lui cette paix qui lui était si chère, et l'on pouvait dire de lui, selon Guillaume de Nangis, ce que l'Ecriture disait de Salomon : « De toutes parts il avait la paix clans l'enceinte de son royaume. »

Cette paix était fondée sur le respect du droit de tous, et si les limites de notre cadre pouvaient s'y prêter, on en trouverait la preuve dans ses rapports avec l'Eglise où il sut toujours si bien concilier ses devoirs de fidèle et ses droits de souverain; avec ses barons qu'il maintint dans leurs privilèges, même à ses propres dépens, tout en les ramenant à l'observation de la justice ; avec les villes, dont il soutint les libertés naissantes; avec les campagnes qui avaient tant besoin de protection. Les grandes ordonnances qu'il publia, dès son retour, ap-

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portèrent en ce sens des améliorations considérables dans l'administration publique, dans les finances, dans le fonctionnement de la justice comme dans l'organisation de la milice. Quant aux institutions intellectuelles et aux œuvres de l'art, universités, sciences et lettres, architecture, sculpture, peinture, arts industriels, un chapitre spécial a été consacré ci-dessus au tableau de leurs développements durant le treizième siècle, qu'on peut appeler le siècle de saint Louis.

Le vieux roi n'était pas moins appliqué à étendre au dehors l'heureuse influence qu'il exerçait dans son royaume, ne cessant pas de sacrifier à cet esprit de paix les intérêts mêmes de sa maison. On a vu la médiation qu'avant de partir pour la croisade il avait fait accepter aux deux branches qui se disputaient à l'avance la succession de Marguerite, comtesse de Flandre et de Hainaut : la Flandre aux Dampierre, le Hainaut aux d'Avesnes. Marguerite ayant investi à l'avance de la Flandre son fils Guillaume de Dampierre et, après la mort de Guillaume, Gui son second fils de la même branche, les d'Avesnes réclamèrent et furent soutenus par Guillaume de Hollande, élu alors roi des Romains. Marguerite, en l'absence de saint Louis, recourut d'abord à la reine Blanche, puis au comte d'Anjou à qui elle donna, pour prix de son intervention, la part de Jean d'Avesnes. Saint Louis, qui revenait alors, rétablit la paix, en amenant son frère à renoncer au Hainaut, moyennant une compensation en argent.

Il s'employa de la même sorte pour mettre d'accord le duc de Bretagne, gendre de Thibaut le Trouvère, comte de Champagne et roi de Navarre, avec le jeune Thibaut, fils de ce dernier; pour réconcilier le comte de Châlon avec le comte de Bourgogne, son fils; le comte de Luxembourg avec le comte de Bar; le comte de Bar avec le duc de Lorraine : car les étrangers, autant que les feudataires du royaume, recouraient à son arbitrage. Ceux de son conseil trouvaient qu'il ferait mieux de les laisser se battre : « Et à cela, dit Joinville, le roi leur disoit qu'ils ne partaient pas bien », leur remontrant que par cette conduite il s'attirerait, avec le ressentiment de ces étrangers, « la haine de Dieu qui dit : Bénis soient tous les pacifiques. — « D'où il advint ainsi, continue l'historien, que les Bourguignons et les Lorrains qu'il avoit pacifiés l'aimoient et lui obéissoient tant, que je les vis venir plaider par devant le roi, pour des procès qu'ils avoient entre eux, à la cour du roi à Reims, à Paris et à Orléans. »

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Saint Louis donna une preuve éclatante de cet amour de la paix,

Saint Louis servant un repas aux pauvres. Miniature des Petites Heures d'Anne de Bretagne. Commencement du XVIe siècle.

poussé jusqu'aux plus grands sacrifices, dans ses rapports avec l'Angleterre.

Le roi d'Angleterre n'était plus en mesure d'inquiéter la France.

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Mal vu en Gascogne où il n'avait réprimé une révolte que par la destruction des vignes, plus mal vu encore dans son royaume, par la faveur qu'il avait témoignée aux étrangers comme par les exactions au prix desquelles il avait fait payer à son pays ses campagnes malheureuses en France et les coûteuses prétentions de sa maison sur l'héritage des Hohenstaufen en Allemagne et en Italie, il avait dû subir, sous la pression de Simon de Montfort, les provisions d'Oxford qui le remettaient en une sorte de tutelle; et c'est pourtant au milieu de ces difficultés que saint Louis, la trêve renouvelée pour trois ans en 1255 expirant, lui accorda une paix inespérée.

Saint Louis avait hérité des domaines confisqués sur le roi Jean par son aïeul Philippe-Auguste, et il avait repoussé les revendications que Henri III, à diverses reprises, en avait tentées par les armes; mais ce n'était pas sans quelque scrupule qu'il retenait sur un fils innocent les fiefs même justement enlevés à un père coupable. Il voulut, en rendant à Henri III quelques provinces, obtenir de lui l'abandon volontaire de celles que lui-même ne pouvait point ne pas garder. Ce fut l'objet du traité d'Abbeville (1258), traité sévèrement jugé par l'histoire et plus mal accueilli dans le temps par les villes qui repassaient du domaine de saint Louis dans celui du roi d'Angleterre, mais qui a son excuse dans cette considération que ces provinces restaient françaises, puisque le roi d'Angleterre redevenait pour elles feudataire du roi de France, et que, de plus, il reconnaissait sa suzeraineté sur celles qui étaient demeurées jusque-là sous la domination directe des rois anglais, depuis Henri II Planta-genêt. Henri III dut faire hommage à saint Louis, comme pair de France et duc d'Aquitaine, non seulement pour les territoires qu'il recouvrait, mais même pour cette Guyenne qu'il n'avait jamais perdue.

Cet esprit de désintéressement de saint Louis non seulement lui assura en France toute tranquillité du côté des Anglais, mais lui donna même action sur les affaires de l'Angleterre. La lutte recommençant entre Henri III et ses barons, ce fut lui qui, de part et d'autre, fut invoqué comme médiateur. Il jugea selon l'équité; malheureusement l'antagonisme était trop fort. Il ne termina rien, mais il montra qu'il voulait la paix, même dans le pays dont les agitations semblaient être un gage de sécurité pour la France.

C'est le même désir de la paix qui l'inspira dans les affaires d'Al-

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lemagne et d'Italie, si troublées par suite de la lutte de la papauté et de l'Empire. Ce ne fut certainement pas saint Louis qui poussa Charles d'Anjou, son frère, à en profiter pour faire la conquête du royaume de Naples et il eut l'occasion de blâmer la violence des procédés dont usa le vainqueur.

Le nouveau roi de Naples le poussa pourtant à une autre entreprise où, du reste, les vues des deux rois n'avaient rien de commun. Ce ne fut pas un motif d'ambition, ni une raison d'intérêt particulier, ce fut une pensée toute de dévouement à la chrétienté qui porta le pieux roi à la dernière croisade, où il trouva la mort.

Après bien des révolutions en Egypte, un des chefs des mamelouks, Bibars-Bondocdar, avait envahi la Palestine, pris et détruit la plupart des villes fortifiées par saint Louis et poussé jusqu'à Antioche, qui succomba en 1268. Avant cette dernière catastrophe un cri d'alarme était parti de Saint-Jean d'Acre, le principal refuge des chrétiens. Les papes Alexandre IV, Urbain IV, Clément IV l'avaient répété. Qui pouvait y répondre au milieu de l'Europe déchirée par des querelles de succession ou par des guerres civiles ? Ce fut saint Louis.

Clément IV, consulté par le saint roi, hésita lui-même à l'approuver : le prince était si nécessaire à l'Europe, et de sauté si débile! mais saint Louis insista et le Pontife dut accepter son sacrifice. Le roi employa les trois années que demandèrent ses préparatifs à réconcilier dans le monde chrétien les ennemis; il obtint de l'argent de son clergé, il y mit beaucoup du sien. Il se donnait tout entier lui-même avec ses propres enfants : il avait fait prendre la croix à ses trois fils aînés, Philippe, Jean et Pierre; il entraîna aussi plusieurs de ses anciens compagnons de Terre Sainte, non pas Joinville, pourtant. Mais où aller? La première fois il était allé en Egypte. Cette fois, il se dirigea vers Tunis. On lui avait fait croire qu'il pourrait convertir le roi de Tunis, et qu'il trouverait là des ressources pour reprendre Jérusalem. La vérité, c'est que le roi de Tunis s'était affranchi du tribut qu'il payait à la Sicile et que les partisans de Conradin avaient trouvé auprès de lui un appui contre Charles d'Anjou. Il y avait pour le nouveau roi de Naples une vengeance à exercer et un tribut à reconquérir. On sait quelle fut l'issue de l'expédition. Les Français s'emparèrent du port de Tunis et vinrent s'établir sous Carthage dont ils prirent le château : rien des trésors que l'on comptait y trouver. Pour

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L'ÉGLISE ET LA PATRIE FRANÇAISE.

attaquer Tunis même, saint Louis attendait son frère dont l'arrivée était annoncée et qui ne venait pas. Des maladies se mirent dans l'armée. La faible constitution du saint roi l'y exposait plus que d'autres. Il perdit d'abord son fils Jean Tristan, dont la triste carrière, trop bien présagée par son nom, ne s'étendit que d'une croisade à l'autre, de Damiette à Tunis. Saint Louis ne lui survécut que pour faire encore à Dieu ce dernier sacrifice.

Il venait de mourir quand son frère, le roi de Naples, arriva, acclamé, dans ce deuil même, par l'armée qui espérait encore avec lui la victoire; en effet, les Sarrasins furent vaincus et la croisade ne fut pas sans résultat. La ville de Tunis ne se rendit point, mais l'émir des croyants accepta un traité qui stipulait la liberté de commerce entre chrétiens et musulmans dans leurs Etats respectifs et autorisait l'établissement d'une église et la pratique de la religion chrétienne dans Tunis même. L'Egypte, Tunis, ces deux terres dont les destinées ne devaient pas demeurer étrangères à celles de la France, avaient été marquées par le sang français dans les deux croisades de saint Louis.

La France avait pourtant eu à souffrir beaucoup de cette dernière expédition, puisqu'elle y perdit saint Louis. Mais tout règne a une fin et celui du pieux roi, si saintement terminé, resta dans le souvenir du peuple comme un idéal au-dessus duquel on n'imaginait plus rien : idéal de bonté, de dévouement et de justice ; et la suite de nos rois n'offre pas un plus parfait modèle de puissance réelle et de grandeur. Comment y est-il parvenu ? Cherchez d'abord le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît! Saint Louis chercha par-dessus tout l'établissement du royaume de Dieu; il rechercha sa justice jusqu'à y sacrifier ce qu'on pouvait croire les intérêts de sa couronne ; et par l'éclat de sa sainteté, par le renom de sa justice il assura à la France en Europe une prééminence qu'elle n'a jamais égalée aux jours les plus fameux de notre histoire, une suprématie fondée sur la confiance en l'équité de son jugement et en son désir de faire régner partout le bon droit et la paix. Par là il accomplit cette autre parole de l'Evangile : Bienheureux les pacifiques, ils posséderont la terre.

H. Wallon.